6ème dimanche de Pâques - 6 mai 2018

Jn 15, 9-17

 

J’ai regardé dans l’évangile de saint Matthieu. J’ai regardé dans l’évangile de saint Marc. J’ai regardé dans l’évangile de saint Luc. Je n’ai pas trouvé chez eux de mention de l’amitié divine : c’est vraiment une spécificité de l’évangile de saint Jean. Il mérite son titre de disciple bien-aimé, celui que Jésus aimait. Le mot ami ne figure pas dans l’évangile de saint Marc. Il est utilisé de façon négative dans l’évangile de saint Matthieu où on reproche au Fils de l’homme d’être l’ami des publicains et des pécheurs (Mt 11, 19) ou Jésus dit à Judas au moment de son arrestation : « Ami, fais ta besogne » (pour que s’accomplisse l’Ecriture : « même l’ami qui avait ma confiance et partageait mon pain m’a frappé du talon » Ps 40, 10). Dans l’évangile de saint Luc, il est question des amis de Jésus, immédiatement après sa mort, pour constater qu’ils se tenaient à distance : « toute la foule des gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle, observant ce qui se passait, s’en retournaient en se frappant la poitrine. Tous ses amis, ainsi que les femmes qui le suivaient depuis la Galilée, se tenaient plus loin pour regarder » (Lc 23, 49).

L’amitié divine est une caractéristique de l’évangile de saint Jean, sa signature. Elle s’accompagne, comme nous venons de l’entendre, d’une grande joie car l’amitié est une source de joie, de déceptions et de trahisons, mais d’abord de joie. Un ami est irremplaçable. Dans huit jours nous fêterons saint Matthias, qui fut choisi, ce sera la 1ère lecture de dimanche prochain, non pour remplacer Judas – qui voudrait remplacer un traître ?! – mais prendre sa charge : assurer et compléter l’unité des Douze. Quand une personne veuve se remarie, la nouvelle épousée ne remplace pas la première, qui sera toujours la première et souvent la seule pour les enfants. Succéder ne signifie pas remplacer. Quand Jésus envoie l’Esprit saint sur ses apôtres, l’Esprit ne vient pas le remplacer, et le Christ le confirme : Je suis toujours avec vous.

Cela m’amène aux trois différences entre un serviteur et un ami. La première est dans l’usage de son temps. L’ami est libre de son temps pour moi. Le serviteur, comme le salarié, a une obligation de présence. C’est toute la question de notre présence à la messe le dimanche : par obligation ou par amitié ? La réponse est : par obligation tant qu’on n’a pas compris que l’amour vient de Dieu, dit saint Jean dans la 2ème lecture : « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés ». Et nous sommes, comme on le disait jadis, ses ‘obligés’ (liés par la reconnaissance, redevables). Mon Dieu, nous sommes vos obligés.
L’ami est celui qui a du temps pour moi, du temps, de la patience, de l’indulgence. J’ai ri en apprenant cette définition de l’ami : « celui qui vous connaît et qui vous aime quand même ». Plus exactement, l’ami est celui qui a beaucoup de choses à faire et qui a quand même du temps pour vous. Il n’y a pas de plus grand signe d’amour que de passer du temps avec ceux qu’on aime.

Deuxième différence entre le serviteur et l’ami : l’ami, je le laisse partir. Je ne le retiens pas, ainsi que le Christ ressuscité le demande à Marie-Madeleine : ne me retiens pas. L’ami est celui dont je respecte la liberté intérieure. Nous avons, assez logiquement, une vision très ‘domestique’ du serviteur qui reste à la maison : même s’il passe la journée à travailler dans les champs, il revient le soir à la maison.
Dans l’évangile de saint Jean, le serviteur est envoyé. C’est une des paroles essentielles du Christ ressuscité : moi aussi je vous envoie. Que vient confirmer le don de l’Esprit saint : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint ». Il est important que nous puissions harmoniser les deux dans notre vie : le service de Dieu et l’envoi au monde.

Chaque fois qu’on replie l’un (du verbe replier, du repli sur soi, le contraire d’épanouir), on replie l’autre. Ou plutôt, plus on déploie l’un, la vie de prière, la fidélité aux sacrements, l’intimité avec le Seigneur, plus s’épanouit et rayonne la lumière à apporter au monde, l’espérance du Ressuscité. L’Eglise n’est pas une société commerciale où il y aurait d’un côté des techniciens de la prière et de l’autre des commerciaux de l’évangélisation qui seraient chargés d’aller chercher de nouveaux baptisés, de nouveaux fidèles comme autant de nouveaux clients. Mais il y a pire : il y a ceux qui n’osent pas dire, qui cachent l’organisme ou la société pour qui ils travaillent et qui les font vivre, qui en ont honte, ou pire encore qui en disent du mal. Qui dénigrent publiquement (le mot est explicite : ils noircissent) leur boîte, leur employeur. Faut-il être malheureux !
Ce qui peut arriver dans le domaine de l’emploi est impossible en amitié. L’ami n’est pas seulement celui qui vous veut du bien : il en dit. Qu’il soit béni ! Il ne permet pas qu’on parle de vous de façon injuste, et il parle de vous en bien. Comment sait-on qu’une personne est amoureuse ? A la façon dont elle parle de la personne qu’elle aime. Vous imaginez que quelqu’un vous aime et ne parle jamais de vous ? Ou n’en dise que du mal ?

Puis-je vous proposer, en prévision de la Pentecôte, dans les deux semaines qui viennent, de  vous interroger sur la façon dont vous parlez de Jésus-Christ, à qui vous en parlez, quand et comment ? « Je demande, dit le Pape, à tous les chrétiens de faire chaque jour, en dialogue avec le Seigneur qui nous aime, un sincère “examen de conscience” » (Gaudete et exsultate, 169).

La troisième différence entre un serviteur et un ami est la marge de désaccord dont on dispose à l’égard du maître ou de l’ami. Le propre de l’ami est de pouvoir exprimer son désaccord, sans que ce soit un drame, ni un crime de lèse-majesté. « Quand Pierre est venu à Antioche, raconte saint Paul, je me suis opposé à lui ouvertement, parce qu’il était dans son tort » (Gal 2, 11). Nous touchons là au discernement que nous avons à faire entre les commandements de Dieu qui s’imposent à nous, sans contestation possible pour la seule raison de l’infaillibilité divine – Dieu n’a jamais tort, et ce qui relève de son Eglise.

Demeurez dans mon amour dit Jésus. Le Pape François explique : « Nous avons souvent dit que Dieu habite en nous, mais il est mieux de dire que nous habitons en lui, qu’il nous permet de vivre dans sa lumière et dans son amour » (Cf. Gaudete et exsultate, n. 51). Le mystère de l’amitié divine est celui d’un accueil mutuel, réciproque, dont Dieu a l’exclusive initiative. Dieu est impartial, dit la 1ère lecture, « il ne fait pas de différence entre les hommes : quelle que soit leur origine, il accueille les hommes qui l’adorent et font ce qui est juste » (Ac 10, 35). C’est en cela que l’amitié divine diffère de l’amitié humaine, où les deux sont à égalité, et aucun ne peut garder longtemps l’initiative.

Telle est la beauté de l’amitié divine : Dieu nous appelle, Dieu nous attend, Dieu nous accueille et nous ne le dérangeons jamais. Voudriez-vous comparer avec la relation que vous avez avec vos amis ? Dieu a du temps pour moi ; il me laisse libre et ne me retient pas ; il ne se trompe pas. Il est une source infinie de joie.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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