7ème dimanche du Temps Ordinaire - 20 février 2022

Lc 6, 27-38

 

« Pourquoi Dieu n’a-t-il pas supprimé le Diable ? », l’antique ennemi, le Tentateur ? 

La question m’a été posée lors d’une rencontre avec des lycéens.

Dieu ne l’a pas tué parce qu’il l’a créé et il aime chacune de ses créatures et Satan, créature spirituelle, était une de ses plus belles créatures : une splendeur ! C’est même ce qui l’a perdu. Trop beau ! Le diable s’est préféré lui-même : ‘il faut que je prenne soin de moi, que je m’occupe de moi, moi, moi, moi’. Voilà ce qu’il se répète et nous susurre : ‘prends soin de toi, occupe-toi de toi, c’est toi qui comptes’. Vous l’avez déjà entendu ? Silence ! dit Jésus. Sors de cet homme.

Dieu n’a pas supprimé le Diable parce que ne pas tuer, donner et pardonner, aimer jusqu’à nos ennemis, – ce que Dieu nous commande, Dieu le pratique de tout son Être et de toute éternité. Dieu est Amour.

Ce qui explique que soit si insistant dans la Bible l’ordre qui figure dans la 1ère lecture de ce dimanche : « Ne le tue pas ! » (1 S 26, 9). Ici il est enjoint par David chef de bande à son second Abishaï alors que le roi Saül qui les poursuivait avec son armée était à leur merci. ‘Ce serait la fin de tes ennuis, la fin de ton ennemi’. ‘Non, ne le tue pas !’.

C’est la deuxième fois que le roi Saül se retrouvait à la merci de David et que David fait grâce (1 S 24, 8), comme sont répétés dans la Bible, tous les textes importants : la Création, la traversée à pied sec de la Mer, les dix commandements, le veau d’or etc.

Entretemps, c’est à David que cette supplication « Ne le tue pas  » avait été adressée par une femme, Abigaïl, dont le mari Nabal s’était mal comporté, et David s’était mis en tête de le faire passer par l’épée. Elle intervient, elle intercède et il renonce. Il écoute et il fait grâce (1 S 25, 35).

On tue beaucoup dans l’Ancien Testament, de rage et de jalousie, on tue beaucoup alors que le commandement de Dieu est « Tu ne tueras pas », donné à Moïse qui avait commencé sa vie en tuant l’Egyptien qui s’en prenait à ses frères.

Ne le tue pas ou ne le tuons pas : avant Moïse, dans le livre de la Genèse, c’est Roubène, fils d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui obtient de ses frères que Joseph soit vendu comme esclave et déporté en Egypte (Gn 37, 21) : « Ne touchons pas à sa vie. Ne répandez pas son sang. Ne portez pas la main sur lui. Il voulait le sauver et le ramener à son père ».

Ne le tue pas ou ne les tue pas : Moïse supplie le Seigneur d’épargner son peuple après l’horreur du veau d’or, le péché suprême d’idolâtrie. « Reviens de l’ardeur de ta colère, renonce au mal que tu veux faire à ton peuple » (Ex 32, 12), renonce à faire justice trop vite, laisse nous le temps de nous convertir.

L’appel à la clémence peut sembler naturel. Il ne l’est pas. Le désir de vengeance est naturel, la clémence ne l’est pas. Le désir de vengeance est un désir humain ou de justice humaine. La clémence est divine. Le clément est un Saint. La clémence, le pardon est un don de Dieu, quand il ne dissimule pas un calcul politique.

Si vous laissez vos ennemis en vie alors qu’ils sont à votre merci, il est peu probable qu’ils s’en souviendront, qu’ils vous en soient reconnaissants et presque sûr qu’ils reprendront le combat, se retourneront contre vous à la première occasion. En temps de guerre, la pitié est une erreur qui condamne celui qui ne vas pas jusqu’au bout de la victoire. Si la haine pouvait disparaître de ce monde, Satan ne serait pas damné.

Il faut que nous prenions conscience de l’originalité de ce cri, « ne le tue pas ! », de son audace : la prise de risque est énorme.

Le commandement de Jésus d’aimer nos ennemis en est le parfait accomplissement. Il signifie : ce n’est pas parce que les autres agissent ainsi, ce n’est pas parce que c’est la loi de ce monde que vous pouvez en faire autant.

Dans la juste et insuffisante colère suscitée par l’ampleur des crimes pédophiles, certains ont dit qu’il fallait les resituer dans le contexte de leur époque, ne pas juger hier avec nos yeux d’aujourd’hui. Cet argument qui consiste à relativiser la gravité d’un crime au motif qu’une époque n’en a pas une conscience suffisante peut valoir pour des citoyens ordinaires, ‘des pécheurs’ qui veulent le rester. Il n’est pas acceptable pour nous Chrétiens. Il n’en va pas de même pour nous disciples du Christ qui sommes appelés à ne pas faire comme les autres, mais à agir, dans l’Esprit Saint, en enfants de Dieu, pour imiter le Christ.

Le Saint transcende son époque.

Le Saint ne fait pas comme les autres parce qu’il est conscient de sa relation personnelle à Dieu, d’être aimé de façon unique par le Seigneur. Il ne dit pas : ‘je fais comme tout le monde’. Pas plus qu’il ne dit : ‘je demande pardon à ceux que j’ai pu blesser’. Non, il sait qu’il n’existe pas de pardon collectif pas plus qu’il n’existe de responsabilité institutionnelle. Même le mauvais riche de l’évangile qui laissait le pauvre mourir à sa porte savait que ce pauvre s’appelait Lazare. Il savait qui il était, puisqu’il prie ensuite Abraham d’envoyer Lazare apaiser ses tourments : envoie-le moi, de l’au-delà (Lc 16, 24). Est-ce que vous croyez que c’est à cela que Dieu nous envoie ? Est-ce cela la Mission ? Alors que ce riche ne manifestait aucun regret ? Le Diable non plus n’a aucun regret.

Ce n’est pas seulement son époque que le Saint doit transcender, ce n’est pas tant de notre époque que nous devons nous libérer, par la grâce de Dieu, mais de nos désirs et nos pulsions. Voilà le combat. Sinon ce seront eux, nos désirs, les plus compulsifs, qui nous anéantiront.

La tyrannie du désir n’est pas une fiction. Certains de nos désirs nous tueront.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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