4ème dimanche du temps ordinaire - 29 janvier 2023

Mt 5, 1-12a

 

En novembre, jai participé à un dîner où nous ne connaissions chacun que la puissanceinvitante et nous ne devions pas dire au début aux autres ce que nous faisions dans la vie, le jeu étant de le deviner tout au long du dîner : nous étions une dizaine et en arrivant nous ne disions que notre prénom. Passés à table, chacun prenait à tour de rôle un papier sous son assiette, et lisait une phrase assez sibylline sur le métier de lune des personnes présentes :nous devions deviner qui, pourquoi. La personne se présentait alors et racontait son parcours. Cétait ludique, très sympa, et cela avait lavantage de ne pas pouvoir étiqueter, cataloguer demblée le premier venu, de se regarder et de sécouter sans préjuger : jen retiens une attention, une écoute, le temps dun dîner, comme jen ai rarement connue. Limpression de pouvoir enfin accueillir chaque personne telle quelle est : un mystère. Chaque personne est un mystère.

Pour moi, lindice était : il ou elle (cette personne) lit le même livre depuis 25 ans. Façon plaisante de définir un prêtre, dautant quil y avait très peu de catholiques présents : nous étions très différents, avec une grande variété dâge, entre vingt-cinq et soixantecinq, de métiers et dunivers aux opposés pour ne pas dire aux antipodes. Lidée était de sortir de son microcosme et de voir que le monde nest pas notre univers en plus grand mais quil est vraiment très varié, et quon se trompe en pensant savoir ce que les autres sont, font, vivent.

Nous avons tous tant de préjugés, il suffit de voir la réaction des habitants de Nazareth quand Jésus y revient avec ses disciples et quil va le jour du sabbat à la synagogue pour enseigner :lui, un charpentier fils de charpentier ! Dont on connaît la famille ! « Ils étaient profondément choqués à son sujet » (cf. Mc 6, 3). Choqués par quoi ? Par sa sagesse et ses miracles ? Choqués par le bien quil faisait ?

Jean-Baptiste était plus avisé quand il disait, comme nous lentendions il y a deux dimanches : « moi je ne le connaissais pas ». Pas seulement parce que Jésus est Dieu mais parce quétant Dieu, il nous donne et nous commande de nous regarder différemment les uns les autres, de reconnaitre que chaque personne est un mystère.

Chaque personne est un mystère.

Cest le regard infiniment respectueux et libérant que Jésus pose sur nous, qui nous libère de tout ce qui pourrait nous enfermer. Cest le regard quil nous demande de poser les uns sur les autres, y compris sur nous-même. Oui, sur nous-même, car nous ne savons pas toujours quel est le désir le plus profond de notre cœur.

Il faut parfois un événement inattendu, une rencontre, passer par un échec, pour que souvre à nouveau ce chemin. Le point commun des participants à ce dîner était la rencontre et lesoutien de personnes providentielles : la plus jeune était partie malade pour un grand voyage à la recherche delle-même alors quelle était sans ressources : elle avait pu le faire grâce à des gens généreux. Comme les autres elle avait fait confiance à son instinct, elle avait écouté son cœur et sa conscience tous avaient cru en eux parce quon leur avait fait confiance.

La conversation avait tourné autour de deux sujets : la liberté, pour échapper aux injonctions de la société, et le bonheur, par sympathie pour lun des convives qui ny croyait plus, perdu depuis quil avait changé de métier, et perdu la passion de ses débuts « J‘ai contre toi que ton premier amour tu las abandonné, tu as perdu ton amour d’antan » (Cf. Ap 2, 4). Jai apprisdepuis, par la presse, quil y était retourné.

Le grand danger dans la vie est doublier que le bonheur, quand il est là, tient à ceux qui sont là, aux personnes avec qui on vit, avec qui ou pour qui on agit ou travaille. Le danger est de croire quon pourrait être heureux tout seul, alors que le bonheur vient de ceux qui sont là, avec nous, qui sont heureux de ce quon fait pour eux.

Il est très curieux, lorsque nous parlons du bonheur des autres, den parler comme si nous en étions nous-mêmes privés

Le bonheur ne se situe pas dans l’au-delà, et le Royaume que le Christ annonce et promet dans ces Béatitudes nest pas pour après la mort, les malheureux seraient consolés, les justes rassasiés. Le Royaume des cieux est tout proche, proclamait Jésus dans lévangile dimanche dernier : il est là chaque fois que nous le reconnaissons dans les pauvres, les malheureux, les justes, les plus petits comme les plus grands de nos frères.

J’ai toujours en mémoire la détresse d’un prêtre vietnamien, que mavaient racontée un couple damis qui avaient assisté à la célébration de funérailles que ce prêtre présidait : il ne disposait pas du vocabulaire à la mesure de son ambition ou de son emphase. Il sétait lancéau début de son homélie : la mort et, faute de maîtriser la langue, sétait rabattu sur les rares mots quil connaissait : la mort, cest dur. Et cest vrai à condition dajouter : le bonheur, cest simple.

Pour être heureux, il faut que les autres le soient, leur donner ce dont ils ont besoin, pas ce que nous estimons être bien pour eux, mais ce à quoi ils aspirent et quils finiront de toutes façons un jour par rencontrer : lamour de Dieu. Labsolue simplicité de lamour de Dieu.

Dieu est Amour. Dieu est absolument simple. Dieu veut notre bonheur.

La mort, cest dur. Le bonheur, cest simple.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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