Fête de tous les Saints - 1er novembre 2017

Mt 5, 1-12

Les vacances de la Toussaint sont un temps heureux de repos et de répit après le rush et les bouleversements de la rentrée, comme pour ceux qui vivent encore suivant le rythme naturel des saisons et s’apprêtent à passer l’hiver. L’heure d’hiver a commencé dimanche ; l’hiver intérieur, le froid du cœur se manifestera demain au Jour des Défunts, mais la fête d’aujourd’hui a un air lumineux et cosmique qui fait le lien entre la fête du 15 août et celle de Noël qui se profile déjà. Voilà trois fêtes heureuses et paisibles que celles du 15 août, de la Toussaint et de Noël, par différence avec la semaine sainte, la Passion de Jésus le Roi des martyrs, et de toutes les fêtes de martyrs qui s’échelonnent au long de l’année, que viennent rappeler les dernières lignes des Béatitudes : Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute, si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Tant de saints et de saintes ont été persécutés jusqu’à la mort pour Jésus !

Une enfant à qui je demandais si elle voulait devenir sainte, m’a répondu indignée : Ah non, je ne veux pas mourir sur une croix ! Regarde Marie, lui ai-je dit : elle s’est endormie dans la mort, elle est entrée paisiblement dans la Gloire du Ciel. La petite n’était pas convaincue : elle a quand même bien souffert … Comme si les plaisirs de la vie étaient un obstacle à la sainteté.

On l’entend à diverses reprises dans l’évangile : « il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup » (Lc 9, 22) ; « il faut d’abord qu’il souffre beaucoup et qu’il soit rejeté par cette génération » (Lc 17, 25) ; « Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24, 26). Quelle est donc cette nécessité de la souffrance ?

Pour y répondre, prenons à bras-le-corps la critique faite à l’Eglise de canoniser plus de consacrés que de laïcs. Reconnaissons le nombre disproportionné parmi les Saints et les Saintes, de papes, d’évêques, de religieux et de religieuses, par rapport aux laïcs. La sainteté serait-elle réservée aux professionnels ?
Et encore, parmi les professionnels, faut-il faire un tri, et constater que les prêtres lambdas n’ont guère plus de chances que les laïcs : pour qu’un prêtre devienne saint, il faut qu’il soit évêque ou qu’il fonde une congrégation, un institut ou une grande œuvre. Lorsqu’à la fin de l’Année du Prêtre, voulue par Benoît XVI en 2010, et qui a été une année horribilis, on a attendu que le Pape nommât un saint patron des prêtres autre que le Curé d’Ars qui est le patron des curés, il a fallu renoncer car un saint prêtre « normal », ni curé, ni religieux, ni martyr, on n’en a point trouvé. Me voici donc, amis laïcs, dans une situation proche de la vôtre : sauf persécution et martyre, qu’il est interdit de chercher et scandaleux d’espérer, nous ne serons pas sans doute béatifiés.

Pour expliquer que les religieux soient plus nombreux dans l’assemblée officielle des saints on invoque le processus de béatification qui nécessite un grand nombre de témoignages, sur une période suffisamment longue, pour éviter les zones d’ombres, critère que seules des communautés religieuses stables garantissent, et puis aussi de l’intérêt et de l’argent : ça coûte cher. Ne serait-ce qu’en temps passé pour constituer les dossiers à présenter.
Ce n’est pas tout à fait ça. En réalité, il est difficile d’être homologué comme saint parce qu’on ne peut pas le devenir tout seul : on est sanctifié par les personnes et les situations qu’on ne supporte pas, qu’on n’a pas choisies. On ignore à quel point la vie communautaire est âpre, la vie avec des personnes si différentes, qu’on n’a pas choisies, et qui correspondent rarement aux critères que nous avons de la sainteté. Si vous saviez le nombre de procès en béatification où les frères ou sœurs en religion commencent par dire : « mais qu’est-ce qu’on va pouvoir lui trouver ? ». Y compris pour les plus grands saints, sainte Rita, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, saint Jean Bosco etc.

Tant de personnes si différentes et si difficiles à supporter. Les œuvres de miséricorde spirituelles en donnent une liste détaillée : les hésitants, incapables de décider (conseiller ceux qui sont dans le doute), les ignorants (qu’il faut instruire : enseigner les ignorants), les délinquants (à avertir plus qu’à redresser : exhorter les pécheurs), les larmoyants (consoler les affligés), les gens blessants (pardonner les offenses), les épuisants (c’est la meilleure : supporter patiemment les personnes ennuyeuses), avant que la dernière conclut : prier Dieu pour tous les vivants et au-delà de la mort.
Les hésitants, les ignorants, les délinquants, les larmoyants, les plus blessants, les épuisants. C’est sanctifiant ! Toutes ces personnes qu’on ne supporte pas, ou qu’on ne supporte plus. Les Saints et les Saintes sont là pour nous aider, et nous rappeler que c’est une grâce à demander à Dieu. Heureux les doux, ils recevront la terre en héritage.

Je voudrais en ce jour de Toussaint appeler de mes vœux trois nouveaux modèles de douceur et de sainteté.

D’abord, pour la famille des saints laïcs, je demande un couple de grands-parents dont les enfants ne soient pas des saints et dont certains petits-enfants ne sont pas baptisés. Et qui ne désespèrent pas pour autant. Ce serait embêtant de canoniser des parents dont les enfants ont refusé de suivre l’exemple ? Il y a tant d’incroyants qui pensent cela de Dieu le Père !

Un deuxième signe à donner au peuple chrétien sera la béatification d’un mari ou d’une femme restée fidèle à son mariage malgré la trahison et le départ du conjoint. Fidèle à son mariage signifie : qui continuera de l’aimer. Comme Jésus avec Judas. Continuer à aimer celui ou celle qui nous a trahi, trompé, abandonné, est impossible ? N’est-ce pas ce que Dieu fait sans cesse avec chacun de nous ? Et Lui sait tout !

Le troisième signe sera la béatification d’une personne avec un fort handicap, une personne trisomique, au nom de toutes celles qui sont persécutées, et leurs familles insultées. Quand reconnaîtrons-nous en elles la présence de la vraie douceur et de l’Esprit saint ?

La fête de la Toussaint est la fête de l’amour, que rien ne peut arrêter, qui va jusqu’au bout, qui supporte tout. Vous vous souvenez de cette scène après la Transfiguration où Jésus, retrouvant la foule et le reste de ses disciples, s’est exclamé : Génération incrédule, combien de temps vais-je devoir rester avec vous ? Combien de temps est-ce que je vais devoir vous supporter ? (cf. Mt 17, 17).
Jusqu’à la fin des temps.
L’amour supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. L’amour ne disparaîtra jamais. Demandons au Seigneur cette grâce de douceur : la douceur, par amour, de tout supporter.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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