4e dimanche du Temps Ordinaire - 28 janvier 2018

Mc 1, 26-28

 

Qu’est-ce qu’il faut faire dans ces cas-là ? Quand on est à la messe, que le prêtre est en train de prêcher, et qu’un homme tourmenté par un esprit impur se met à crier ? Evidemment, le prêtre n’est pas Jésus, et il n’a pas le droit, en principe, d’interpeller le démon : ce pouvoir, propre à l’Evêque, est délégué aux prêtres exorcistes. Le sacrement de l’ordre fait de nous les prêtres des collaborateurs des évêques qui sont les successeurs des Apôtres, sans que nous ayons les mêmes pouvoirs d’ordre.
Alors, qu’est-ce qu’on fait dans ces cas-là ? Imaginez, en cet instant, qu’une personne se mette à crier quelque chose d’atroce, qu’est-ce qu’il faut faire ?
Ça m’est déjà arrivé. A Saint-Louis d’Antin, un dimanche soir, à la messe de 21h, un homme s’est mis à crier, debout dans l’allée centrale, et personne n’a bougé. Sauf le sacristain qui est arrivé, l’a pris par le bras et l’a mis dehors. Deux jours après, j’ai reçu une lettre d’engueulade d’une personne qui trouvait que j’avais manqué de charité. Ici, à la Compassion, ce serait plus compliqué parce que c’est moi le sacristain. C’est pourquoi je vous pose la question : qu’est-ce qu’il faut faire dans ces cas-là ? On s’indigne facilement, après-coup, de ces situations où personne n’est intervenu malgré l’obligation ‘d’assistance à personne en danger’ : on s’indigne du manque de courage des autres en oubliant que ce n’est pas tant la peur qui pétrifie que l’ignorance. Comme tous ceux qui ont regardé Jésus passer portant sa croix, qui l’avaient acclamé quelques jours plus tôt, et ensuite conspué : qu’est-ce qu’il fallait faire ? S’enfuir comme les Apôtres, pour ne pas voir ça ?

L’apprentissage commence dès l’enfance, et constitue un volet essentiel de l’éducation : il incombe aux parents d’apprendre à leurs enfants ce qui est mal et qui n’est pas acceptable, aussi bien de leur part qu’à leur égard. Il faut apprendre aux enfants ce qu’on peut dire et ce qu’on doit faire, quelles sont les paroles autorisées et les gestes interdits, d’affection déplacée comme de brutalité. La seule façon de les protéger efficacement est de leur apprendre, sans entrer dans les détails, la réalité du Mal, l’existence du Diable. Encore faut-il que ces parents en aient été eux-mêmes avertis. Ceux qui ne baptisent pas leurs enfants pour les laisser choisir quand ils seront grands ignorent que la première fonction du baptême des petits-enfants est de les arracher au pouvoir de Satan. Evidemment si vous croyez que le Diable n’existe pas …
Comment est-ce que les enfants apprennent ? En voyant faire leurs parents : la transmission est visuelle, plus qu’orale, et bien plus qu’écrite. D’où l’illusion de réglementations écrites. La tentation pourtant est grande, et revient chaque fois qu’il se produit un événement nouveau, de légiférer pour codifier la réponse. C’est extrêmement confortable puisque ça évite de réfléchir et d’engager sa responsabilité : d’autres répondent pour vous. Le problème est qu’il existe une Loi intérieure, inscrite dans le cœur de l’homme, loi naturelle ou loi morale qui fait que nous savons au fond de nous-mêmes ce qui est bien.

Un débat récurrent de l’humanité porte sur la différence entre ce qui est légal et ce qui est moral. L’évangile de saint Matthieu commence par raconter « comment fut engendré Jésus Christ : Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ; avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint ». Joseph est embarrassé.
J’utilise à dessein ce mot ici devant la Vierge espagnole du Rocio car embarazada en espagnol veut dire enceinte. Son embarras est parlant : il envisage une solution légale, la répudiation, dont il pressent en lui-même qu’elle n’est pas bonne.
C’est l’embarras de tous les parents à qui on annonce que l’enfant qui va naître ne jouira pas du bien-être érigé en religion, au point que tout le monde confond bonheur et bien-être. Des fiancés que je prépare au mariage sont venus me poser la question : qu’est-ce qu’on fait dans ces cas-là ? Ce qui est légal, l’avortement, ou ce qui est moral, le respect de toute vie depuis sa conception ? Je les ai prévenus que, quels que soient l’éducation et les soins qu’ils donneront à leurs enfants, rien ne dit qu’ils n’auront pas de terribles épreuves avec un gamin menteur, tricheur, voleur, asocial, ou alors malade, ou encore détruit par un accident ou une crise psychique. En un mot malheureux, sans bien-être. La Loi pour l’instant ne permet pas de supprimer l’enfant quand il est grand et raté. Même pas de le déshériter.
Qu’est-ce qu’il faut faire dans ces cas-là, quand le Seigneur nous confie une mission qu’on n’a pas prévue, ni voulue ?

L’écart entre le légal et le moral est une des trames de l’évangile, au centre des discussions des Pharisiens avec Jésus sur le respect de la Loi. La loi par nature ne peut pas être parfaitement morale puisqu’elle est générale et ne peut pas intégrer ni prévoir tous les cas particuliers. On ne peut pas tout légiférer, et les doléances contemporaines, qu’elles concernent le code du travail ou la propension des politiques à proposer à chaque événement de nouvelles lois, n’ont rien de nouveau. On étouffait du temps de Jésus sous la pression de la Loi dans son inutile hégémonie. On ne peut pas tout prévoir ni tout légiférer car l’Esprit est plus grand que la Lettre.

Qu’est-ce qu’il faut faire dans ces cas-là, lorsque notre cœur ou notre conscience nous dit quelque chose qui ne correspond pas à ce qui est prévu par la Loi ?
Poser la question suppose que nous écoutions notre cœur et notre conscience : c’est un aspect essentiel de la prière. Dans la prière, nous nous remettons devant Dieu, plus grand que notre cœur, nous lui rendons gloire, et nous prenons le temps de nous arrêter, librement, sans y être contraint par quelque personne ou événement. Dans cette prière, il y a le Christ Jésus, le Saint de Dieu, qui commande aux esprits impurs et ils lui obéissent, dont l’enseignement est nouveau, donné avec autorité, puisqu’il est la plénitude de l’Esprit Saint.
Que nous demande-t-il ? Que nous demande le Seigneur ? Il nous demande d’agir en conscience. Il nous demande de prendre appui sur Lui plus que sur la Loi : il est vivant et la Vie, tandis que la loi ne l’est pas. La solution n’est pas magique, qui implique que nous participions, que nous nous engagions, que nous lui faisions confiance, mélange de raison et de foi. Nous ne pouvons rien sans Dieu mais Dieu ne fait rien sans nous, et c’est pourquoi aucune situation n’est identique à une autre : chacun reçoit de Dieu le secours dont il a besoin. Dans la 1ère lecture de ce dimanche, figure la promesse de Dieu de nous donner non pas de nouvelles lois, mais dit-il à Moïse « un prophète comme toi ». Plus grand que Moïse et Elie, il est le Christ Jésus que nous regardons agir dans l’évangile, comme les enfants voient faire leurs parents, puisque le Père est en Lui. Nous le regardons faire, qui fait comme son Père lui a dit. Enfin, Philippe ! Comment peux-tu dire : “Montre-nous le Père” ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres (Jn 14, 10).
« Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père, et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Quand vous me demanderez quelque chose en mon nom, moi, je le ferai ». Pas à notre place : avec nous. A nous de nous demander ce que nous faisons avec lui. Avec lui.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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