3e dimanche du Temps Ordinaire - 21 janvier 2018

Mc 1, 14-20

 

Il y a longtemps que je voulais vous parler du désir d’être propriétaire disons de sa maison, d’avoir un chez-soi, être chez soi dans sa voiture, son appartement ou sa maison, avoir un commerce à soi, être propriétaire de son lieu de vie, son outil de travail ou son moyen de déplacement, que sais-je ? Ce désir est-il universel ? Et que dit-il de notre Espérance : Jésus a promis que dans la maison du Père, il y a beaucoup de demeures – à aménager ? à se répartir ? où se retrouver chez soi et entre soi ? Vous savez que je travaille sur l’urbanisme du Paradis, la Jérusalem céleste : est-ce qu’il y aura des espaces privés dans la vie éternelle, ou est-ce que ce sera un régime collectiviste ?
Quel est l’intérêt d’y réfléchir ? Il s’agit ni plus ni moins du discernement de nos désirs, pour ne pas nous perdre dans le provisoire mais nous concentrer sur ce qui est appelé à l’éternité. Nous croyons que ce qui est bon demeure éternel.

Cela faisait donc longtemps que je voulais vous parler du désir de propriété et ce 21 janvier tombe bien, l’anniversaire de la mort du Roi, un des points culminants, avec la prise de la Bastille, de la Révolution française qui fut, comme toutes les révolutions, une grande vague de désir d’accès à la propriété privée. La Déclaration de 1789 la met en 2ème position « des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ».
Il se trouve que l’évangile de ce dimanche en donne une image remarquable avec la barque : elle couvre les trois dimensions du lieu de vie, du moyen de transport et de l’outil de travail. Le bateau est l’équivalent à la fois de la maison, de la voiture et du bureau, les trois lieux où nous rêverions d’être chez nous. Ce n’est pas métro-boulot-dodo, mais chez-moi chez-moi chez-moi.

L’Eglise a curieusement préempté cette image pour se l’appliquer à elle-même : la barque de l’Eglise est le moyen d’entrée dans la Maison du Père, le Chemin à la suite du Christ et le lieu de travail de l’Esprit. Pourtant, nous venons de l’entendre : Jésus appelle les premiers apôtres à quitter leur barque, et à quitter leur famille, et Jacques et Jean laissent leur père et leur travail, où ils étaient pris comme dans un filet. Et ils partent à l’aventure, à la suite du Christ. La dimension familiale n’est pas abolie puisqu’ils partent entre frères, avec une continuité affichée, devenir pêcheurs d’hommes, et l’espoir d’un gain substantiel que Pierre avouera un jour spontanément : « Qu’y aura-t-il pour nous, qui avons tout laissé pour te suivre ? » (Mt 19, 27). La réponse de Jésus confirmera cette continuité : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle » (Mc 10, 30).

Est-il juste de vouloir être propriétaire ? Ou devons-nous vivre, comme le dit saint Paul dans la 2ème lecture, avec la conscience que « le temps est limité » ? « Que ceux qui font des achats, soient comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car il passe, ce monde tel que nous le voyons ».
Oui, il est juste de vouloir être propriétaire. La pauvreté au sens d’absence de propriété, comme le Fils de l’homme qui n’avait pas d’endroit où reposer la tête, est une vocation particulière, un ‘conseil évangélique’, et les deux mots vont ensemble : un conseil et pas une nécessité, évangélique c’est-à-dire pour l’évangélisation.

Dès ses débuts, l’Eglise a construit des bâtiments distincts des maisons particulières pour que ses lieux de prière et de rassemblement ne soient ni des lieux privés ni des lieux publics, mais des lieux de culte spécifiques, consacrés à Dieu, qui n’appartiennent qu’à Dieu. Ils occupent dans notre histoire et aujourd’hui encore une part considérable de notre énergie, de nos ressources, de notre temps, de nos intérêts. Le risque pour l’Eglise est d’employer plus de forces à s’occuper des bâtiments que des personnes. Les uns sont au service des autres ? C’était la question dimanche dernier de la Journée des Migrants : les accueillir, oui, mais où ?

Nous portons tous ce rêve d’une maison à soi, où être en paix, en sécurité, et pouvoir y accueillir, recevoir les enfants, la famille, les amis : la propriété est un droit parce qu’elle est un bien. Elle est un bien et un bienfait pour notre corps, notre croissance et notre identité : elle est une façon d’exister à condition que ce ne soit pas la seule, et qu’elle ne déborde pas. Comme tous les biens elle présente un risque d’abus : le danger de perdre de vue l’unique Bien. C’est pourquoi Jésus demande à ses disciples de quitter la barque de leurs pères : tout chrétien de tradition, qui a été baptisé et catéchisé enfant, doit un jour quitter la foi de ses parents pour entrer lui-même et librement dans la foi de l’Eglise.
Or, que se passe-t-il depuis quelques décennies ? Les jeunes quittent la foi de leurs parents pour ne plus avoir de foi du tout, pour vivre dans un collectivisme de la pensée, comme des nomades spirituels. Jésus eut pitié d’eux car ils étaient comme des brebis sans bergers. Autant dire que la nouveauté du phénomène est relative.

Que vaut-il mieux, ou plutôt qu’y a-t-il de pire : des brebis perdues ou de riches propriétaires, repliés sur eux-mêmes et fermés au monde, et d’autant moins accueillants qu’ils se sont appropriés Dieu ? Le plus grand risque pour tout croyant est de s’approprier Dieu ! C’est le point de départ de toutes les hérésies et de tous les intégrismes. L’intégriste est comparable à l’homme qui abat au fusil la personne qu’il avait prise pour un cambrioleur. Il faut le dire avec compassion parce que cette réaction de défense est naturelle, à force de s’identifier à son avoir et à ses biens. La propriété privée est le prolongement naturel de notre être, une des formes et des conditions de notre épanouissement, mais un prolongement inanimé.

Pourquoi l’Eglise demande-t-elle à ses enfants d’aller à la messe le dimanche dans la même paroisse, en tout cas de façon stable, fidèle et régulière ? Pour que nous apprenions à être chez nous dans la Maison de Dieu, un chez-nous qui ne soit pas recomposé suivant nos goûts, mais qui soit la Maison du Père pour tous ses enfants, et non pas réservée à quelques héritiers.

On racontait à la grande Trappe que le candidat qui arrivait et qui, en prenant possession de sa cellule, commençait par changer l’aménagement, bouger la table et le lit, d’expérience ne restait pas. Il était trop prisonnier de l’espace pour vivre à la suite du Christ. Ce sont des vocations particulières de vie religieuse. Demandons pour nous cette grâce de nous concentrer sur notre lien au Christ, d’accueillir formes et rituels comme des moyens de grandir dans la connaissance intérieure de celui qui nous appelle à entrer par lui, avec lui et en lui dans la Maison du Père. Sortir de chez soi pour entrer dans la Maison du Père.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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