Solennité de la Pentecôte - 23 mai 2021

Jn 15, 26-27 ; 16, 12-15

 

La plus grande réticence de mes amis incroyants tient à la possibilité que Dieu nous parle. Parfois ils me charrient. Je pense à un réalisateur d’excellents films documentaires que je connais depuis trente ans. Il est juif et homosexuel, deux raisons pour lui d’être réservé envers le prêtre catholique que je suis – si on ne se connaissait pas depuis si longtemps. Chaque fois qu’on se croise, il me taquine : ‘Toi qui entends Dieu … ?’.
Les enfants aussi sont intrigués : ‘Est-ce que c’est vrai que Dieu te parle ?’. Et ils veulent autre chose qu’une réponse d’adulte, condescendante et convenue, comme s’ils ne pouvaient pas comprendre, alors qu’ils sont les mieux à même d’accueillir ce que leur raison en plein essor n’a pas encore verrouillé.
Alors je leur raconte de temps en temps une de ces expériences auxquelles je ne m’habitue pas, où j’ai entendu en moi une voix qui ne venait pas de moi et qui disait des choses stupéfiantes. La première fois, qui a fait basculer ma vie, je me suis entendu dire, il n’y a pas d’autre expression, à mon ancien aumônier de lycée, que je rencontrais chaque année alors que j’étais loin d’être un bon croyant, je me suis entendu lui demander : ‘Est-ce qu’il y a un âge limite pour entrer au Séminaire ?’. Et j’ai pensé deux choses : pourquoi tu dis ça ? Et : c’est pas bête. Je ne l’ai pas vu venir.
Un mois après, j’allais faire sur ses conseils une retraite en silence. J’arrive un dimanche soir dans cet univers peu réjouissant quand on vient de la société civile, et rebelote. Voilà que le prêtre qui m’accueille me demande pourquoi je viens suivre une retraite. Pris au dépourvu, je ne sais quoi répondre, quand j’entends une voix sortir de ma bouche : ‘Je cherche le visage du Seigneur’. Wouaouh ! J’étais aussi médusé que Jacob se réveillant de son songe : « Que ce lieu est redoutable ! C’est vraiment la maison de Dieu, la porte du ciel ! » (Gn 28, 17).

Les autres fois sont différentes. Les plus fréquentes sont des inspirations lors d’entretiens où je m’entends dire des choses qui ne viennent pas de moi ! Parfois j’ai même envie de les noter tellement c’est bien ! C’est l’avantage : je n’en tire aucune fierté, ce n’est pas de moi ! Comment je sais que cela vient de Dieu ? Elles répondent à trois critères : primo d’étrangeté, ça me dépasse. En second lieu elles sont positives, obligatoirement bienveillantes : Dieu est Amour. Troisième impératif, elles ont trait au Christ et à son Evangile. « Bien-aimés, dit saint Jean, ne vous fiez pas à n’importe quelle inspiration, mais examinez les esprits pour voir s’ils sont de Dieu. Voici comment vous reconnaîtrez l’Esprit de Dieu : tout esprit qui proclame que Jésus Christ est venu dans la chair, celui-là est de Dieu » (1 Jn 4, 2).

Une fois, au cours d’une messe, j’ai eu une ‘locution intérieure’, comme on dit en théologie mystique, en l’occurrence une parole prophétique pour un couple qui était en face de moi. J’ai bien fait de ne pas leur dire parce que je me suis trompé sur le sens de cette parole ! Elle s’est réalisée mais pas comme je l’avais comprise ! Je m’en souviens avec une précision  impressionnante : la phrase s’est imprimée en moi, et je n’ai aucun mal à croire que toutes les paroles du Christ se sont ainsi gravées dans le cœur de ses disciples.

Tant de personnes viennent me voir qui me disent qu’il n’y a qu’à un prêtre qu’elles peuvent le raconter sans passer pour des cinglées. Je les rassure : c’est vrai. Je vérifie avec elles les trois critères : du souffle de l’Esprit « tu ne sais ni d’où il vient ni où il va » (Jn 3, 8). C’est bienveillant, et le prophète Balaam appelé par le roi Balaq ne pouvait que bénir ! Moyennant quoi il n’a pas été payé ! (Nb 24, 11). 3ème critère : une vision de l’amour de Dieu. Avant de repartir, Balaam prononça ces paroles énigmatiques : « Un astre se lève, issu de Jacob, un sceptre se dresse, issu d’Israël » (Nb 24, 17).

Au début de la Semaine sainte, alors que je dormais, j’ai reçu une injonction catégorique : ‘tu n’utiliseras pas d’eau pour le lavement des pieds’. Ce qui est marquant est moins le contenu des messages que la façon dont ils résonnent en nous. J’ai donc fait au Jeudi saint le lavement des pieds ‘sans eau et sans pieds’, en allant me prosterner sans rien dire aux pieds de douze fidèles présents, et les retours que j’ai reçus m’ont convaincu que c’était bien ça qu’il fallait faire. Est-ce que j’ai rêvé ? Est-ce que les disciples à la Pentecôte ont rêvé cette scène qu’il faut bien qualifier d’onirique – sortie d’un rêve, le mot est utilisé en littérature et en psychiatrie. Est-ce que Dieu peut nous parler en rêve, pendant que nous dormons ?

Je constate simplement que l’évangile de saint Matthieu commence avec l’annonce en rêve à Joseph. Et le dernier chapitre de l’évangile de saint Jean, ce chapitre 21 que l’on considère comme un rajout, la fin du chapitre 20 donnant une conclusion suffisante, ce chapitre  21 de saint Jean a tout du rêve prémonitoire. En tout cas, il relève d’un autre genre littéraire, avec un mélange de données mystérieuses comme dans nos rêves, de souvenirs comme la pêche miraculeuse, d’annonces et de visions. C’est une vision surnaturelle de l’autre rive, d’une intimité heureuse et retrouvée avec le Seigneur, la promesse de sa présence et de son pardon. Ce sera en effet dans le sommeil de la mort que le Christ viendra nous appeler, du sommeil de la mort dont il viendra nous sortir.

La présence de Dieu ne peut se limiter à notre seule conscience : se convertir signifie le laisser évangéliser notre inconscient. Nous devons, au sens fort, rêver de Dieu. Vivre tellement avec Lui qu’il vienne illuminer y compris nos nuits. Ce sera un beau feu comme en rêve.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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