6ème dimanche du temps ordinaire - 12 février 2023

Mt 5, 17-37

 

« Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux » (Mt 5, 20). Cette parole du Christ est la clé de la compassion comme de la miséricorde : l’une comme l’autre, la compassion pour les victimes et la miséricorde pour les pécheurs, la compassion pour les souffrances et la miséricorde pour les offenses surpassent, dépassent la conception humaine de la justice.

De la compassion, l’évangile qu’on vient d’entendre nous livre quatre piliers, critères, composantes ou conditions.

C’est d’abord une question de temps : cet évangile est super long ! Pourquoi manquons-nous souvent de compassion ? Parce que nous manquons de temps, nous n’en prenons pas le temps, nous n’avons pas prévu ce temps dans notre organisation de vie, la possibilité d’un temps d’arrêt toutes affaires cessantes. Le flux tendu, le juste-à-temps est l’ennemi de la compassion. Nous nous enfermons nous-mêmes. Pourquoi, dans la parabole du bon Samaritain, les deux premiers passants ne se sont-ils pas arrêtés ? Pour ne pas se rendre impurs, dit-on, à cause d’un homme en sang, qui aurait exigé qu’ils se livrent ensuite à de multiples rites de purification : ils n’en avaient pas le temps. Ils n’en ont pas pris le temps.
L’élément déterminant est la réactivité parce que la compassion est une charité en acte voire en réact ! Lorsqu’une personne nous apprend qu’elle est malade ou qu’un de ses proches est très malade ou vient de mourir, nous pouvons, comme Jésus à l’annonce de la maladie de Lazare, laisser passer trois jours, à condition de pouvoir comme lui le ramener à la vie ! Sinon, la compassion veut que nous nous manifestions immédiatement, que nous soyons capable d’entrer dans le temps de l’autre, son bouleversement. Et cela suppose que nous ayons cette disponibilité, des plages de libres, pour les autres.

La deuxième condition de la compassion, et sa difficulté, en cas d’annonce dramatique, est de trouver les mots justes. Que dire ? Déjà quoi éviter, quoi ne pas dire : des formules toutes faites, creuses, froides, impersonnelles. Dans ce passage du Sermon sur la Montagne, Jésus révèle la plénitude de la Loi – c’est l’amour ! – Je ne suis pas venu l’abolir mais l’accomplir, en la sortant de sa littéralité pour en révéler l’esprit. On vous a dit – eh bien moi je vous dis.
« Donner un sens plus pur aux mots de la tribu » : les plus anciens connaissent ‘le tombeau d’Edgar Poe’, ce poème de Stéphane Mallarmé : « Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change » … « Eux, oyant jadis l’ange – Donner un sens plus pur aux mots de la tribu ».

Combien de fois ai-je entendu l’amertume de personnes endeuillées autant pour le silence que pour les messages impersonnels de ‘condoléances’. A prononcer façon Arletty dans Hôtel du Nord lorsque Louis Jouvet qui joue son protecteur la trouve trop collante : « J’ai besoin de changer d’atmosphère, et mon atmosphère, c’est toi ». Et Arletty, avec sa gouaille : « C’est la première fois qu’on me traite d’atmosphère ! … Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? ».
« Condoléances, condoléances, est-ce que j’ai une tête de condoléances ? ».

Que dire alors ?

Ce que vous dit votre cœur. Parler avec le cœur, c’est le message que le Pape a publié, pour la Journée des Communications Sociales, en la fête le 24 janvier de saint François de Sales, le Docteur de l’Amour, qui disait : « le cœur parle au cœur ». Saint John Henry Newman en a fera sa devise : Cor ad cor loquitur. « Il suffit de bien aimer pour bien s’exprimer », était l’une de ses convictions, ou le fait que « nous sommes ce que nous communiquons ».

Je garde en mémoire l’interpellation d’une femme de théâtre, comédienne et écrivain, qui nous disait à nous prêtres : ‘Est-ce que vous pensez, est-ce que vous croyez vraiment ce que vous dites ?’.

Le 4ème pilier de la Compassion, après le temps à prendre, après la parole sincère même maladroite, après la parole qui vient du cœur, – la 4ème caractéristique de ce passage d’évangile est l’omniprésence du Christ. C’est à son école que nous apprenons la compassion. Devant les foules qui étaient comme des brebis sans berger. Face au lépreux, au mendiant, l’étranger.

Notre église est dédiée à Notre-Dame de Compassion. Les auteurs spirituels ont souvent associé la Compassion de Marie à la Passion du Christ : il faut comme elle recevoir son Corps au pied de la Croix, le prendre en nous, dans nos bras, pour aimer et soutenir nos frères et sœurs malades et souffrants, quelles que soient leurs épreuves : j’étais seul, malade, abandonné et vous êtes venus jusqu’à moi. Il faut pour cela aimer Jésus comme Marie, jusqu’au pied de la Croix.

Le Christ fait le lien, l’unité entre nous. Prenons le temps de nous arrêter, de laisser descendre sa Parole en nos cœurs, de la laisser résonner en nous, en contemplant la Passion pour apprendre la compassion, pour rester unis dans les épreuves, nous rapprocher de ceux qui ont besoin d’être aimés, secourus, consolés.

La compassion, mère de consolation.

Prière à Notre Dame de Compassion, du 16 janvier 2017, Marie, refuge des pécheurs :

Vierge Marie, comme des enfants auprès de leur mère,
nous venons chercher auprès de toi
tendresse, réconfort et consolation.
La consolation, signe authentique de la compassion.

Femme des sept douleurs, tu sais ce qu’est l’angoisse,
le sentiment qu’un glaive transperce le cœur.
Tu es restée fidèle, préférant tout quitter,
fuir la jalousie et la cruauté.
Même ton enfant a semblé t’échapper,
se détournant alors qu’il t’était confié.

Tu l’as vu se faire injurier, frapper, condamner,
folie de l’injustice, de l’innocence persécutée,
pour ceux qui ne font qu’aimer.
Tu es là au pied de la croix.
Tu gardes le souvenir de son corps dans tes bras,
alors qu’on veut mettre au tombeau
celui dont le Nom est Pardon.

Vierge Marie, mère de l’espérance
tu es l’amour qui peut tout supporter,
traverser la mort et recevoir l’Esprit
quand tout semble fini.

Je te salue Marie, pleine de souffrances,
Dieu qui pleure est avec toi.
Tu es éprouvée entre toutes les femmes,
et Jésus, le fruit de tes entrailles, souffre pour nous.
Sainte Marie, Mère du Ressuscité,
donne nous sa force autant que tes larmes,
toi qui l’as vu crucifié,
pour nous donner la Vie.
Amen.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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