18ème dimanche du Temps Ordinaire - 4 août 2019

Lc 12, 13-21

 

C’est une curieuse traduction qui nous est donnée de cet évangile ! Elle modifie la façon très particulière dont cet homme riche s’adresse à lui-même, dont littéralement « il se dit : ‘Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens. Alors je me dirai à mon âme – Oui ! à mon âme ! Ô mon âme, te voilà avec de nombreux biens à ta disposition, etc. pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, fais bombance.’ Mais Dieu lui dit : ‘Insensé ! cette nuit même, on va te redemander ton âme ». Ton âme ! Pas ta vie. L’âme est bien plus grande que la vie.

Le sujet de cette parabole n’est pas tant la vie matérielle ou l’usage des biens que le repos – le salut de notre âme. Je me demande parfois si les personnes qui me disent qu’elles ont perdu la foi n’ont pas en réalité perdu leur âme. Elles ne savent plus qui elles sont, ni ce que signifie le repos.

Quel est le point de départ de cette parabole ? Nous n’avons plus affaire à deux sœurs comme avec Marthe et Marie mais à deux frères qui se disputent la meilleure part, un classique des histoires d’héritage, où les membres d’une famille sont des hyènes autour d’un cadavre. Ils s’entre-dévorent et viennent parler à Dieu de justice.

Au début du livre de Job, on voit le Diable venir à la Cour du Roi de l’Univers, « le jour où les fils de Dieu se rendaient à l’audience du Seigneur (sans doute un dimanche ?), Satan lui aussi vint parmi eux ». Se mêle aux enfants de Dieu le chef des âmes perdues, Satan, dont l’âme est définitivement perdue. Que voit-on alors ? La joie de Dieu pour ses enfants, et la jalousie du Diable. La joie de Dieu ! Il se réjouit, s’émerveille de l’attitude de Job, qui était le plus fortuné de tous les fils de l’Orient. As-tu remarqué mon serviteur Job ? dit Dieu à Satan. Il n’a pas son pareil, son égal sur la terre : un homme intègre et droit, qui craint Dieu et se garde du mal !
Il faut respecter cela dans la parabole de l’évangile, imaginer la joie de Dieu pour cet homme dont les terres avaient beaucoup rapporté. Cet homme riche est béni : il a accompli l’œuvre de la Création. C’est grâce à Dieu que ses biens ont fructifié. Quand survient le tentateur en tout cas la tentation pour lui de s’approprier les fruits de son travail.

Qui va demander à Dieu l’âme de cet homme ? Qui est ce ‘on’ – va te redemander ta vie’ ? Ils vont t’enlever ton âme (animam tuamrepetunt a te) ? Ce n’est pas Dieu ! ‘Ils’ sont les esprits mauvais. L’obsession du Diable est que nous soyons damnés avec lui. Il veut nous emmener avec lui.
« Tu es fou ! » Fou de quoi ? De vouloir profiter de la vie ? Quelle idée ! Tu es fou de ne penser qu’à toi-même, de ne pas t’occuper de ton âme, de ton lien à Dieu et aux autres, de t’abrutir de toutes sortes de façons.
Insensé ! L’exclamation apparaissait au chapitre précédent de l’évangile, lorsque Jésus était entré chez un Pharisien pour un repas. Le Pharisien fut étonné en voyant que Jésus n’avait pas fait les ablutions prescrites. Le Seigneur lui dit : « Bien sûr, vous les Pharisiens, vous purifiez l’extérieur de la coupe et du plat, mais à l’intérieur de vous-mêmes vous êtes remplis de cupidité et de méchanceté. Insensés ! ».
« Celui qui a fait l’extérieur n’a-t-il pas fait aussi l’intérieur ? » (Lc 11, 40). Et Jésus poursuit : « Donnez plutôt en aumône ce que vous avez, et alors tout sera pur pour vous ».

Comment est-ce qu’on fait pour purifier son âme ? Chaque fois que ses enfants faisaient des festins, Job les faisait venir pour les purifier et il offrait un holocauste pour chacun d’eux. Car il se disait : « Peut-être mes fils ont-ils péché et maudit Dieu dans leur cœur ! ».

Je pense souvent à cette femme rencontrée dans un gros service de chirurgie : « Ne me parlez pas du Bon Dieu », m’avait-elle dit. Elle avait quatre ans quand son père est mort. A douze ans, sa mère tombe malade : elle prie toute la nuit et sa mère meurt au petit matin. Mariée à un mauvais homme, elle se retrouve seule avec une fille qu’elle élève à force de labeurs et de sacrifices. Cette fille l’abandonne après son mariage, à cause du gendre. Arrive la retraite où elle pense pouvoir enfin profiter de la vie quand arrive ce drame : cancer de la mâchoire. Elle venait d’être greffée quand je l’ai rencontrée, on pouvait à peine la regarder. « Ne me parlez pas du Bon Dieu ». On me demande parfois si j’ai toujours la foi, s’il n’y a pas des jours où je doute ? Douter, non, pleurer, oui. On ne s’habitue pas à la souffrance. Les nouveaux drames réveillent les anciens. La seule solution est de garder cela vivant, dans la prière.

Alors, si un homme en bonne santé veut profiter des biens qu’il a pu accumuler, par la grâce de Dieu, où est le problème ? Quelle est sa folie ?

Il y a quelques semaines, nous avons célébré une messe pour une petite fille de douze ans morte d’une tumeur au cerveau. Pendant un an, ses parents, que j’avais préparés au mariage, se sont battus pour elle. Avec l’aide d’un formidable réseau de solidarité ils ont permis à leur enfant de réaliser tous ses rêves, de spectacles, de voyages, de rencontres de chanteurs, de vivre en quelques mois ce qu’elle ne pourrait vivre dans sa vie.
Que dire à des parents qui perdent un enfant ? Que Dieu lui-même a donné son Fils ? Oui, Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. C’est le sujet de cette parabole : la vie éternelle. C’est ce que nous offrons à chaque messe : le sacrifice du Christ.
« Ne me parlez pas du Bon Dieu ». Quand un enfant perd ses parents, quand des parents perdent un enfant, il faut pouvoir se réconcilier avec Dieu. Mais quand on a été béni de Dieu, comme je le vois quand même très souvent, comment se fait-il que l’on puisse se refermer sur soi ? Perdre son âme ?

« L’homme, dit saint Thomas, est placé entre les objets d’ici-bas et les biens spirituels, dans lesquels réside l’éternelle béatitude. Plus il adhère aux uns, plus il s’éloigne des autres, et vice versa. Dans la balance, si l’un des plateaux s’abaisse, l’autre s’élève d’autant ».
Je relisais cela dans ‘L’Ame de tout Apostolat’ de Dom Jean-Baptiste Chautard, un des grands livres de la littérature spirituelle sur la vie intérieure. Il cite cette note de retraite de Mgr Dupanloup qui, constatant que « le défaut de vie intérieure est la source de toutes mes fautes, de mes troubles, de mes sécheresses, de mes dégoûts, de ma mauvaise santé », prenait cette résolution : « Je prendrai toujours plus de temps qu’il n’en faut pour faire chaque chose, c’est le moyen de n’être jamais pressé et entraîné ».
C’est le moyen de prendre le temps de la vie intérieure. Tant de projets après lesquels nous courons alors qu’au Ciel nous serons « comme les anges » à louer Dieu : nous ne connaîtrons pas d’autre temps que celui de l’instant présent. C’est plus reposant. Quand l’âme se repose en Dieu.
Oui, c’est un bon repos que celui de l’âme en Dieu.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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