Annonciation du Seigneur - 25 mars 2020

Lc 1, 26-38

 

Il n’est pas sûr que cette visite de l’Ange à Marie ait été pour elle agréable à vivre. Ce ne fut pas pour elle un jour heureux. Même pas un bon souvenir. Inoubliable, certainement ! Elle a dû le raconter plus d’une fois aux disciples, y repenser sans cesse, elle qui gardait tout cela dans son cœur, dans sa mémoire vive, le souvenir d’une expérience bouleversante, qui a bouleversé sa vie et la nôtre. Si chaque année nous y revenons avec autant de sérieux et de solennité, si elle est pour nous une fête majeure de notre foi, bien qu’elle n’ait pas le rang ou le statut de messe d’obligation comme le 15 août, c’est parce que ce jour fut pour Marie le premier jour d’une nouvelle vie.

Notre vie commence le jour où Dieu nous devient intérieur, plus intime à moi que moi-même.

En fêtant la Nativité du Seigneur neuf mois plus tard, le 25 décembre, nous faisons du 25 mars, de cette Annonciation le jour de la conception de Jésus en Marie par la puissance de l’Esprit. « Voici que tu vas concevoir » dit l’Ange. « L’Esprit Saint viendra sur toi », dit-il encore. Quand ça ? A l’instant où Marie dit Oui. La Parole de Dieu s’accomplit en celui qui lui ouvre son cœur. « Il parla et ce qu’il dit exista » (Ps 32, 9).

Pourtant ce jour ne fut pas pour Marie un jour de joie. Le bouleversement fut trop fort, le choc trop grand. Elle n’était pas de taille, trop fragile pour un tel événement. Pas plus fragile qu’une autre, mais fragile comme tout être humain : la fragilité est un trait essentiel de la condition humaine. Seuls les barbares le contestent. Nous sommes des êtres fragiles.
La joie est venue après, avec et grâce à Elisabeth, à la Visitation, quand elles ont été l’une avec l’autre. La joie est faite pour être partagée, pour nous unir, et nous ne pouvons pas la vivre tant que nous ne savons pas avec qui ou à qui la donner : voilà pourquoi l’Ange lui parle d’Elisabeth, car le Seigneur sait que la joie est faite pour être partagée. La joie est une relation, et le pape Benoît XVI disait qu’elle est, dans l’évangile de saint Luc, plus encore que le signe, le vrai nom de l’Esprit-Saint.

Que ma joie soit en vous, dit Jésus : Et avec votre Esprit !

Je voudrais, en cette fête de l’Annonciation, vous livrer trois réflexions pour le temps d’épreuve que nous vivons.

Aucun bouleversement ne peut être un bon souvenir. Il n’y a rien d’heureux ni d’euphorique pour Marie dans cette scène de l’Annonciation, parce que, si pure soit-elle, si vertueuse, si pieuse et si bien préparée qu’elle fût à l’annonce de la venue du Messie, ce fut sidérant.
Marie réagit de façon admirable, avec simplicité. La simplicité est la première qualité de Dieu et le premier chemin qui conduit à Lui. C’est d’ailleurs le meilleur critère de discernement, que l’absence d’artifice, de calcul, de simulation ou d’arrière-pensée. Marie la toute-simple : « Comment cela va-t-il se faire, puisque je ne connais pas d’homme ? ».

Aucune épreuve, quelle qu’elle soit, n’est heureuse à vivre. A fortiori quand le drame est immense, la catastrophe épouvantable, mais tout changement comporte une telle part de séparations, de renoncements et d’incertitudes qu’il nous plonge profondément dans notre fragilité.

Deuxièmement, il faut du temps pour l’absorber, et cela ne se fait pas tout seul, je veux dire malgré soi : cela nécessite, Marie est notre modèle, d’en garder la mémoire vive. Nous faisons mémoire de l’Annonciation du Seigneur pas seulement le 25 mars, mais à d’autres moments de l’année, ne serait-ce que dans le Rosaire, les mystères du chapelet qu’on dit joyeux au nom du Saint-Esprit. Cette mémoire suppose que nous la vivions également pour nous-mêmes, que nous nous souvenions chacun de notre propre Annonciation : quel est le jour de votre vie où pour la première fois Dieu vous a parlé, visité, où vous avez pris conscience de Dieu avec vous ?
Quel est le jour où vous avez ressenti que Dieu n’est pas une puissance ‘extérieure’ (que la théologie appelle ‘présence d’immensité’), mais une personne présente auprès de vous, une ‘présence de grâce’.

Je pourrais moi-même vous raconter ce jour de ma vie, si improbable et déconcertant. Mais c’est à vous que je m’adresse. Je vous en supplie : essayez de vous souvenir. Il y a bien un jour, peu importe l’âge que vous aviez, où vous avez ressenti cela, cette présence, en vous, auprès de vous, où vous avez perçu quelque chose d’une relation personnelle avec Dieu, qui n’avait rien à voir avec la beauté du monde ou la grandeur de la Création.

Vous avez eu l’espace d’un instant ce sentiment bouleversant qu’il y a Quelqu’un qui vous connaît, Quelqu’un de Bon, qui vous veut du bien. Qui est là, avec vous.

L’Annonciation est le passage de cette présence d’immensité à une présence de grâce. Marie l’a vécue de façon parfaite puisque c’est grâce à elle et par elle que Dieu s’est fait l’un de nous. C’est grâce à elle et par elle que cette expérience personnelle est devenue réalité historique et collective. Mais nous devons tous passer par là, par une Visite de l’Ange, par la venue de l’Esprit, par cette main de Dieu qui attend notre Oui.

Oui, entre, Seigneur, dans ma vie.

Troisième réflexion, il dépend de nous que ce choc, bouleversant, cette révélation, cette venue du Seigneur en nous soit fugace ou pérenne. Il dépend de nous que la relation se construise, trouve ses fondations, prenne place dans notre vie, ou tombe dans l’oubli.

Dieu est Amour. Dieu est fidèle. Il reste fidèle même si nous nous éloignons, il nous a aimés et il nous aimera jusqu’au bout. Il attend notre Oui. Le temps d’épreuve que nous vivons, de confinement, de dépouillement, d’incertitude, est le temps de se souvenir.
Nous souvenir du premier jour de notre vie avec Dieu. Le jour où l’Esprit nous a saisi. Vous avez peut-être eu peur de ce bouleversement. Aujourd’hui écoutez à nouveau la parole de l’Ange : « Sois sans crainte, tu as trouvé grâce auprès de Dieu ».

Cette parole a été confiée à Marie notre mère. Elle nous a été transmise par les Apôtres de son Fils, de génération en génération, pour que nous puissions tous l’entendre, tous les jours de notre vie : Veux-tu vivre avec moi ? dit le Seigneur. Veux-tu vivre avec moi et pour moi, au service de l’amour ? Dans la paix, la lumière et la joie, pour toujours.

Marie a répondu pour moi : Je suis la servante du Seigneur.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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