Dimanche des Rameaux et de la Passion - 25 mars 2018

Lecture de la Passion selon saint Marc - Mc 14, 1 – 15, 47

 

Nous avons commencé le Carême avec une mise en garde de Jésus à l’égard de « la gloire qui vient des hommes », du cœur inconstant, incapable de se fixer, prompt à conspuer et même exécuter ce qu’il avait acclamé, avec la même vitesse que notre célébration, où nous sommes passés en si peu de temps de la liesse à la tristesse, de la joie de l’hosannah ! à la Croix. La gloire qui vient des hommes accompagnait l’entrée de Jésus dans Jérusalem et nous avons basculé dans la honte qui vient des hommes. Il y a de quoi avoir honte dans le spectacle du supplice d’un condamné, dans le plaisir que manifeste une foule à la vue de la souffrance d’un malheureux. Chacun de nous a déjà été tenté par ce plaisir : c’est bien fait.

Avoir honte est une prière qui se trouve dans le livre du prophète Daniel : « Ah ! toi Seigneur, Dieu grand et redoutable, qui garde alliance et fidélité à ceux qui l’aiment et qui observent ses commandements, nous avons péché, nous avons commis l’iniquité, nous avons fait le mal, nous avons été rebelles, nous nous sommes détournés de tes commandements et de tes ordonnances. Nous n’avons pas écouté tes serviteurs les prophètes, qui ont parlé en ton nom à nos rois, à nos princes, à nos pères, à tout le peuple du pays. À toi, Seigneur, la justice ; à nous la honte au visage » (Dn 9, 4-10).
Commentant ce texte au début du Carême (homélie du 26 février), le Pape François invitait à examiner nos attitudes : « Combien de fois le sujet de nos conversations, c’est le jugement sur les autres. Dans les réunions que nous avons, un déjeuner, sur une durée de deux heures, combien de minutes ont été dépensées pour juger les autres ? Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Nous savons que la justice de Dieu est miséricorde. Mais il faut lui dire : “À Toi, c’est la justice qui convient ; à nous, la honte”. Et quand la justice de Dieu et notre honte se rencontrent, là, il y a le pardon ».
Il disait qu’il faut ‘demander la grâce de la honte’. L’expression est délicate : je voudrais la préciser, pas seulement parce que c’est une notion complexe, la honte, mais parce qu’elle comporte un sentiment d’exclusion, de rejet. Pourquoi faudrait-il la demander, quand nous voulons le contraire, la ré-intégration, la réconciliation, la communion ? La réponse est simple : pour ne pas se tromper de camp, pour que la honte ne soit pas du côté des victimes, mais des bourreaux, des persécuteurs, et qu’ils se convertissent.

Dans un supplice, comme celui de la Croix, il y a trois souffrances qui se confondent et s’alimentent mutuellement : il y a une douleur physique, que l’on peut imaginer sans jamais pouvoir la connaître exactement. Dans les hôpitaux, on se sert d’une petite règle de mesure où le souffrant indique le niveau de douleur qu’il ressent. Cette souffrance physique de Jésus est à la mesure de son humanité.
La souffrance morale est liée à la conscience que l’on a de la situation. Même si la personne paraît ‘inconsciente’ (endormie) : l’âme est un élément spirituel doué de conscience et de volonté. Une belle expression est donnée dans l’évangile de saint Luc par le bon larron qui dit à l’autre malfaiteur : « pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal » (Lc 23, 41). C’est pourquoi nous disons de la Passion de Jésus qu’elle était d’une ampleur infinie, puisqu’il était totalement innocent, sans aucun motif ni direct ni indirect. J’ai vu des malades tourmentés par toutes sortes de regrets de leur existence, qui savaient que leur maladie n’était pas un châtiment, mais qui souffraient à l’approche de la mort de leurs regrets et de leurs péchés.
Pour Jésus qui a tout connu de notre condition excepté le péché, cette souffrance était infinie, qui condensait toute l’injustice du monde.

Cette souffrance morale liée à l’injustice est spécifiquement humaine : elle est absente de la souffrance animale. On projette nos sentiments humains en imaginant des manifestations de compassion dans le monde animal. Il y a malheureusement plus de bestialité chez les humains qu’il n’y a d’humanité dans le monde animal.

Et puis il y a une souffrance sociale, d’exclusion et de rejet, que l’on ressent dans la honte, sans qu’il y ait nécessairement de culpabilité, voire même alors qu’il n’y a aucune culpabilité, comme une peine supplémentaire pour la victime. Je pense à toutes les victimes d’abus, aux victimes de viol, comme si elles devaient prendre la charge du crime. L’agresseur lui-même ne ressent pas la honte alors que c’est la condition de sa repentance et de sa conversion. Et pour la victime parfois celle de sa guérison.

Jésus a brisé cet engrenage : il est devenu l’espérance des victimes innocentes et le salut des pécheurs, la possibilité de salut pour tous ceux qui se reconnaissent pécheurs.

A aucun moment de sa Passion, Jésus n’a supplié ses bourreaux. Qu’est-ce que nous aurions fait à sa place ? Nous aurions cherché à les raisonner, à susciter leur pitié, pour certains à leur proposer de l’argent, pour d’autres à les menacer. De la part de Jésus, rien. Dignité intacte, dignité absolue. Parfaite clarté intérieure, absolue pureté du cœur. Il est Dieu, Fils de Dieu.

Il est devenu l’espérance pour toutes les victimes innocentes dont l’entourage, la société ne veut pas reconnaître la souffrance. Tant de personnes qui souffrent d’injustices que personne ne veut reconnaître, ni seulement écouter, qui se heurtent au mur de l’indifférence. Elles ont en Jésus l’espérance que Justice sera créée, la promesse d’être secourues, la certitude d’être entendues.

Il a pris sur lui nos péchés. Jésus est le salut des pécheurs, tant il faut comprendre que se reconnaître pécheur est le signe que la Miséricorde est à l’œuvre. Il faut croire au pardon, avoir accueilli la possibilité et la grâce du pardon pour se reconnaître pécheur, pour ne pas s’enfermer davantage dans son péché.

Cette semaine nous allons revivre la Passion et contempler la Croix comme nous ne l’avons jamais fait. Celui qui éprouvera de la honte sera sauvé. À toi, Seigneur, la justice, à nous la honte. C’est la clé du pardon et la cause du Salut.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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