Messe de la Nuit de Noël - 24 décembre 2018

Lc 2, 1-14

 

Il y a davantage de petits garçons qui veulent devenir cosmonaute qu’il n’y en a qui veulent devenir pape. Demandez-leur, quitte à être habillé en blanc, ce qu’ils veulent faire plus tard : pape ou cosmonaute ? Déjà les filles peuvent devenir cosmonaute. Les garçons peuvent cumuler : cosmonaute par amour de la Création, l’émerveillement devant la terre vue du Ciel, et ensuite prêtre, évêque et pape par amour des gens. La Création puis la Rédemption : la marche normale de l’Histoire. Pour l’instant en Europe, il y a davantage de prêtres que de cosmonautes mais le mouvement est en passe de s’inverser, vu les raisons de quitter cette planète, alors que nous fêtons ce soir le mouvement inverse : notre Père du Ciel a envoyé son Fils sur la terre.
Les enfants vous demanderez à vos parents et grands-parents ce qu’ils voulaient faire plus tard quand ils étaient petits. Mon père m’avait dit qu’il voulait être vétérinaire. Moi, je voulais être gardien de phare. J’hésitais entre pompier et gardien de phare. Je suis un peu des deux

Pompier, cosmonaute, policier, médecin, danseur ou danseuse – heureusement tous sont maintenant mixtes, hommes et femmes, les saints l’ont toujours été, qui expriment un désir profond qu’on pourrait qualifier d’héroïque, auquel correspond la vogue des super-héros dotés de super-pouvoirs. J’aimais bien en mettre dans la crèche, un batman, spiderman, superman, pour varier les personnages, épicer cette scène qui me semblait trop bucolique, des villageois et des moutons.

Vous savez la différence entre un héros et un saint ?

On dit que le héros compte sur ses propres forces tandis que le saint sait que la force de Dieu se déploie dans sa faiblesse. Plutôt que de les opposer, voyons leurs traits communs à commencer par le courage, qui ne consiste pas à ne pas avoir peur, mais à ne pas laisser la peur vous dominer. Comme les bergers devant les anges : « Ils furent saisis d’une grande crainte » ! – ça ne les a pas empêchés d’aller voir.
Au dernier repas de Jésus, les disciples étaient bouleversés. Jésus leur dit : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé ». C’est le même mot : cœur et courage, et les manques de courage sont des manques d’amour, un excessif amour de soi.
Les Apôtres étaient des hommes courageux. On s’attarde sur leurs peurs, quand ils voient Jésus marcher sur l’eau, au moment de la Passion, quand ils s’enferment au Cénacle, etc. Oui, ils ont eu peur et il y avait de quoi. Mais ils avaient plus encore, c’est le deuxième trait commun du héros et du saint, le sens du sacré et du sacrifice.

Comment fait-on, pour devenir courageux, jusqu’au sacrifice ? Est-ce que ça s’apprend ? Pour Joseph et Marie qui ont renoncé aux projets qu’ils avaient. Vous imaginez : ‘Joseph, qu’est-ce que tu veux faire plus tard ?’ – ‘Père adoptif du Messie’ – ‘Ce n’est pas un métier’.
Joseph était un homme juste : il avait le sens de la justice et autant du service. Il était le charpentier du village. Le sens du sacrifice commence par le sens du service, suppose un minimum de sociabilité, un amour des gens, aimer rendre service, sans juger.

Cela nous amène au troisième trait commun du héros et du saint, après le cœur, après le sacré : la générosité. Le souffle de la liberté, du caractère désintéressé fait passer les autres avant soi : nous le célébrons au baptême qui est le sacrement de la liberté des enfants de Dieu. Cette liberté est la première caractéristique du Christ, plus encore que sa bonté. Il est bon parce qu’il est libre.

Est-ce qu’on peut dire que Jésus est notre héros ? Que nous célébrons à Noël la naissance du héros ? L’année zéro de notre ère, le début de l’histoire, quand les saints sont des héros ? Il est en effet le seul Saint, qui nous fait découvrir qui nous sommes en vérité.

Quand le saint pape Paul VI a reçu le 16 octobre 1969 les trois cosmonautes qui avaient marché sur la lune, il leur a dit : « L’homme a la tendance naturelle d’explorer l’inconnu, de connaître le mystère ; mais l’homme a aussi peur de l’inconnu. Votre courage a dépassé cette crainte et, grâce à votre aventure intrépide, l’homme a accompli un autre pas vers une connaissance plus grande de l’univers » (cité par Michel Cool dans ‘Paul VI prophète, dix gestes qui ont marqué l’histoire’, un des meilleurs livres de cette année 2018). Pour avancer dans la connaissance de l’univers, il faut passer par une meilleure connaissance de soi : ça s’appelle la sagesse.

Les enfants, on vous le dit tout le temps : soyez sages ! On ne vous demande ni d’être des héros ni des saints, mais d’être sages. Un philosophe français Louis Lavelle (1883-1951) l’avait expliqué : l’héroïsme croit que la vie est affaire de volonté, nécessite de résister à l’ordre des événements, même si on doit en être brisé, tandis que la sagesse consiste à savoir composer, à se raisonner, à trouver une sorte d’équilibre qui assure la tranquillité de l’âme. Le sage est tourné vers la vie intérieure et le héros la vie extérieure. Nous concilions les deux ce soir : par sagesse beaucoup sont venus à la messe, pour faire plaisir à leurs parents, à leur famille, une sagesse qui peut aller pour certains jusqu’à l’héroïsme (rires).

Voilà mes enfants, ce qu’il faut pour devenir des super-héros : avoir du cœur, avoir le sens du service jusqu’au sacrifice, avoir le goût de la liberté. C’est ce que nous reconnaissons en Jésus : le cœur infini de Dieu, l’amour jusqu’au bout, la liberté souveraine.

Maintenant je m’adresse aux parents pour leur dire comment on passe de l’un à l’autre : de l’héroïsme à la sainteté. De cosmonaute à pape (théoriquement). Il faut suivre Jésus ? C’est ce qu’ont fait les apôtres. En fait, il s’agit d’un autre rapport au temps. Puisque la grâce de Noël est de nous faire sortir du temps habituel ou ordinaire.

Le propre de l’héroïsme est de se produire dans l’instant, en lien avec un événement. Il connaît forcément ensuite une chute de tension. Peu de héros sont capables de rester au niveau de l’acte qu’ils ont accompli un jour. On ne le leur demande pas. Si l’héroïsme est un acte, la sagesse est un état : elle appartient à la durée et non pas à l’instant. On peut accomplir certains actes avec sagesse mais en réalité elle s’inscrit peu à peu dans notre nature. C’est dans les dernières années de la vie qu’elle porte ses fruits. La sainteté est les deux : un acte et un état, un état qui s’exprime par des actes, et un acte de foi toujours renouvelé, capable de fléchir mais qui ne cesse de ressusciter.  L’héroïsme appartient à l’instant, la sagesse à la durée, la sainteté à l’éternité.

La sainteté est l’éternité descendue dans le temps. C’est pour cela qu’elle est toujours disponible, prête à se donner et à agir, qu’elle remplit toute l’existence et nous comble de joie. C’est ce que nous fêtons ce soir : la naissance de la Sainteté. La venue dans l’histoire du seul Saint. Alors, cosmonaute ou pape ? Peu importe : devenons chrétiens.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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