31ème dimanche du Temps Ordinaire - 3 novembre 2019

Lc 19, 1-10

 

Quel est le risque que Zachée regrette cet accès de largesse, le don aux pauvres de la moitié de ses biens ? Quel est le risque, une fois Jésus parti, que Zachée revienne à son état d’esprit antérieur, regrette ces biens qu’il a eu tant de mal à amasser ? Cela ne vous est-il jamais arrivé de donner – et regretter ? Ma grand-mère, dont je suis allé voir la tombe cette semaine, quand elle était petit enfant, avait donné son ‘petit cochon rose’, une peluche à une autre enfant plus pauvre qu’elle. Et toute sa vie elle a pleuré ce petit cochon rose. Pensez à ces résolutions qui nous semblent évidentes quand nous sommes face à Dieu, et qui disparaissent quand nous retournons dans le monde. « Que te ferai-je, Ephraïm ? Que te ferai-je, Juda ? Car ton amour est comme la rosée du matin, qui tôt se dissipe » (Os 6, 4).

Dans le cas de Zachée, le risque est faible parce qu’il ne s’agit pas d’un acte de charité mais de justice : il s’agit d’une réparation, un remboursement. Ses biens étaient malhonnêtement acquis. Je l’ai rappelé dimanche dernier à propos de la parabole du pharisien et du publicain : les publicains étaient des voleurs, dans la collecte des impôts comme dans leurs pratiques usurières. Et Zachée, chef des collecteurs d’impôts, était le chef des voleurs. « Si j’ai fait du tort à quelqu’un » dit-il : de sa part, on ne sait pas si c’est de l’inconscience ou de la provocation. « Si j’ai fait du tort à quelqu’un » ! Admirez la patience et l’indulgence de Jésus.

« Toi, dit Jésus dans le Sermon sur la montagne, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande ». Si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi : Zachée savait les griefs que les autres avaient contre lui. Et Jésus ajoute : « Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison. Amen, je te le dis : tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier sou » (Mt 5, 24-26).
Répare tes fautes, rembourse tes dettes, fais-toi pardonner tes offenses pendant cette vie si tu ne veux pas avoir à le faire au Purgatoire. Ayant consacré mon homélie de la Toussaint au Paradis, il est logique que je vous parle à présent du Purgatoire : je ne pouvais pas le faire dans notre prière pour les défunts, qui appelait une parole de consolation. Ce n’est pas au moment des obsèques qu’on fait une catéchèse sur les fins dernières.

Le Purgatoire ne mérite que partiellement son nom. Déjà il faut comprendre de quoi il vise à nous purifier. On ne comprend pas le Purgatoire si ‘purifier’ signifie mettre fin à nos péchés : grâce au Ciel, ils s’arrêtent à la mort ! Ce n’est pas non plus une purification de nos défauts, nos mauvais traits de caractère ou nos penchants mauvais. Je vous renvoie ici à mon (excellente) homélie du 15 août dernier, sur l’erreur de penser que nous aurions les défauts de nos qualités : il n’y a pas de symétrie du bien et du mal. Nos défauts, ce n’est pas nous, et c’est pourquoi nous en souffrons et qu’ils nous rendent malheureux. Nos défauts disparaissent avec notre corps mortel. En revanche, ce qui ne disparaît pas et qui doit être purifié, ce sont nos relations les uns aux autres, et qui en ont été affectées.

Au Purgatoire, nous nous réconcilions. Au premier chef et avant tout avec Dieu. Laissez-vous réconcilier avec Dieu. Le Purgatoire sert à nous débarrasser de nos idées fausses sur Dieu, comme de tous nos préjugés en général. Vous vous voyez vous exclamer en arrivant au Paradis : ‘Mais Seigneur, tu n’es pas du tout comme je le croyais !’ La remarque est suffisamment désobligeante entre nous quand quelqu’un vous dit : ‘Finalement, vous n’êtes pas comme je le pensais’ … pour que nous évitions de l’infliger à Dieu. « Ecoutez, maison de David ! Il ne vous suffit donc pas de fatiguer les autres hommes : il faut encore que vous fatiguiez votre Dieu ! » (Is 7, 13).

Le Purgatoire sera la délivrance de nos préjugés, de nos idées fausses sur Dieu et sur les autres. Alors, nous prendrons pleinement conscience de nos fautes.

Le confesseur que je suis peut attester que plus on a de préjugés, moins on voit ses péchés. Il ne se passe de semaine que je ne rencontre un catholique très embarrassé de ne pas voir ses péchés : ‘Je ne vois pas’. ‘Je n’en trouve pas’. ‘Vous pouvez m’aider ?’. Oui je peux vous aider : lisez l’Evangile, contemplez le Christ ! Apprenez qui est Dieu ! Quand on ne voit pas ses péchés, c’est qu’on ne connaît pas encore Dieu. Et aux enfants, il faut parler de Dieu, longuement, précisément, avant de leur proposer de se confesser. On a brouillé des générations de baptisés avec l’Eglise et avec Dieu en les forçant à aller se confesser, à trouver des péchés, en leur donnant des listes à cocher, ce qu’ils ne pouvaient pas faire en conscience car leur conscience n’était pas éclairée. Eclairée par l’Esprit-Saint ! C’est pour cette raison que jusqu’au XXèmesiècle, on donnait le sacrement de confirmation, qui est le sacrement de l’âge de raison, de discernement du bien et du mal, avant la 1èrecommunion.

L’Esprit-Saint est la lumière de la conscience. Et le Purgatoire est un lieu de lumière et d’illumination, conformément aux trois voies de la vie spirituelle, purgative, illuminative et unitive. L’entrée au Paradis supposera en partie réalisé le chemin d’union à Dieu, la voie unitive, inséparable des deux premières, purgative et illuminative. Si, en mourant, vous voyez une grande lumière au fond d’un couloir, ne vous croyez pas au Paradis : c’est le Purgatoire, la mise en lumière de nos péchés.
Ces deux voies, purgative et illuminative, sont mêlées : illuminé par la présence du Christ, Zachée s’engage à réparer. « Voici, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus ». Traduisons : ne pouvant retrouver tous ceux que j’ai volés, je rembourserai ceux que je retrouverai bien au-delà de ce qui est juste, quatre fois plus au lieu de deux. Ils recevront pour les autres. Aux pénitents qui se demandent comment réparer quand les personnes lésées ont disparu …  je dis : Rattrapez-vous sur celles qui sont là !

Quatre fois plus, c’est bien. Imaginez que nous devions, pour réparer le mal que nous avons dit d’une personne, dire quatre fois plus de bien … Pour moi par exemple dire quatre fois plus de bien des publicains que je n’en ai dit du mal … Le Purgatoire risque d’être long.

Le Purgatoire sera long mais supportable parce que, si  nous y sommes, nous serons sauvés, sûrs et certains d’aller au Paradis. Cela voudra dire que nous n’aurons pas refusé la main tendue par Dieu au moment de notre mort. D’où le soulagement de Jésus, si je puis dire, d’avoir été reçu par Zachée : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ». Si Jésus n’était pas venu en personne, il y aurait eu fort à craindre que Zachée eût été damné.
Je ne suis pas très friand des disputes théologiques sur les motifs de l’Incarnation, du style : ‘Etait-il nécessaire que Dieu se fît homme pour que nous soyons sauvés ?’ C’est pourtant ce qui est révélé dans la conversion de Zachée : la rencontre personnelle de Jésus l’a sauvé, et la rencontre de Jésus pauvre parmi les pauvres. Si Zachée avait rencontré le Christ en gloire, aurait-il eu l’idée, pour réparer ses fautes, de faire don aux pauvres de la moitié de ses biens ? Probablement pas. Il aurait plutôt pensé, comme le roi David, lui construire un Temple aussi magnifique que son palais, une Cathédrale, comme l’Eglise y a passé beaucoup de temps depuis deux mille ans.

Le Purgatoire sera un lieu de frugalité, où nous aurons à nous purifier du plus grand préjugé qui porte sur la valeur des richesses extérieures. Nous prendrons conscience, comme Zachée, que notre vraie richesse est notre liberté intérieure, car c’est en êtres libres, de la liberté des enfants de Dieu, que nous entrerons au Paradis, le Royaume de la vraie liberté.

Pourquoi attendre le Purgatoire ? Avançons ensemble dans la connaissance de Dieu ! Et demandons-lui de nous délivrer de nos préjugés.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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