30e dimanche du Temps Ordinaire - 29 octobre 2017

Mt 22, 34-40

J’ai posé la question autour de moi, à des proches et à des personnes que je rencontrai, au hasard des conversations : quel est selon vous le plus grand péché ? Puisque nous ne sommes pas d’accord aujourd’hui, à notre époque, sur ce qui est le plus grand bien, qui est, comme le rappelle l’évangile de ce dimanche, l’amour de Dieu, ne pourrions-nous pas au moins être d’accord sur ce qui est le plus grand mal ?
Oui, telle était ma question : plutôt que de demander quel est le plus grand bien, le ‘grand commandement’, dites-moi donc quel est le plus grand mal, le grand péché ?

La question est d’actualité puisque c’est ce que nous allons fêter cette semaine : le plus grand bien, à la Toussaint, avant de demander que du plus grand mal nos défunts soient préservés, c’est-à-dire de l’enfer. « Arrache-nous la damnation et reçois-nous parmi tes élus ».

Et quel ne fut pas mon embarras que beaucoup me répondent : le déni de Dieu. J’aurais au moins préféré qu’on me réponde le refus du pardon. Il a fallu que je leur explique que le plus grand mal dans l’ordre théologique n’est pas forcément le premier dans l’ordre chronologique. Historiquement, le premier péché, le péché originel, d’Adam, est la désobéissance à Dieu, le péché de non-écoute, dont l’Ecriture enseigne qu’il a été commis à l’instigation du Tentateur, de Satan. C’est le Diable qui est l’auteur du premier péché en refusant dans l’instant de sa Création d’adorer le Créateur : Non serviam !
Mais le plus grand péché est le meurtre, le deuxième historiquement parlant, commis par Caïn sur son frère Abel, et qui ne cesse de se répéter : « Tout ce sang innocent répandu sur la terre, dira Jésus, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, assassiné entre le sanctuaire et l’autel » (cf. Mt 23, 35).

Il est nécessaire qu’on s’accorde entre nous, entre nous tous, sur la réalité du mal. Il n’y a de dialogue possible, et de paix entre nous, qu’à partir d’un espace de langage commun, d’une réalité objective partagée. Le problème de notre époque est la priorité donnée au ressenti sur la réalité elle-même, qui empêche le dialogue puisqu’il n’y a plus d’espace de langage commun, de réalité partagée : chacun se cantonne à la perception subjective qu’il en a.

Il est impératif que nous ayons, croyants et incroyants, un terrain d’accord, un consensus sur la réalité du mal. Ce n’est pas parce que le Christ nous demande de ne pas craindre ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent rien faire de plus (Lc 12, 4), que nous devons tenir la mort pour négligeable. Le plus grand péché est l’homicide, le meurtre d’un innocent. Jésus est mort sur la Croix pour que nous comprenions que tout mal fait à l’homme est fait à Dieu. Et l’inverse ? Tout mal fait à Dieu se répercute-t-il sur les hommes ?

C’est le négatif et la question de l’évangile de ce jour. L’amour suppose que nous soyons capables de nous écouter, de nous accorder sur ce qui est constitutif de l’être humain, de la dignité humaine. Est-il donc possible de trouver un consensus, par-delà les croyances, les cultures, et les époques, sur une même idée de l’humanité ? Sortons un instant de la Loi divine qui fonde le principe même du péché, pour voir si l’on peut s’accorder rationnellement, positivement, sur une même conception de l’humanité.
Serions-nous d’accord pour dire qu’il n’y a rien de plus grave que les violences commises contre des personnes vulnérables, sans défense, les enfants ou les vieillards, et, sur un plan collectif, contre des minorités, surtout quand ces crimes sont commis par des personnes en situation d’autorité, notamment morale ?
Voici une définition du crime contre l’humanité : des violences irréversibles commises contre des personnes sans défense par des personnes en situation d’autorité. Les deux exemples les plus évidents sont la Shoah et la pédophilie. Même sur ces horreurs, le consensus n’est pas certain, et il s’en trouve hélas pour relativiser l’immonde, en prétextant qu’il faut replacer les situations dans un contexte, chercher à comprendre.

Sur d’autres sujets, le débat est encore plus vif, de l’esclavage ou de l’avortement.

Sur le premier, de  privation de liberté, notre aveuglement est toujours d’actualité quand on sait que le nombre de réfugiés parqués dans des camps dans le monde est supérieur à la population de la France. Plus de soixante millions de personnes sont réfugiées dans des camps, beaucoup y sont nées, sans espoir de sortie. Ce n’est pas de l’esclavage ? C’est vrai : on ne les force pas à travailler.

Sur le sujet de l’avortement, qui pose l’excès inverse d’abus de liberté, mon corps mon choix, le dialogue est impossible faute de s’entendre sur le statut de l’embryon et la vie de la femme. C’est elle qui dit pourtant : j’attends un enfant. Nous avons face à face deux positions incapables de s’écouter, l’une qui prétend qu’il s’agit d’un acte sans conséquences, selon le Planning familial par exemple, de l’autre les défenseurs de la vie qui voient les dommages mais ne sont pas capables de les évaluer, d’établir médicalement, scientifiquement cette réalité. Quel est le pourcentage de femmes touchées par le syndrome post-abortif : cinq pour cent, trente pour cent, soixante pour cent, ou à terme la totalité ?

La réalité d’un mal ne dépend pas de la conscience que son auteur en a, ni que son époque en a. Le mal a une réalité objective, indépendante de la conscience et de l’époque. En revanche, la conscience est déterminante pour le bien : l’amour que le Christ commande n’est pas le sentiment amoureux mais la reconnaissance de l’autre. Il n’est pas ce que je ressens en moi mais ce que je reconnais en toi.
Voilà pourquoi le plus grand bien concerne le Seigneur notre Dieu, et le second qui lui est semblable, affirme que nous sommes à égalité devant lui, à égalité d’origine : notre dignité ne vient pas de notre famille, de notre histoire, de notre pays, mais de Dieu. Voyez comme tous les crimes humains sont des crimes contre cette filiation divine, qui contestent que juifs ou grecs, esclaves ou hommes libres, tous nous sommes enfants de Dieu par le Christ Jésus.

Quel est le péché le plus grave ? Est-ce de tuer au nom de Dieu qui constitue le blasphème absolu, ou de vivre comme si Dieu n’existait pas, ce qui finit par revenir au même, au vu de tous ceux que l’on s’autorise à tuer ou qu’on laisse mourir. Dire qu’il n’y a guère de différence entre tuer au nom de Dieu et vivre comme si Dieu n’existait pas, fera hurler les non-croyants, et embarrassera ceux d’entre nous dont les proches vivent gentiment, sans Dieu ni embêter personne.

Nous entendions cette semaine dans l’évangile une parole difficile du Christ : « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division » (Lc 12, 51). Il faut décrypter : ce n’est évidemment pas lui qui met la division, ce qui est le fait du Diviseur. Le Christ vient la révéler, y compris au sein de notre cœur.
La phrase est comparable à celle du Notre Père : ‘ne nous soumets pas à la tentation’. Dieu ne met pas la division pas plus qu’il ne soumet à la tentation : dans les deux cas, il les révèle pour que nous les évitions.

Mes amis, nous ne trouverons probablement jamais de consensus sur le mal, car le mal par nature divise. L’évangile nous demande de trouver l’unité dans le bien plutôt que la division dans le mal.

Un jour les apôtres demandèrent à Jésus « qui est le plus grand dans le royaume des Cieux ? » (Mt 18, 1).  Au moins eurent-ils le bon goût de ne pas lui demander qui était son préféré ! Saint Jean, qui parle du disciple bien-aimé, « celui que Jésus aimait », ne dit pas : « celui que Jésus préférait ». Vous connaissez cette question atroce : tu préfères ton papa ou ta maman ? Et vous, vous préférez qui ? Dieu ou vos proches ?

Le Christ nous demande de le préférer à notre propre famille : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple » (Lc 14, 26). « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi » (Mt 10, 37).

Pourquoi ?

Eh bien Dieu nous dit que si nous l’aimons, notre famille dépasse infiniment notre famille de sang, et devient toute l’humanité : tu aimeras ton prochain comme toi-même tu t’aimeras quand tu sauras à quel point tu es aimé de Dieu. Même si cet amour n’est pas le même, qu’il n’est pas interchangeable, et que nous ne pouvons pas remplacer le culte de Dieu par un acte de générosité envers un prochain.

Quand les apôtres demandèrent qui est le plus grand, Jésus ne se fâcha pas : il appela un petit enfant, le plaça au milieu d’eux, et dit : « si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des Cieux ». Cet enfant qu’il nous donne en modèle est celui que nous sommes quand nous écoutons ses commandements.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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