33ème dimanche du temps ordinaire - 18 novembre 2018

Mc 13, 24-32

 

Prenons à bras-le-corps deux difficultés majeures de ce texte d’évangile. La première est l’annonce par Jésus à ses auditeurs qu’ils verront de leur vivant la Parousie, c’est-à-dire la venue dans la Gloire du Fils de l’homme : « cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive ». On peut essayer de tordre le texte, de prétendre que « le soleil s’est obscurci » quand Jésus fut mis sur la Croix, rien n’y fait : le rassemblement des élus n’a pas eu lieu, au contraire, et on en est encore, deux mille ans après, à la dispersion aux quatre coins du monde.

La deuxième difficulté a trait au jour de cet avènement que nul ne connaît : « nul n’en sait le jour ni l’heure, pas même le Fils mais seulement le Père ». Il y aurait donc une information qui n’est pas n’importe laquelle puisque c’est la date de la fin du monde ! que le Père seulement détiendrait et n’aurait pas communiquée à son Fils ? Alors même que le Père a tout remis entre les mains du Fils ?

La réponse habituelle consiste à expliquer que le Fils dont il est question est le Christ dans son humanité, à qui il n’appartient pas de dire par exemple, comme nous l’entendions le mois dernier, pour qui ont été préparées les places que briguaient auprès de lui dans sa Gloire les fils de Zébébée, ou encore qui peut dire que le Père (dans sa divinité) est plus grand que lui (dans son humanité), sans que cela contredise la stricte égalité du Père et du Fils dans la Trinité.
Ce n’est pas suffisant. Loin de nous troubler, cette différence entre le Père et le Fils devrait nous rassurer qui correspond à ce que nous croyons de Dieu Trinité : unité de nature, diversité des personnes. Le Père et le Fils et l’Esprit sont de même nature, divine, un seul Dieu, mais sont bien trois personnes différentes, et il est logique et heureux que le Fils ne sache pas tout ce que sait le Père. Et que le Fils puisse agir de lui-même sans que ce soit le Père qui le fasse, même si le Fils le fait comme le Père lui a dit de le faire.

Nous avons perdu le sens de la différence des personnes. Début novembre, il y a eu ici un petit problème pour un enterrement, parce qu’il n’y avait que trois porteurs au lieu de quatre. Le maître de cérémonie était une femme mince et jolie qui a dit d’emblée : ‘Ah non moi je ne porte pas’, et elle a téléphoné pendant vingt minutes pour trouver une solution. J’ai moi-même regretté d’avoir vieilli, de n’avoir plus l’âge parce que c’est très lourd dans les escaliers et ce fut le petit-fils du défunt qui s’offrit et souffrit, pas dramatique mais pas joli. Et pas sérieux de la part de la société de pompes funèbres : la maîtresse de cérémonie était charmante et ils ont sûrement gagné en l’embauchant en empathie avec les familles. Dans les limites du genre. Qu’il n’y ait pas d’activité, de mission qu’une femme ne puisse pas assumer, en théorie on est d’accord puisqu’il n’y a pas d’activité humaine que Dieu ait lui-même refusée par son incarnation : Jésus a pu tout faire, la menuiserie comme la cuisine. Ce n’est pas une raison pour méconnaître ou nier la différence des personnes.

La différence des personnes divines n’est pas physique, évidemment, ni sexuelle, ni morale, ni d’âge ni de sexe, ni de nationalité ni de culture, ni même spirituelle. Quelle est-elle ?
Quelle différence peut-on faire entre le Père et le Fils, et l’Esprit, sans remettre en cause leur essentielle identité de nature (homoousios) ?

Le Père aurait-il pu s’incarner ? Il ne s’est pas incarné mais il a envoyé son Fils : « il a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle ». Et dans l’expression ‘croire en lui’, il s’agit autant du Fils que du Père : il s’agit de croire en Dieu Trinité, Père, Fils et Esprit-Saint, ainsi que nous le signifions chaque fois que nous traçons sur nous un signe de croix. Amen, oui je crois.

Je dirais que la différence des personnes divines est une différence hiérarchique, qu’il est propre au Fils d’obéir au Père, de recevoir de lui sa vie et sa mission, qui sont commandées par l’amour. Et cette relation de subordination du Fils au Père, qui est la source absolue, se fait dans la communion du Saint-Esprit, ainsi que le célébrant le rappelle au début de la Messe : « La grâce de Jésus notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père et la communion de l’Esprit-Saint soient toujours avec vous ».

La différence entre le Père et le Fils s’appelle l’autorité.

Les opposants à Jésus lui posèrent la question : « Par quelle autorité fais-tu cela ? Ou bien qui t’a donné autorité pour le faire ? ». Question à laquelle Jésus ne répondit pas parce qu’il savait qu’ils ne croyaient pas en lui (cf. Mc 11, 27-33), et qu’ils calaient leurs croyances en fonction de leurs intérêts personnels et de leur image publique. Voyez ceci : le Père n’a aucune difficulté à commander et le Fils n’a aucune difficulté à obéir, parce qu’ils sont dans la communion de l’Esprit.

Le Père et le Fils ne ‘communiquent’ pas. La seule communication divine est extérieure à Dieu, qu’un théologien (Karl Rahner) appelait l’auto-communication de Dieu qui se révèle à nous, et le seul lieu où la Tradition de l’Eglise emploie le mot est la ‘communication des idiomes’ (un idiome est une langue propre à une communauté ou à une personne) qui fait que tout ce que Jésus Christ a vécu dans son humanité peut se dire de toute la Trinité : Dieu est mort sur la croix. Mais on ne peut pas le dire des autres personnes de la Trinité : on ne peut pas dire que le Père a été crucifié, ni l’Esprit. Dieu a souffert la Passion en son Fils, et c’est l’expression la plus forte de la communion divine. En Dieu il y a communion, il n’y a pas communication.

La conséquence pour nous est immense : il s’agit de revoir et de repenser nos hiérarchies humaines à la lumière de la hiérarchie divine. A commencer dans l’Eglise ! Que faisons-nous en effet, depuis la Chute ? Nous appliquons la transcendance divine aux hiérarchies humaines, nous reportons la différence entre Dieu et l’homme aux hiérarchies humaines, dans une conception insensée de la monarchie, qui fait que nous comprenons la différence de mission comme une différence de nature.
Le Père et le Fils sont dans une absolue égalité, et si le Fils obéit au Père, c’est par le même amour, qui fait qu’ils reçoivent « même adoration et même gloire ». Est-ce ainsi que nous vivons entre nous ? Est-ce ainsi que s’ordonnent les relations et les hiérarchies humaines ? Est-ce seulement l’exemple que nous donnons dans l’Eglise ? D’une égalité des personnes dans la diversité de leurs missions ?

Cessons de parler de manques de communication : ce sont des manques de respect. Des deux côtés.
Il n’y a aucune amertume de la part du Christ dans l’ignorance du Jour de sa venue : il fait toute confiance au Père. Tout ce qu’il fait et dit, il le fait comme le Père lui a dit de faire. Au point que le Père peut dire : écoutez-le.

Je connais l’objection : quel intérêt y a-t-il à se donner du mal pour les autres, à assumer des responsabilités, si on n’en tire pas un certain nombre d’avantages matériels ? Nous ne sommes pas des anges ! C’est vrai. Mais à quoi sert-il alors qu’au Jeudi saint, nous refaisions le geste du lavement des pieds ? « Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ».

Mes amis, nous adorons Dieu et nous le contemplons pour nous inspirer de Lui. Dans sa bonté, sa patience, sa miséricorde, sa fidélité à notre égard. Nous inspirer de Lui sans nous prendre pour Lui ! S’inspirer de Dieu pour vivre en communion d’amour les uns avec les autres. Nous sommes Chrétiens quand nous imitons le Christ dans l’obéissance à son Père et le service de nos frères.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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