3ème dimanche du Carême - 4 mars 2018

Jn 2, 13-25

 

Avez-vous remarqué que Jésus, chassant les vendeurs du Temple, renvoie les animaux et l’argent, mais surtout les animaux. Il existait d’autres produits en vente, de la terre et du sol : « si tu offres au Seigneur une oblation de prémices, c’est sous forme d’épis grillés au feu ou de pain cuit avec du blé moulu » (Lv 2, 14). Certes, ils avaient moins de valeur que les animaux, d’autant qu’on se souvenait que, venant de Caïn, ils n’avaient pas été agréés, à la différence des premiers-nés du troupeau de son frère Abel qui fut lui-même immolé.

Jésus renvoie du Temple ce qui est animal, et monétaire, mais il ne touche rien de ses mains : il prend un fouet pour le bétail, il fait tomber la monnaie à terre en renversant les tables, il ordonne aux marchands de colombes d’enlever cela d’ici, mais lui-même ne touche rien, car la première dimension du sacré est de savoir ce que l’on peut toucher. A contrario, un des changements les plus importants que nous vivons depuis cinquante ans en France est la propension à nous toucher. Quelles que soient les influences, on s’embrasse, on se serre dans les bras, de l’abbraccio à l’italienne au big hug à l’américaine, société de l’étreinte et du câlin. A tel point que Rome a publié une note pour appeler à plus de sobriété dans le geste de paix à la messe.

Nous sommes une religion de la solennité. C’est vrai de toute religion ? Peut-être pas à ce point-là, vu le silence et la distance demandée à l’assemblée, le rituel et la liturgie codifiée, signes de l’humilité et l’obéissance des croyants, une façon de dire : cela ne nous appartient pas. Nous sommes les héritiers, les descendants d’un peuple de saints, suivant la formule du jeune Tobie qui le soir de son mariage dit à Sara : Stop ! ‘Nous ne pouvons pas nous unir comme des païens qui ne connaissent pas Dieu’. Ils se levèrent tous les deux et se mirent à prier ensemble avec ferveur. La solennité de nos célébrations exprime la grandeur de l’amour de Dieu. Nous assumons le reproche correspondant de manquer de légèreté, à la messe et dans la vie privée, y compris en matière de sexualité. La question est de savoir si la gravité vient de nous ou du sujet, si c’est notre approche qui est grave ou le sujet qui le veut et requiert du sérieux.

Avant que David devienne roi, du temps où il était poursuivi par Saül qui voulait sa mort, survient un épisode scabreux où Saül entre dans une grotte pour se soulager. Or David y était réfugié, caché avec ses hommes qui lui disent : vas-y, tue-le ! David s’apprête à en profiter, coupe un bout du manteau de Saül et s’arrête, le cœur prêt d’exploser : « Que le Seigneur me préserve de porter la main sur celui qui a reçu l’onction du Seigneur ! ». L’histoire se répète deux chapitres plus loin, et David à nouveau s’abstient : « Qui pourrait demeurer impuni après avoir porté la main sur celui qui a reçu l’onction du Seigneur ? » (1 S 26, 9). Ah, si nous pouvions avoir le même respect dans le domaine sexuel : si hommes et femmes de foi, si les fidèles du Christ pouvaient s’abstenir de relations qui ne sont pas consacrées.

Quand Dieu a donné la Loi à son peuple, juste après sa libération d’Egypte, – ce fut en quelque sorte sa ‘confirmation’ (après le passage de la Mer rouge qui avait été son baptême), la chose fut précédée d’une mise en garde sévère. Tout le peuple fut appelé à se sanctifier et rester à distance :
« Fixe des limites au peuple, en leur disant : Gardez-vous de gravir la montagne et d’en toucher le bord ! Quiconque touchera la montagne sera mis à mort ! » (Ex 19, 12). Et celui qui le ferait, et serait mis à mort, tu ne le toucheras pas de la main, il sera lapidé ou percé de flèches. Pourquoi ? Pourquoi le Seigneur au Sinaï a-t-il ordonné cette distance respectueuse et sacrée ? L’Ecriture y répond : pour garder mes paroles. Pour écouter. Ecoute Israël. Nous sommes ainsi faits que plus nous touchons, moins nous écoutons. Et, pour les couples, plus vous vous parlez et vous écoutez, mieux vous vous touchez. Et il y a un temps et un lieu pour tout, un temps pour s’écouter et un lieu pour se toucher.

Notre propension moderne à nous embrasser s’explique par un rééquilibrage, après des siècles de jansénisme, et de rejet injuste du corps. Nous le comprenons et nous y consentons comme le pape François qui accueille à la manière de Jésus avec les enfants : « Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains » (Mc 10, 16). Attention, les enfants ! Ce n’est pas autorisé dans l’intimité. En dehors de la présence de vos parents, personne n’a le droit de vous toucher. Et au fur et à mesure où vous grandissez, vous devez apprendre ce que vous aussi avez le droit de toucher. Au fur et à mesure où vous grandissez, vous apprenez à parler parce que c’est notre façon de communiquer : par la parole. De nous connaître, nous parler et nous aimer. La Parole est la façon dont Dieu se fait connaître, et nous dit, par son Verbe, qu’il nous a tant aimés.

Je me suis moi-même posé la question parce qu’à la sortie de la messe, j’embrasse beaucoup. Est-ce que cela convient ? Oui quand il s’agit de personnes avec qui et pour qui j’ai beaucoup prié, rencontrées lors d’événements forts, de deuils ou maladies. Joie du Père de la parabole du fils prodigue qui embrasse son fils revenu à la vie !

Voyez dans l’évangile comment Jésus touche ceux qui sont rejetés, le lépreux que nul ne doit approcher, et garde à distance Marie-Madeleine qui déborde d’émotion de le retrouver. Il y a un discernement à demander sur le langage à employer, de la parole ou du corps, eu égard au sacré : le Temple dont il parlait c’était son corps. Saint Paul en fait une extension magnifique en nous l’appliquant à nous-mêmes : « Ne le savez-vous pas ? Votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint, lui qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu ; vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes, car vous avez été achetés (délivrés) à grand prix. Rendez donc gloire à Dieu dans votre corps – ou par votre corps » (1 Co 6, 19-20).

Jésus renvoie du Temple ce qui est animal. Il faut dire que dans la Bible l’animal symbolise l’impureté, en particulier alimentaire : chiens et cochons mangent n’importe quoi. Dans notre culture occidentale, le bestiaire représente plutôt un défaut d’intelligence, des animaux qu’on appelle des bêtes, les ânes, les cervelles d’oiseaux, les têtes de linotte. Tout autre est la symbolique sexuelle, où l’animal représente ce qu’on ne peut pas contrôler, qui échappe à la volonté.

Un jour, Jésus a guéri « un homme sourd qui avait de la difficulté à parler » (Mc 7, 31-37). Il l’a emmené à l’écart, loin de la foule. « Mettant les doigts dans les oreilles, avec sa salive, il lui toucha la langue ». Comment le sait-on ? Des témoins ont-ils vu ça de loin ? Est-ce l’homme qui l’a raconté malgré l’ordre de Jésus « de n’en rien dire à personne » ? Il se trouve que l’homme a été guéri : il pouvait entendre et parler. C’est la guérison que nous pouvons tous demander : que l’Eglise soit le lieu où nous formons un même corps à l’écoute de Dieu pour accueillir son amour, y répondre, et vivre dans cet Esprit. En un mot, respecter le sacré pour apprendre à aimer.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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