L’amour de l’argent n’est pas l’amour de la vie :

32ème dimanche du temps ordinaire - 11 novembre 2018

Mc 12, 38-44

 

Un ami est venu me voir, qui avait dû quitter le séminaire avant la fin, malgré lui, pas assez intellectuel, qui avait ensuite péniblement trouvé de petits boulots, que voulez-vous faire avec cette seule formation, – il est venu me voir avec l’idée de monter un business, d’import-export de statues religieuses et autres objets liturgiques fabriqués à bas prix dans les pays asiatiques. Outre le fait qu’il ne connaissait rien au commerce et ne disposait d’aucun circuit de distribution, je lui ai donné la raison de ma désapprobation : ‘mon pauvre ami, tu as un handicap insurmontable : tu n’aimes pas l’argent’.

L’amour de l’argent n’est pas un péché. Il est une tentation d’accorder une attention excessive aux belles choses, et il se manifeste dans l’amour des beaux vêtements, des belles voitures, des belles chaussures ou des belles montres, ou des beaux tableaux, des beaux bijoux, objets, bibelots, en un mot : du beau. Beau veut dire ici cher : que les pauvres ne peuvent pas se payer mais qui leur fasse envie. Une ancienne Catéchumène de la paroisse employée comme gouvernante chez des milliardaires, ‘super-nanny’ super bien payée, super exploitée, s’est vue demander par un oligarque lors de son embauche : ‘Est-ce que ce que nous avons vous fait envie ?’.

On peut aimer l’argent pour le pouvoir qu’il donne, en puissance ou en acte, en le dépensant ou non. Un curé a été arrêté après avoir détourné quelques centaines de milliers d’euros ; il avait ouvert seize comptes en banque : pas très discret. Il devait s’inquiéter pour ses vieux jours, avoir oublié le Psaume 48, au refrain redoutable : « L’homme comblé ne dure pas : il ressemble au bétail qu’on abat ».

L’amour de l’argent n’est pas un péché ; il est un moteur, une source de motivation, voire une nécessité professionnelle ou sociale, dans d’autres cas une incompatibilité. Est-ce que vous pensez que si nous augmentions la rémunération des prêtres, nous aurions davantage de vocations ? Le prestige dont bénéficiaient les scribes et les Pharisiens tenait aux moyens dont ils disposaient, à leur train de vie et leurs vêtements d’apparat. J’ai connu un prêtre, auteur de livres à succès, en pantalon de cuir et cabriolet, dont la mission était sans doute d’évangéliser l’air du temps.

On peut aimer l’argent pour la sécurité qu’il donne, l’accumuler, l’entasser, au cas où. Au cas où quoi ? Comme dit encore le Psaume 48 : « Pourquoi craindre ceux qui s’appuient sur leur fortune et se vantent de leurs grandes richesses ? Nul ne peut racheter son frère ni payer à Dieu sa rançon : aussi cher qu’il puisse payer, toute vie doit finir.
Ne crains pas l’homme qui s’enrichit, qui accroît le luxe de sa maison : aux enfers il n’emporte rien ; sa gloire ne descend pas avec lui ».

D’où vient l’amour de l’argent ? D’avoir manqué petit ? Il en va de la pauvreté, quand elle est évangélique et choisie, comme de la chasteté : nul ne peut dire si c’est plus facile d’être pauvre et chaste quand on l’a toujours été, ou au contraire plus difficile quand on a connu l’inverse, l’opulence et le plaisir.

Et voici qu’apparaît dans ce haut-lieu de l’argent qu’était le Temple de Jérusalem, avec toutes ses magnificences, une indigente, le mot est vieillot et on imagine la personne aussi c’est-à-dire âgée, une pauvre veuve, et on peut penser que l’un a entraîné l’autre, le veuvage la pauvreté, qu’elle a perdu ses moyens en perdant son mari.

Jésus est Dieu. Il sait ce qu’il y a en chacun de nous. Il sait qu’elle est vraiment pauvre car en ce domaine les apparences sont trompeuses, je me souviens d’un producteur de cinéma de mon enfance qui avait un ascenseur dans le salon de son hôtel particulier pour aller à sa chambre, mais n’avait pas de quoi s’acheter un ticket de métro.
Jésus sait que cette pauvre veuve met dans le Trésor tout ce qu’elle avait pour vivre. Pourquoi fait-elle cela ? A Dieu va ? En souvenir de la veuve de Sarepta dont nous avons l’histoire dans la 1ère lecture, qui rentre préparer pour elle et pour son fils ce qui lui reste : « nous le mangerons, et puis nous mourrons » ? Pourquoi alors ne le mange-t-elle pas ? Elle n’a pas d’enfant à nourrir ?

Nous vivrons dimanche prochain la 2ème journée mondiale des pauvres. Au moins une fois par mois, je dis la messe pour les SDF, les personnes de la rue, et j’ai le choix dans le Missel entre les prières de ‘la messe pour ceux qui ont faim’ et de ‘la messe pour les réfugiés, les exilés’. Je fais un mixte de ces deux composantes de la pauvreté, du choix entre dormir ou manger, entre repas ou logement. Et il faut que nous gardions à l’esprit, nous qui sommes préservés de la misère, que la messe unifie les deux : un toit et un repas, l’église maison du Père et la messe pain de Vie. Un toit, un repas, et un sacrifice.
Le pape François a prévenu les couples qui se marient à l’église qu’elle n’est pas une maison de location : elle doit être leur maison, et c’est pourquoi la meilleure préparation au mariage comme à tous les sacrements, c’est la messe le dimanche, pour que l’église soit votre maison. Pour communier à la messe, il faut que l’Eglise soit notre famille et l’église notre maison.

Cette pauvre veuve ne représente pas la misère. Nous avions Bartimée il y a deux dimanches, ce mendiant que l’on cherchait à faire taire. Cette pauvre veuve représente l’Eglise : elle a quitté en se mariant sa famille d’origine ; elle a perdu, avec son mari, celle qu’ils voulaient fonder. Elle représente l’Eglise qui a quitté l’une sans gagner l’autre : l’Eglise a quitté Israël, la terre promise, sans atteindre pour l’instant le Ciel et la vie éternelle. Que lui reste-t-il pour vivre ?
Les deux commandements de l’amour, l’évangile de dimanche dernier, l’amour de Dieu et l’amour du prochain, que symbolisent les deux piécettes qu’elle met dans le Trésor, pour Dieu et pour nous. Qui sont les bénéficiaires de ce don ? Dieu ? Il n’en a pas besoin. Elle-même, à valoir sur son salut ? Non : quand on donne tout, on ne le fait pas pour soi. Les bénéficiaires, c’est nous qui avons besoin de l’exemple qu’elle donne d’une telle confiance en Dieu. Elle rend à Dieu ce qui est à Dieu : tout ce qu’elle avait pour vivre, littéralement tout ce qu’elle avait de vivant.

Elle choisit la sagesse plutôt que l’argent. On peut dire d’elle ce que dit Jésus lors de l’onction à Béthanie : « Amen, je vous le dis : partout où l’Évangile sera proclamé – dans le monde entier –, on racontera, en souvenir d’elle, ce qu’elle vient de faire » (Mc 14, 9). Elle est l’application magnifique de la bénédiction solennelle pour la fête des Saints : « Toute l’Église est heureuse de savoir beaucoup de ses enfants dans la paix du ciel : c’est là que Dieu vous attend ».

Saint Jean de la Croix avait à peine trois ans quand son père meurt. Enfant, il doit travailler comme apprenti. Il côtoie la souffrance comme infirmier tout en menant des études où il révèle des dons exceptionnels. Envoyé à Salamanque parmi l’élite, il y est nommé préfet des études. Sa sensibilité hors du commun lui permet d’absorber, presque d’éponger tout ce qu’il reçoit, mais de façon ordonnée, et quand il enseignera la mise en ordre de la sensibilité, c’est en connaissance de cause, pour l’ordonner à la connaissance de Dieu. Par ses talents et son travail, il peut accéder très tôt à la prêtrise, ce qui signifie à l’époque une cure et une rente pour venir en aide à sa mère. Il y renonce, parce que ce n’est pas là que Dieu l’appelle : « Quand vous vous arrêtez à quelque chose, vous cessez de vous abandonner au tout ».

Quand vous vous arrêtez à l’argent, vous cessez de vous abandonner au Dieu tout-puissant.

Vous le savez bien pourtant, que l’amour de l’argent n’est pas l’amour de la vie.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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