19ème dimanche du Temps Ordinaire - 11 août 2019

Lc 12, 32-48

 

« Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces » : nous attendons sa venue dans la Gloire, nous le proclamons à chaque messe. Mystère de la Foi, mysterium fidei, qui est composé de trois affirmations : l’incarnation, la résurrection, et la Parousie qu’il est bon de rappeler à quelques jours du 15 août, l’autre grande fête de l’espérance chrétienne, l’entrée paisible de la Vierge Marie dans la gloire du Ciel.
La plus grande fête de l’Espérance est l’Ascension du Seigneur : il est monté au Ciel avec notre humanité. La deuxième est l’Assomption de la Vierge Marie : que le Christ Jésus monte au Ciel pouvait être le privilège de sa divinité ; que sa mère, une créature, le rejoigne est formidable ! Et la troisième (fête chrétienne de l’Espérance) est la Toussaint qui célèbre l’entrée de tant d’hommes et de femmes comme nous, qui n’avaient pas été préservés comme la Vierge Marie du péché originel.
Ces trois fêtes ont, en France, un statut particulier : elles ne sont pas un dimanche, mais un jeudi pour l’Ascension, le 15 août pour l’Assomption, le 1ernovembre pour la Toussaint. Elles forment en France, avec la fête de Noël, les quatre fêtes d’obligation où les Catholiques vont à la messe s’ils veulent pouvoir communier le dimanche suivant. Sans avoir à se confesser pour ce qui serait une faute grave, un lapin, ne pas venir au rendez-vous fixé. Je sais que nombre de Catholiques ne considèrent plus comme une obligation d’aller à la messe le dimanche : ils ne croient pas que Dieu les attend. Ils pensent que s’ils ne sont pas là, ça ne se verra pas. ‘Où est-ce que c’est écrit dans la Bible qu’il faut aller à la messe le dimanche ?’ – Réponse : dans l’évangile de ce dimanche : Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces.
Pourquoi des noces ? Parce que c’est l’image de la joie de l’Alliance de Dieu avec l’humanité. Dieu s’est fait homme, il a connu la mort, il est ressuscité, il est monté au Ciel et il viendra dans la Gloire pour nous sauver, nous faire entrer dans son Royaume. Cette entrée n’est pas automatique ? Non, rien de ce qui est humain n’est automatique. Rien de ce qui est de l’ordre de l’amour. La beauté et la difficulté de l’amour vient de ce qu’il est une invention permanente, un incessant renouvellement. L’amour est une création parce que le Créateur Dieu est Amour. Voilà pourquoi l’amour échappera toujours à la science qui peut expliquer mais pas créer, et l’amour préfèrera toujours les artistes, les prophètes et tous ceux qui sont inspirés.
En entendant le passage sur l’intendant qui profite de l’absence de son maître pour frapper serviteurs et servantes, je ne pouvais m’empêcher de penser aux personnes que j’ai rencontrées cette année victimes de harcèlement. De penser à leur souffrance. En pensant à leurs bourreaux me revenait à l’esprit cette parole de la Passion du Christ quand le bon larron dit à l’autre malfaiteur : ‘Tu n’as aucune crainte de Dieu !’. Tu n’as aucun respect des autres : tu n’as aucune crainte de Dieu.
La forme peut-être la plus détestable du harcèlement est scolaire, l’enfant maltraité, harcelé, terrorisé par d’autres enfants. On savait que cela existe dans les familles, les souffre-douleurs, que la littérature appelait Cosette ou Poil-de-Carotte, et on découvre que tout enfant, toute personne peut en être victime. De même que toute personne peut se transformer en bourreau. En abuseur.
Abuser de la patience de Dieu.
Comme dans la parabole où il ne faut pas imaginer que le maître ne savait pas quel intendant serait fidèle et lequel ne le serait pas. S’il le savait (qu’il serait infidèle), pourquoi lui a-t-il confié sa maison ? Pourquoi Jésus a-t-il appelé Judas ? J’entends parfois des personnes trompées dire après-coup : ‘j’ai eu tort de lui faire confiance ; j’aurais dû m’en douter’. Non, nous n’avons jamais tort de faire confiance : c’est ce que Dieu fait avec nous. Sa patience est infinie mais elle n’est pas aveugle : le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n’aura pas accompli cette volonté, recevra un grand nombre de coups.
Le harcèlement est une agression basée sur la répétition, qui en fait la violence, et sur l’espoir sans cesse trompé que cela va s’arrêter. Ou qu’on va trouver les moyens d’y échapper. Espoir trompé plus que déçu : le mécanisme ou le ressort du harcèlement est le faux-espoir. C’est ce qui rend sa violence si corrosive : ça ne finira donc jamais ? Et si difficile à endiguer : les paroles et les actes ne sont pas forcément dramatiques en soi, et leur caractère répétitif est difficile à prouver, facile à contester. Un de mes cousins a dû changer son fils d’établissement pour la rentrée prochaine : l’année a été atrocement banale, avec des semaines pour comprendre ce qui n’allait pas, la promesse par la directrice de convoquer les parents si les soi-disant camarades continuaient, la promesse non tenue, la confiance disparue. Détresse de l’enfant qui regrette presque d’avoir parlé, alors que cette étape est vitale, oser parler, car le harcèlement ne cesse jamais de lui-même. Détresse des parents, devant la dérive de l’autorité dont le premier devoir est d’assurer la sécurité de ceux qui lui sont confiés.
De la faiblesse de l’autorité, une amie vient de faire l’expérience : malmenée par son nouveau supérieur qui remet en question ce que son prédécesseur avait approuvé, elle ne trouve pas de soutien dans la hiérarchie qui ne s’intéresse qu’au résultat. Ce qui explique les comportements immoraux : quand le résultat se dissocie de la modalité.
Le harcèlement est une agression typique de notre époque qui raffole de la pression sous toutes ses formes, au contraire de l’amour et de Dieu. Dieu nous donne une obligation de comportement, pas de résultat.
Dans le monde animal, le harcèlement est une stratégie de défense connue sous le nom de houspillage, mobbing, qui désigne la façon dont des oiseaux vont tournoyer autour d’un intrus en criant très fort pour le décourager de s’approcher des nids. Ce moyen de défense des animaux faibles est chez les humains un mode pervers de domination. Parfois l’objectif est d’acculer à la démission un collaborateur lorsqu’il est trop coûteux de le licencier, mais dans tous les cas, la pratique est perverse : le plaisir de faire le mal. Notre époque dispose ainsi d’un nouveau nom pour le Malin, le Diable, l’Adversaire ; il n’est plus seulement le Tentateur ou le Diviseur : il est le Prédateur. Qui s’attaque aux proies les plus faibles, les affaiblit pour les attaquer.
Tout l’évangile, toute la vie chrétienne nous apprend le contraire, à protéger les plus faibles, à faire le bien et à rejeter le mal, même quand il est tentant. A couper avec lui sans chercher à négocier. Face au harcèlement, il faut parler, et il faut couper, partir, s’éloigner.
Pour faire le bien, l’évangile de ce dimanche nous rappelle l’importance du corps social : Sois sans crainte, petit troupeau. Faire corps est plus élégant que ‘faire Eglise’ même s’il ne s’agit rien moins que de développer un minimum de sens social et communautaire. Les oiseaux y arrivent. Les recommandations qui suivent sur le partage des biens et le service de nos frères nous font entrer dans le propre de l’humanité : le partage et le service. On aurait pu espérer que l’Eglise en soit le modèle ; ce n’est pas toujours le cas. Le modèle est la maisonnée, la communauté de vie qui reconnaît un seul Maître, dont tous attendent le retour.
La perversion du harcèlement est l’espoir secret sans cesse trompé, que le mal va s’arrêter.  L’Espérance, elle, est centrée sur le Christ, « espérance de la Gloire » (Col 1, 27). Et le contenu de l’espérance, c’est l’amour. « L’espérance ne déçoit pas parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5).

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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