26ème dimanche du temps ordinaire - 30 septembre 2018

Mc 9, 38-43.45.47-48

 

 

Après avoir envoyé les gens pendant des siècles en enfer, l’Eglise a tendance à les envoyer au paradis. C’est un scandale, une occasion de chute, dans un cas comme dans l’autre. C’est un scandale de les envoyer en enfer, non pas de les alerter mais de ne pas tout faire y compris prier de toutes ses forces pour que ça n’arrive pas. L’enfer est une force de dissuasion. Nous avons supprimé la peine de mort au motif qu’elle serait peu dissuasive. Je ne parle pas de son indignité parce que ça, c’est l’état de nos prisons, qui est indigne. Paradoxe d’une société dont l’indépendance repose sur la dissuasion nucléaire, mais qui n’y croit pas pour la vie des personnes. Bien sûr que si, l’enfer peut être dissuasif ! Le Curé d’Ars, pour consoler une femme dont le mari s’était jeté d’un pont, lui dit qu’entre le pont et l’eau, il y a la place pour le repentir : le temps de voir les portes de l’enfer. Le temps de pouvoir crier : Seigneur, sauve-moi ! Oui, il a pu se convertir en voyant les portes de l’enfer. Saint Paul disait à propos d’un homme à l’inconduite extrême : « Il faut livrer cet individu au pouvoir de Satan, pour la perdition de son être de chair ; ainsi son esprit pourra être sauvé au jour du Seigneur » (1 Co 5, 5). C’est en voyant l’enfer que certains cœurs endurcis réagiront.

Le génie du Diable est de faire croire que l’enfer n’existe pas. Et le scandale est de perpétuer ce mensonge. Plusieurs personnes sont venues me voir choquées par l’éloge rendu à un défunt qui s’était suicidé : on veut le donner en exemple ? Jusque dans les années soixante, l’Eglise refusait de célébrer dans les cas de suicide des funérailles religieuses. C’était une double peine pour les proches et la famille. On travestissait alors en accidents les accès de souffrance et de désespoir. On fait un mensonge inverse quand on banalise le suicide.

Comment en est-on arrivé là ?

Il suffit de se promener dans les églises et d’assister ici ou là à des célébrations de funérailles. Misère ! Nous avons non pas perdu la guerre mais une sévère bataille contre l’athéisme, le matérialisme, et pour l’Espérance, en n’y consacrant pas nos forces et nos priorités. Alors que c’est le premier lieu de compassion et d’évangélisation. Où sont les prêtres lors des obsèques ? Il n’y en a plus ? Ou ils ne s’en occupent plus ? Ils ont sorti de son contexte la parole de Jésus : laisse les morts enterrer les morts. Ils ont laissé aux retraités les plus âgés de nos communautés la préparation et jusqu’à la célébration des funérailles. Je sais bien qu’il y a un vieillissement de la population mais ne faites pas de la mort un truc de vieux. A qui vais-je comparer cette génération ? Elle ressemble à des médecins surchargés de travail qui laisseraient les cas graves aux bénévoles. Nous nous moquons des baptêmes républicains et nous multiplions les enterrements laïques : sans célébration du mystère de Pâques ni rappel des fins dernières. L’expression me vient du père d’un homme décédé cet été : il m’a dit qu’il y avait eu « une cérémonie laïque à l’église ».

L’absence d’implication des prêtres et des diacres dans la préparation des funérailles a entraîné cette pratique des témoignages des proches pour éviter leur caractère impersonnel. Ces témoignages, émouvants, contribuent au travail de deuil. Pour autant que nous laissions, collectivement, le temps nécessaire à ce travail : six mois, un an. C’est une violence scandaleuse que l’injonction faite aux personnes endeuillées de vite passer à autre chose. Il vaut mieux entrer amputé d’une partie de son entourage dans la vie éternelle que de renier l’appel de son cœur à prier le Seigneur pour ceux qui nous ont quittés. Je constate que souvent ceux qui n’allaient pas à la messe y retournent après un deuil, et ceux qui y allaient déjà le dimanche y vont en semaine : chaque jour la messe est dite pour les défunts, pour les âmes du Purgatoire.

Lors des obsèques, l’accueil est la mission du prêtre ou du diacre, représentant ordonné de l’Evêque et de l’Eglise : à lui de dire quelques mots sur le défunt, préparés avec la famille, et en commençant par dire du bien pour que les gens écoutent, parce que c’est le principe de l’intercession. J’ai déjà fait l’erreur de ne pas dire suffisamment de bien quand c’était une crapule : elle ne l’était pas pour ceux qui l’aiment. Ce bien doit être vrai et cela demande recoupements et vérification. Quand ce bien est dit par un prêtre, cela prend une toute autre force, il devient sacré, endossé par l’Eglise, et permet de réserver les éventuels témoignages à la fin de la célébration, parce qu’ils plongent chacun dans ses émotions au détriment de l’unité des cœurs et de la prière de l’assemblée : c’est le Christ qui fait l’unité, l’Espérance et non le chagrin.
L’accueil à la messe doit être bref pour préparer à l’écoute de la Parole de Dieu, les textes exclusivement bibliques qui composent la première partie de tout rassemblement catholique : le premier qui parle, c’est Dieu. Non, ces textes ne sont pas plus ‘difficiles’ que la plupart des textes que vous lisez, écoutez, consommez par ailleurs. Des générations et des générations se sont laissées façonner à leur écoute : sans doute entraient-ils moins en contradiction avec leur mode de vie.

Toute mort résonne comme un appel à la conversion.

D’expérience, je vous assure que la douleur des proches est plus forte quand le défunt ne leur a pas parlé de son départ, ni de son espérance. Le plus grand service que vous puissiez rendre à vos enfants et vos petits-enfants, à vos familles comme à vos amis, est de leur dire ce que vous croyez qu’il arrive après la mort. Il ne s’agit pas de les inquiéter ni de les bassiner avec ça : Descartes disait qu’il ne fallait pas faire plus de deux heures de métaphysique par an. De votre courage dépendra leur courage, de votre espérance dépendra leur espérance. Qu’ils n’en soient pas à chercher à se tourner désespérément vers leurs souvenirs alors que nous avons tellement mieux à offrir : l’Amour en personne, Dieu de Miséricorde. Je crois à la résurrection des morts et à la vie éternelle.

Une des angoisses de la mort est la douleur de ceux qu’on aime. La meilleure façon de limiter ce chagrin est de mener une vie droite. Il vaut mieux entrer estropié dans la vie éternelle que de s’en aller dans la géhenne, là où le feu ne s’éteint pas : le Christ rappelle à ceux qui ne veulent pas l’entendre que l’intégrité morale est sans comparaison avec l’intégrité physique. Lui-même a accepté que son corps soit atrocement martyrisé : il n’a jamais commis le péché. La douleur de sa Mère fut inimaginable : son espérance fut récompensée. Le Christ est mort jeune, moins de quarante ans, pour que nous ne fassions de la mort un truc de vieux, et il est ressuscité pour que nous sachions comment ça finit. C’est un scandale d’envoyer les pécheurs en enfer et un scandale de les envoyer au paradis : c’est un scandale de faire l’impasse sur le Jugement des vivants et des morts. « Tous nous comparaîtrons devant le tribunal de Dieu. Car il est écrit : « Aussi vrai que je suis vivant, dit le Seigneur, toute créature tombera à genoux devant moi et toute langue acclamera Dieu ». Ainsi chacun de nous devra rendre compte à Dieu pour soi-même » (Rm 14, 10b-12). Comment fera-t-il pour tomber à genoux devant Dieu celui qui ne l’aura jamais fait de sa vie ?

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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