6ème dimanche du Pâques - 5 mai 2024

Jn 15, 9-17

 

Je vous avais rappelé au dimanche de la Miséricorde, il y a un mois, le 7 avril, ce constat d’échec que faisait le Pape Benoît XVI dans son encyclique sur l’Espérance, que la vie éternelle ne fait plus envie. Pour être plus exact, elle ne fait plus partie de nos envies, car nous sommes devenus, sous l’effet de stimulations incessantes, des êtres d’envies. L’envie est un type particulier de désir : un désir de possession, de consommation, d’avoir.

Il y a dans le Livre des Actes des Apôtres une scène passée à la postérité à cause du personnage dénommé Simon (dont le nom a donné ‘simonie’, le commerce ou trafic de biens spirituels), un homme très doué, charismatique, qui est fasciné par les Apôtres, il se fait baptiser, et quand il voit que le don de l’Esprit se fait par l’imposition des mains, il propose de l’argent, de l’acheter, disant aux Apôtres : « Donnez-moi ce pouvoir à moi aussi, pour que tous ceux à qui j’imposerai les mains reçoivent l’Esprit Saint » (Ac 8, 19). Il n’a pas le désir du bien : il a envie de gloire, de la gloire qui vient des hommes.

C’est un désir de possession : il a envie de ce qu’ont et que font les Apôtres. il ne veut pas mieux les connaître ni connaître Dieu. Désir de possession et non désir de connaissance : pour entrer au Ciel il faudra que nous ayons renoncé à l’un, à posséder, pour se consacrer à l’autre, à connaître et à aimer, à connaître pour aimer.

Que se passera-t-il au Ciel : que ferons-nous au Paradis ?

Jésus a répondu : « Lorsqu’on ressuscite d’entre les morts, on est comme les anges dans le Ciel » (Mt 22, 30. Mc 12, 25). Nous serons « semblables aux anges » (Lc 22, 36).
Comme l’a expliqué le Pape Jean-Paul II dans ses catéchèses sur la théologie du corps, « il ne s’agit pas ici de transformation de la nature de l’homme en nature angélique, c’est-à-dire purement spirituelle. Le contexte indique clairement que, dans l’autre monde, l’homme conservera sa propre nature humaine (corps et âme). S’il en allait autrement, parler de résurrection serait dénué de sens ».

Nous serons comme les anges. On ne mourra plus, on ne souffrira plus. La mort n’existera plus, la souffrance non plus, ni le mal ni le péché : « il n’y aura plus ni deuil, ni larmes, ni douleurs » (Ap 21, 4). Le mot bien-être est dérisoire pour décrire cet état de bonheur et d’harmonie.

Pour autant, nous ne fondrons pas dans un grand Tout, nous ne perdrons pas notre identité, au contraire : ceux qui seront au Ciel seront « avec le Christ », vivront « en Lui », et trouveront grâce à Lui « leur vraie identité, leur propre nom » (cf. Ap 2, 17 – Catéchisme de l’Eglise Catholique CEC n. 1025). Voilà pourquoi nous invoquons les Saints et les Saintes par leur nom, pour demander leur aide, avant de pouvoir les rencontrer le jour venu.

Le Ciel est un paradis infini de rencontres éblouissantes.

Dans la vie tout commence par des rencontres. L’amour commence par une rencontre, et aux fiancés que je prépare au mariage, aux parents qui viennent pour le baptême d’un enfant, aux personnes que j’accueille pour les obsèques de leur conjoint, je demande comment ils s’étaient rencontrés.

Au Ciel, nous aurons rencontré le Christ face à face, nous serons dans la lumière de la Sainte Trinité « avec la Vierge Marie, les anges et tous les bienheureux » (CEC 1024) et leur rencontre portera à sa plénitude ce qui fait déjà les moments heureux de cette vie.

Des rencontres et des découvertes infinies.

Ces deux mots résument la petite approche que nous pouvons faire du bonheur en cette vie. En tout cas pour le prêtre que je suis, des personnes que je rencontre chaque semaine, chacune unique, comme chaque jour je découvre quelque chose de nouveau du mystère de Dieu.

Quand on aime les gens, on ne s’ennuie jamais, de cet ennui qui est la grande appréhension à l’égard du Ciel : pour tant d’incroyants l’éternité serait synonyme d’ennui. Faute de faire la différence entre désir de connaissance et envie de possession.

La connaissance est sans fin tandis que la possession s’épuise, se tarit vite, elle est forcément partielle, elle ignore le mystère de l’âme et du vivant. La littérature et le cinéma regorgent d’histoires de séduction où l’esprit trompeur prétend vouloir mieux connaître l’être qu’il ne cherche qu’à posséder, pour s’en débarrasser après, son désir repu, satisfait. C’est un désir animal, pas un désir amoureux : le désir amoureux survit au temps, il a la patience de Dieu.

Pour saisir ou deviner le bonheur du Ciel, il faut savoir que les anges se parlent entre eux. Dieu parle, les êtres humains parlent, et les anges parlent aussi. Ils se révèlent mutuellement « les choses cachées des mystères divins » dit saint Thomas d’Aquin (Somme Théologique Ia Pars, Q. 112, a. 3) *. Ils s’éclairent mutuellement, et cette illumination infinie, des anges supérieurs auprès des anges inférieurs, est leur plus haut mode de collaboration à l’œuvre que le Fils et l’Esprit Saint exercent dans leurs missions. Saint Thomas dit que c’est leur « façon la plus haute (la plus noble) d’imiter Dieu ».

J’ai célébré récemment les obsèques d’une presque centenaire et il y avait autant de monde dans l’église que si elle avait eu soixante ans : plus personne de sa génération mais plein d’amis des enfants qui m’avaient prévenu : non seulement elle était accueillante mais ‘on adorait parler avec elle’. Et tous ceux qui l’avaient connue, les amis des enfants, sont venus. On adorait parler avec elle.

La particularité des anges est qu’ils « communiquent sans signes » : leur langage est invisible, de pures « paroles intérieures » manifestée par leur seule volonté. Et il en irait de même chez nous, dit saint Thomas, si notre intelligence pouvait se porter directement vers les réalités spirituelles mais, comme notre connaissance se construit à partir des réalités sensibles, nous avons en cette vie besoin d’un langage composé de signes sensibles pour exprimer les pensées de notre cœur. Au Ciel nous n’aurons plus besoin du langage : nous pourrons dire à Dieu tout l’amour de notre cœur, parler avec la Vierge Marie, apprendre des anges, partager librement, aller de rencontres en rencontres, de découvertes en découvertes, en révélations infinies. Quelles merveilles !

Quelle merveille d’imaginer ce que nous vivrons au Paradis, le bonheur d’amitié divine que le Christ nous révèle quand il nous appelle ses amis, « car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître ».

Que ferons-nous au Paradis ?

Nous serons comme les anges.

* Remarquable synthèse dans l’article du Frère Gilles Emery op sur « L’illumination et le langage des anges chez saint Thomas d’Aquin » dans la revue ‘Nova et Vetera’ de Juillet-Août Septembre 2010.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

Vous avez la possibilité de recevoir les homélies du Père Lancrey-Javal en remplissant ce formulaire

Article précédent
S’unir au Christ pour échapper à l’enfer
Article suivant
Le Purgatoire est déjà une victoire