Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ - 14 juin 2020

Jn 6, 51-58

 

Je me suis demandé au Jeudi saint, qui est l’autre fête du Saint-Sacrement – le Jeudi saint nous fêtons l’Institution de l’Eucharistie, aujourd’hui, la Présence réelle de Dieu dans le Sacrement du Corps et du Sang du Christ – je me suis demandé pourquoi Jésus avait attendu le dernier moment de sa vie terrestre avec ses disciples pour faire le geste du lavement des pieds, pour leur laisser dans la Messe le signe suprême et le modèle de la charité.

Vous pourrez retrouver sur le site de la paroisse cette homélie, une des meilleures de l’année (m’ont dit mes lecteurs). La réponse que je donnais, et dont je précisais qu’elle vaut pour tous, catholiques ou non, est que face à la mort, il ne restera plus pour chacun de nous que ce que nous aurons fait pour les autres. Face à la mort, car au Jeudi saint, Jésus et ses apôtres étaient face à la mort. Confrontés au sens de la vie, de leur vie, et à la promesse que Dieu seul peut faire de la vie éternelle, de vivre éternellement par lui, avec lui et en lui : « Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » dit-il à Marthe (Jn 11, 26). Est-ce que tu le crois, est-ce que tu me crois ? Comme en écho au discours du Pain de Vie : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous ».

Je voudrais poursuivre cette réflexion sur l’expérience que les Apôtres ont vécue de la mort de Jésus. On insiste sur leur attitude : ils s’étaient tous enfuis. Le premier d’entre eux avait suivi de loin, était entré dans la cour du grand prêtre et l’avait renié. Le traître s’était pendu. Seul le disciple que Jésus aimait était resté au pied de la Croix, avec Marie la mère de Jésus et quelques femmes. Les Apôtres s’étaient retrouvés ensuite, réunis en secret. Et Jésus leur était apparu ! Il avait mangé avec eux. Et nous avons vécu en temps réel, tout le temps de Pâques, c’est la seule période de l’année où nous suivons l’évangile ainsi, les quarante jours jusqu’à l’Ascension, cinquante jusqu’à la Pentecôte, – période de grande joie, joie de la Résurrection, joie pour les Apôtres d’avoir retrouvé Jésus et de s’être retrouvés eux-mêmes.

Oui, de s’être retrouvés eux-mêmes parce que, quand on perd ce qu’on a de plus cher, de plus important au monde, on ne sait plus qui on est. L’expérience du deuil est une perte d’identité. On a beau dire qu’il faut distinguer l’être et l’avoir, que l’homme se définit par ce qu’il est plus que par ce qu’il a, l’expérience la plus banale et terrible de l’existence est le sentiment de ne plus savoir qui on est quand l’être aimé est parti. Quand un mari ou une femme perd son conjoint, un parent son enfant, un enfant l’un ou l’autre de ses parents, nous vivons, avec plus ou moins d’intensité, cette désagrégation intérieure : ayant perdu la personne qui m’était la plus chère, voilà que je ne sais plus qui je suis.

Une amie m’a raconté que son grand-père, lorsque son épouse le rudoyait, alors qu’il avait quatre vingt ans passés, l’arrêtait illico : ‘On ne parle pas comme ça à un orphelin’.

La question que je vous propose, pour entrer dans ce mystère du Saint-Sacrement que Jésus a confié à ses Apôtres avant de les quitter, que les Apôtres ont transmis de génération en génération, dont les successeurs, les évêques sont les garants, garants du dépôt de la foi – cette question est : Quand les Apôtres ont-ils célébré pour la première fois la Messe ?

Quand ont-ils fait pour la première fois cela « en mémoire de moi », conformément aux paroles et aux gestes du Christ Jésus ?

Est-ce après l’Ascension, après que Jésus les a bénis une dernière fois, leur imposant les mains avant de s’élever dans la Gloire du Ciel ? Est-ce après la Pentecôte, après qu’ils ont reçu la plénitude de l’Esprit sans qui ils n’auraient pas pu consacrer le pain et le vin ?

Les Apôtres ont célébré pour la première fois la messe le jour de Pâques. Emus et bouleversés par ce que leur avaient rapporté les saintes femmes, ils ont, suivant les termes de saint Paul dans la 2èmelecture, partagé le pain et bu la coupe de bénédictions. Et le Christ ressuscité s’est rendu réellement présent, au milieu d’eux, pour que nous sachions ce qu’est la Présence réelle, le Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ, signe et don de sa Résurrection et de la Vie éternelle ! « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous ».

Cette Présence réelle est une force infinie. Il y a tellement de choses que nous ne ferions pas ou que nous ne dirions pas si nous vivions avec Jésus présent. Il y a tellement de choses que nous ne ferions pas ou que nous ne dirions pas, si nous demandions l’aide du Seigneur présent !

Quand on est frappé par le deuil, pour sortir de cette désagrégation existentielle, il est bon de se rappeler qui l’être aimé voulait qu’on soit ou qu’on devienne. C’est ce qu’on a entendu dans la première lecture de ce dimanche sur le passage au désert, ce temps d’épreuve que le Seigneur t’a imposé pour te faire passer par le manque : il voulait savoir ce que tu as dans le cœur. « Allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? » signifie : Allais-tu être celui qu’il voulait que tu sois ?

Souvent, avec parfois beaucoup de maladresse, nous disons à un proche terrassé par le chagrin du deuil : demande-toi ce que la personne que tu aimais aurait voulu que tu fasses. Souviens-toi de ce qu’elle te disait et demande-toi ce qu’elle te dirait si tu pouvais l’entendre. Ce qu’elle attendait de toi au cas où cette séparation arriverait. Continue de vivre avec elle, avec elle en toi : sois fidèle à son amour pour toi. Ne sois pas seulement fidèle à ton amour pour elle : sois fidèle à son amour pour toi.

Voilà pourquoi le mot messe vient du mot mission : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». La communion au Corps du Christ est indissociable de notre envoi dans le monde pour témoigner de son amour. De même que le Père est en moi, moi aussi, par votre Communion à mon Corps, je suis en vous. Pour que nous soyons fidèles à son amour pour nous.

Quand on perd ce qu’on a de plus cher, quand on perd la personne à qui on tient le plus au monde, on ne sait plus qui on est : les Apôtres l’ont vécu à la mort de Jésus. Sauf, sauf qu’il est présent par le Saint-Sacrement tous les jours avec nous, jusqu’à la fin des temps. Il y est réellement présent, sacrement de la Présence réelle, pour que nous soyons, comme dit ce chant de Messe : sûrs de son amour et forts de notre foi.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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