3ème dimanche de l'Avent - 16 décembre 2018

Lc 3, 10-18

 

Un ami est venu me voir, effondré. Plus exactement, il était venu me rendre service, réparer un circuit électrique, et comme nous échangions sur nos vies, il me raconte qu’il avait invité à dîner leur nouveau curé, avec deux autres couples du quartier, et, je reprends ses propres mots : « il ne m’a même pas demandé ce que je faisais dans la vie ». Pas une question sur ce qu’il vivait. C’est moi qui étais effondré, non pas pour charger mon confrère : j’ai appris comme confesseur la fragilité de notre humanité, je sais que la plupart des péchés que j’entends pourraient être les miens en d’autres circonstances. Il faut être plein d’illusions pour ignorer ce dont tout être humain peut être capable, quand on ne croit pas au Diable. Il faut être plein d’illusions comme l’apôtre Pierre pour dire : ‘moi non jamais’. Cela n’excuse pas les pécheurs mais nous interdit de les juger. Je n’aime pas la formule ‘Dieu sans idée du mal’, car il en a une parfaite connaissance. La joie que nous célébrons ce dimanche, la joie chrétienne n’est pas la joie des benêts ni des nigauds. Parfois, quand je suis devant une crèche avec tous les santons, je prends le ‘ravi’, ses bras en l’air, qui est pourtant une de mes attitudes préférées, et je le pose face contre un mur comme au mur des lamentations. Les bras en l’air sont autant une prière de louange que d’imploration. La joie de Noël vient de la venue du Rédempteur, le Sauveur à qui nous demandons la délivrance. Délivre-nous du mal, ne nous laisse pas entrer en tentation, pardonne-nous nos offenses.

« Il ne m’a même pas demandé ce que je faisais dans la vie ». J’ai pensé au nombre de fois où ça m’est arrivé, non qu’un de mes patrons soit passé à travers, je ne vois pas pourquoi je serais épargné, mais au nombre de fois où moi aussi j’ai fait ça : ‘Cet homme c’est toi’. Quand donc Seigneur ? Quand nous est-il arrivé même pas « de te voir affamé ou assoiffé, étranger ou nu, malade ou prisonnier, et de ne pas te secourir » (cf. Mt 25, 44) mais de te rencontrer, de dîner avec toi, de te recevoir ou d’être reçu par toi sans nous intéresser à toi ?

Toi Seigneur, est-ce que tu t’intéresses à moi ?

Bien plus, dit-il, que toi tu ne t’intéresses à moi. La preuve Jean-Baptiste que les foules venaient voir et écouter pour sa parole de feu, parce qu’il était ‘habité’, mélange de puissance et d’humilité. Cet homme, ce prophète qui vivait hors du monde, vêtu de poil de chameau, autant dire d’un cilice, c’était le métier de saint Paul de Tarse en Cilicie, le tissage de poils de chameau qui a donné le nom de cilice, avec une ceinture de cuir autour des reins, se nourrissant de sauterelles et de miel sauvage, loin des dîners mondains, – cet homme savait ce que les gens vivaient : quel était leur quotidien, et leurs débordements. Les écarts de richesse, les abus des impôts, le faible salaire des soldats, à qui il demandait de la mesure, du sang-froid et, bien qu’ils fussent mal payés comme tous ces métiers qui font pourtant vivre une société, les infirmières, les maîtres d’école, les transporteurs, les artisans, les paysans, etc. – il leur demandait de ne pas prétexter l’injustice pour sombrer dans la compromission : « Ne faites violence à personne, n’accusez personne à tort ; et contentez-vous de votre solde ».

Comment Jean-Baptiste était-il au courant de tout cela ?

Il se souciait des personnes qu’il baptisait. Il n’avait pas mis en place un protocole, une organisation, avec un secrétariat et des réunions avec ses disciples. Son baptême n’était pas un sacrement mais au moins il s’intéressait plus aux personnes qu’aux procédures, plus à ce que la personne attendait qu’à ce que lui-même avait à faire. Le baptême de Jean était de purification et il écoutait tous les gens qui le voulaient, pour que ça sorte, qu’ils puissent verbaliser, que ce soit assumé pour que ça puisse être pardonné comme dans le sacrement de réconciliation. Est-ce que les personnes qui étaient baptisées par Jean-Baptiste étaient purifiées de leurs péchés ? Evidemment, puisque Jean-Baptiste était envoyé par Dieu, et sinon ils ne seraient pas venus si nombreux. Les Apôtres l’ont bien compris qui, au jour de la Pentecôte, ont baptisé « environ trois mille personnes » en reprenant à la lumière de l’Esprit Saint le rite de Jean-Baptiste, qu’ils ont conféré ce jour-là « au nom de Jésus Christ », puis assez vite sous sa forme définitive : « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ».

Elle est belle cette page d’évangile où Jean-Baptiste annonce le Christ (« au peuple la Bonne Nouvelle »), et où il ne dit qu’aux gens qui le demandent ce qu’ils doivent faire. Et encore, avec quelle modération ! Nous faisons si souvent le contraire ! Nous disons aux gens ce qu’ils doivent faire, alors qu’ils ne nous le demandent pas, en omettant le principal qui est d’annoncer le Christ, l’Esprit-Saint, le Royaume, la Joie !

« Il ne m’a même pas demandé ce que je faisais dans la vie » : la tristesse de mon ami, sa déception était à la mesure de son attente. Il faut en prendre conscience parce que c’est la raison d’être de l’Avent : être en attente. « Le peuple était en attente ».

Nous savons ce que nous attendons de Noël. Une trêve : dans nos divisions, nos désaccords, nos dispersions. Que nous puissions nous réunir autour de ce que nous avons en commun, un passé, une famille, une affection, une tradition. Cet effort sera la première condition de la fête. Il y aura des cadeaux, qui seront le signe que ceux qui nous aiment ont pensé à nous, se sont donné du mal : ils auront cherché à nous faire plaisir en pensant à nous. Ce sont des scènes pénibles que ces vidéos d’enfants qui explosent de rage parce que le cadeau qu’ils déballent n’est pas ce qu’ils attendaient. Ce ne sont pas des caprices mais des explosions. Depuis Platon jusqu’à la philosophe Simone Weil, on sait que la foule est un enfant. Elle a besoin d’amour et de vérité.

Comment fait-on alors pour passer de la déception à la joie ?

Une page d’évangile le montre à la perfection, au jour de Pâques quand Jésus ressuscité rejoint sur la route d’Emmaüs deux disciples effondrés. Il se met à leurs côtés, à leur hauteur, il les écoute. Il les prend au sérieux, en faisant appel à leur mémoire, à un passé commun. Il ne s’impose pas. Il les secoue tendrement, les instruit « de ce qui le concernait ». Et il rompt le pain : il partage. C’est un mot magnifique, par lequel Jean-Baptiste commence : « Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même ! ». Le partage est le début de la joie, la joie de Noël quand Dieu vient partager notre humanité. Partager pour unir.

Que celui qui a suffisamment partage avec celui qui n’a pas. Pas seulement matériellement. Mais aussi la Joie.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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