Ascension du Seigneur - 21 mai 2020

Mt 28, 16-20

 

Quarante jours après l’ensevelissement éphémère de Jésus, nous fêtons son Ascension au Ciel, où il est assis à la Droite du Père, d’où il viendra juger les vivants et les morts.
Je me suis demandé si on pouvait parler de son encièlement, qu’on peut écrire avec deux ailes si on pense à celles des anges dans le Ciel. Le Père Stan Rougier, que j’ai connu aumônier dans mon enfance, dit qu’il a inventé ce mot d’enciellement pour éviter celui de funérailles qu’il trouvait affreux (cf. La Croix du 17 novembre 2007). C’est un écrivain créatif : quand on lui avait demandé quel livre il emporterait sur une île déserte, il avait répondu des feuilles blanches pour l’écrire lui-même.

Enciellement : ce n’est jamais que ce que l’on disait aux enfants à la mort d’un proche : il est au Ciel. Sauf qu’on l’enterrait, en se demandant s’il fallait emmener les enfants, tandis que le Christ Jésus est entré corps et âme dans la Gloire du Ciel, ce qui contredit, qu’on le veuille ou  non, l’opposition que nous faisons entre l’inhumation du corps – souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière –et la montée ou l’envol de l’âme vers le Ciel.

Ce n’est pas l’âme du Christ qui monte au Ciel au jour de son Ascension, mais Jésus corps et âme, Fils de l’homme dans sa divinité, Fils de Dieu dans son humanité. Il monte vers son Père et notre Père, comme il l’avait annoncé à Marie-Madeleine au matin de Pâques : « Va trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20, 17), et « votre Dieu » s’entend ici de celui qui rendra la vie à nos corps mortels.

L’Ascension du Christ, l’ouverture du Ciel à son et notre humanité est la promesse de notre propre résurrection, corps et âme, résurrection des corps ou résurrection de la chair. Encore faut-il que nous sachions de quel corps nous parlons : certainement pas de notre corps présent, si réfractaire à la tutelle de l’Esprit, si soucieux de son indépendance et de sa satisfaction.

Que faut-il répondre aux enfants qui demandent où est Papy qui vient de mourir ? Elle est où Mamie ? Au Ciel ? C’est aller un peu vite. Pourquoi ne pas leur dire qu’ils vont voir, qu’ils sont allés voir Jésus. Et qu’ils ont beaucoup de choses à se dire. Dans la vie comme dans la mort, ce qui est important prend du temps. La mort en acte, comme événement, peut être fulgurante, même attendue elle est foudroyante pour les proches. Tout n’est pas réglé pour autant. C’est la différence entre le jour du mariage, qui échappe au temps, et les années, les dizaines d’années de vie conjugale qui s’ensuivent, où ça peut être très long.

Le 25 octobre 2016, l’Eglise a rappelé sa préférence pour l’inhumation plutôt que la crémation, en souvenir de la mort, la sépulture et la résurrection du Seigneur, et en cohérence avec notre espérance en la vie éternelle et la résurrection des corps. Au contraire d’une vision nihiliste qui voudrait que tout s’arrête à la mort. L’Eglise n’est pas opposée à l’incinération qui peut s’imposer pour des raisons pratiques, à la condition que les cendres ne soient pas dispersées : que l’urne funéraire soit déposée dans un lieu fixe et sacré, où les fidèles puissent se recueillir et prier. Il faut que vous le sachiez car c’est une condition pour la tenue d’obsèques religieuses. Ajoutons que la messe ne peut se faire en présence de l’urne, mais avec ou sans le corps.

Dans l’évangile de saint Jean, Jésus dit à Marthe : « Ton frère ressuscitera. ». Il ne lui dit pas que l’âme de Lazare ressuscitera et pour cause : l’âme est immortelle. L’âme ne meurt pas. Au moment de la mort, l’âme est séparée du corps, et pas seulement du corps physique, mais aussi, et c’est notre souffrance, du corps social.

Parce que l’âme est séparée par la mort du corps physique, elle est séparée du corps social. Nous venons de le vivre, en ce temps d’épidémie et de confinement, de façon douloureuse, dans l’impossibilité de se rassembler et de s’embrasser. Cette privation a été d’autant plus mal vécue que la dimension sociale des obsèques avait, depuis des années, pris le pas et même davantage – disons-le clairement : presque occulté sa dimension spirituelle et religieuse.
Bien sûr que toute célébration religieuse a une dimension sociale. Mais il y a un équilibre à trouver, surtout dans la célébration d’obsèques, qui repose sur une triple dimension spirituelle, religieuse et sociale.

Il y a un événement, la mort, et une réalité spirituelle qui est la rencontre par la personne défunte de son Seigneur, le Christ, Créateur et Sauveur. Personne ne va vers le Père sans passer par moi dit Jésus. L’entrée dans l’éternité bienheureuse, dans la vie divine, passe par la purification de l’âme et la spiritualisation du corps de la personne défunte, ce que l’Eglise appelle le Jugement, au sens d’accomplissement de sa vie chrétienne, son écoute et sa mise en pratique de la Parole de Dieu, sa fidélité au Christ, l’accomplissement de sa vie dans l’Esprit inaugurée au jour de son baptême.
C’est pourquoi aux obsèques nous rendons grâce pour tout ce qui a été de l’ordre de l’amour, et nous invoquons le pardon de Dieu pour tout ce qui a été contraire à sa Volonté. Comme dit la prière ou le chant ‘Âme du Christ’ : « Ô bon Jésus.Ne permets pas que je sois séparé de toi.À ma mort, appelle-moi.Ordonne-moi de venir à toipour qu’avec tes saints je te louedans les siècles des siècles, Amen ! ».

Cette dimension spirituelle, notre relation personnelle au Seigneur est connue de Dieu seul ! C’est le secret de notre vie. Mais elle est également religieuse puisque l’amour de Dieu n’est pas séparable de l’amour du prochain. C’est portée par l’intercession de ses frères que la personne défunte se présente devant le Christ : la meilleure façon de le signifier, la plus excellente est la messe.
Pour vivre avec le Christ, il nous faut mourir avec lui pour ressusciter par lui, avec lui, et en lui, ce qui implique liturgiquement de faire mémoire de sa mort et de sa résurrection, en attendant sa venue dans la Gloire. La messe est la synthèse de notre foi et elle va de soi pour des obsèques religieuses, pour accompagner le passage de la vie humaine à la vie divine.
Il n’est pas nécessaire que l’assemblée communie au Corps du Christ, surtout si elle n’a pas de pratique régulière. Ces dernières semaines, les familles le comprenaient, de même que les assemblées incroyantes pour qui j’ai célébré ces dernières années des messes d’obsèques. Enterrant le père d’un de nos catéchumènes, j’avais demandé aux personnes présentes, une trentaine, si l’une ou l’autre allait à la messe ? Aucune. J’ai communié en leur nom.

Des trois dimensions, spirituelle, religieuse et sociale, des obsèques, la troisième est la plus spectaculaire, déjà attestée dans l’évangile par la présence de foules nombreuses, éplorées et désemparées. Jésus exigeait d’elles confiance, calme et respect.
Nous gagnerions à retrouver dans nos églises le même sacré, en re-donnant la priorité et l’exclusivité à la Parole de Dieu, en limitant les témoignages si émouvants soient-ils. « Ne faites pas de la Maison de mon Père une maison de souvenirs ! ». Ce n’est pas rendre service au défunt ni à ses proches que d’insister à l’Eglise sur ses attachements matériels et terrestres : ‘C’était un bon vivant, il aimait boire et fumer’ ; ‘Elle nous faisait du pain grillé au petit déjeuner’ …. Pitié ! Cherchons plutôt dans la vie de la personne défunte, et dites au célébrant dont le rôle est d’intercéder au nom de tous auprès de Dieu, quelles étaient les qualités, les attitudes, les engagements qui rapprochaient la personne que vous aimiez du Christ Jésus.
Mais de grâce, épargnez à l’assemblée les souvenirs de pommes de terre sautées ou d’apéritifs arrosés. Rien n’empêche de se réunir après, comme on le faisait avant, pour un repas ou un verre amical, pour évoquer ces souvenirs heureux. On le fait pour les mariages ; on le fait pour les baptêmes ; faites-le pour les enterrements.

Ces trois aspects des obsèques sont trois conditions de notre entrée au Ciel :

Il y a d’abord la dimension spirituelle, qui fonde notre espérance en la résurrection de la chair, puisque c’est la vie dans l’Esprit qui redonnera vie à nos corps mortels, des corps qui ne sont pas faits pour la consommation des biens mais pour la bonne relation, la communication et la communion des personnes.

Il y a ensuite l’union au Christ, qui est le Chemin et la Vérité de notre vie, par toutes les relations d’amour que nous aurons tissées, qui s’alimentent et culminent à la messe le dimanche par la Communion à son Corps ressuscité, source et sommet de la vie chrétienne.

Il y a enfin, après ces deux dimensions spirituelle et religieuse, cette part que nous nommons sociale, mais qui ne l’est en vérité que lorsque nous nous comportons de façon humaine et fraternelle, enfants d’un même Père, frères et sœurs dans le Christ, unis dans l’Esprit. Cette part sociale n’est pas le profit que nous aurons partagé avec nos proches des bonnes choses de ce monde. Seul restera au soir de notre vie ce que nous aurons donné aux pauvres, aux plus petits de nos frères, en un mot ce que nous aurons accompli et transmis des commandements reçus du Christ.
A tout prendre, je préfère, dans les hommages rendus aux défunts, la reconnaissance de ce que nous appelons des ‘valeurs chrétiennes’, oui des valeurs ! en tout cas, pas des souvenirs !

Ces valeurs sont le signe que l’héritage est vivant, et notre Espérance immense : à la mesure de ce que nous célébrons en ce jour, rien de moins que l’ouverture des Cieux !

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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