3ème dimanche du temps ordinaire - 27 janvier 2019

Lc 1, 1-4 ; 4, 14-21

 

Saint Luc utilise un terme inattendu pour dire le lien de Jésus à son pays d’origine : Jésus le Nazaréen, originaire de Nazareth en Galilée, revient là où il avait été ‘élevé’ – littéralement ‘nourri’, ‘nutritus’ en latin qui a donné nutrition. On peut l’interpréter de diverses manières, d’abord comme la base de toute gratitude à l’égard de ceux qui nous ont élevés, fait grandir : ils nous ont nourris, physiquement, moralement, intellectuellement, spirituellement. Vous pouvez ensuite regretter leurs idées, leurs méthodes, leurs choix ou façon de vivre ; vous ne pouvez pas descendre en dessous d’une gratitude minimale, pour la main qui vous a nourri. S’en écarter, oui, la mordre, non.

On peut l’interpréter comme une prise de distance de cette terre d’origine : Jésus était parti et il revient « dans la puissance de l’Esprit » de sa divinité qui s’est révélée lors de son baptême par Jean. Il ne l’a pas reçue ce jour-là : Jésus est Dieu de toute éternité et il a toujours été totalement libre à l’égard de son éducation, de sa communauté, de sa culture : il est le seul homme de l’histoire sans aucun préjugé : Jésus, l’homme sans préjugé. Chacun d’entre nous avons reçu par notre éducation autant de liberté que de préjugés. Nous n’avons pas été formatés de façon irréversible quoique nous puissions penser : nous portons un ensemble de conditionnements dont nous pouvons, toujours, être libérés. Et nous devrons obligatoirement l’être pour entrer au Paradis. Ce sera marqué sur la porte : entrez ici sans préjugés.
Nous avons une vision très réductrice et moralisatrice du Purgatoire qui consisterait à expier ses péchés, alors qu’il s’agira de se débarrasser des pensées toutes faites contraires à l’amour.

Nous ne pouvons pas nous délivrer tout seul des idées erronées que nous avons reçues et que nous nous sommes, pour une part non négligeable, fabriqués nous-mêmes : par de fausses déductions, de mauvais raisonnements de causalité. Il en va notamment de notre idée de Dieu et des responsabilités que nous lui imputons de malheurs qui nous arrivent.
Lors d’une séance de catéchisme où je commentais l’article du Credo sur le Jugement, j’avais invité les enfants à prendre conscience qu’en grandissant, ils accèdent à des responsabilités nouvelles : ‘plus tu grandis, plus tu peux faire de choses que tu ne pouvais pas, que tu n’avais pas le droit de faire avant ; c’est grand, c’est magnifique la responsabilité : ça s’appelle la dignité humaine’. Je voyais qu’ils n’étaient pas tous convaincus. Certains semblaient déjà enfermés dans des destins stéréotypés, sans inventivité, avec des horizons limités.

Le message de Jésus à la synagogue de Nazareth est un message de liberté.

L’Esprit m’a envoyé annoncer aux captifs leur libération, aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable – entendez : une année jubilaire de remise et d’effacement des dettes. Il n’est pas trop tard, d’ici la fin du mois de janvier, pour effacer les dettes : c’est le plus beau des vœux. Il y a des personnes en dette à votre égard, et vous savez qu’elles ne peuvent pas vous rembourser : libérez-les, guérissez-les. Remettez les compteurs à zéro. Dites-leur, au nom du Christ : tu ne me dois plus rien. On ne peut pas traîner ça, des dettes, indéfiniment, qui sont des boulets, qui rendent malades, qui se transforment en haine. Je ne parle pas seulement d’argent. Jésus l’enseigne dans la prière du Notre Père : « Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs » (Mt 6, 12).
C’est l’histoire d’un homme à qui un ami emprunte cent euros. Ils se retrouvent la semaine suivante et l’ami lui dit : ‘Je te dois cent euros ? Prête m’en s’il te plaît encore cent, ça fera deux cents euros’. La semaine suivante, pareil et la suivante encore : ‘‘Je te dois quatre cents euros ? Prête moi encore cent, c’est la dernière fois, oui je te l’ai déjà dit, mais promis etc.’. Et l’autre cède, et la fois d’après, ça recommence pareil : ‘je te dois cinq cents euros ?’ – l’autre le coupe : ‘Non’. Non, tu ne me dois plus rien. Il n’est jamais trop tard pour arrêter une erreur, non pas de prêter à ceux qui ne peuvent pas rembourser, mais d’accumuler des dettes, des griefs, des reproches les uns à l’égard des autres, qui font que la relation va casser sous le poids, que la confiance se perd. Tant de baptisés qui ont perdu la foi à force de griefs, de reproches et de préjugés contre Dieu.
Nous en avons tellement entre nous, de préjugés. En fonction de l’âge, trop jeune ou trop vieux, du sexe, si c’est un homme ou une femme, de l’origine, étrangère ou non, la couleur de peau, de cheveux, etc. Dans la première paroisse où j’ai été nommé, de vénérables vieilles dames m’avaient interrogé : ‘Vous êtes très sympathique mais de quel pays venez-vous ?’.

Ces préjugés à l’égard de ceux qui ne nous ressemblent pas ne sont pas forcément faux, qui peuvent être statistiquement fondés. Mon directeur spirituel m’a dit qu’un prêtre qui vieillit a le choix entre devenir un saint ou un vieux garçon. C’est statistique.

Jésus est le seul homme sans préjugés, le seul homme de pleine confiance, à qui nous pouvons faire une confiance absolue parce qu’il est Dieu né de Dieu et nous connaît comme il nous a créés. Lorsque les temps furent accomplis, il est né d’une femme, il est né sujet de la Loi, en ultime possibilité, après tous les prophètes, de rétablissement de notre confiance en Dieu et de la confiance entre nous. Je ne suis pas venu abolir la Loi, dit-il : il est venu abolir les préjugés. Libérer les prisonniers, annoncer aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, offrir ce regard un nouveau sur les autres et sur soi. Le Seigneur est venu nous libérer de nos préjugés et de nos entraves. Nous avons fêté ce 25 janvier la conversion de saint Paul. Il est plongé dans l’obscurité. Le Seigneur lui envoie Ananie. Celui-ci refuse : « Seigneur, j’ai entendu parler de cet homme et de tout le mal qu’il a fait » (Ac 9, 13). Ce ne sont pas des préjugés, ce sont des informations exactes et pourtant le Seigneur l’envoie, et pourtant Ananie y va.

Jésus le Nazaréen revient là où il avait été élevé, nourri dit l’évangile, et selon son habitude il entre dans la synagogue le jour du sabbat, et il se lève pour faire la lecture. L’évangile ne dit pas où il descend à Nazareth, si c’est chez sa mère, non, c’est chez son Père qu’il va, dans la maison de prière, là où il a été nourri à la Parole de Dieu. C’est notre nourriture ! « Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins qui t’ont allaité ! » lui lance un jour une femme du milieu de la foule, et Jésus de répondre : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui l’observent ! » (Lc 11, 28).
L’Eglise ne s’y est pas trompé qui a fait précéder la lecture de ce retour à Nazareth du tout début de l’Evangile sur « tout ce qui s’est passé concernant Jésus, afin que tu te rendes compte, excellent Théophile, toi l’ami de Dieu, de la solidité des enseignements que tu as entendus ». Ne mesurons pas la validité de l’évangile en fonction des préjugés que nous avons accumulés. Faisons le contraire : libérons-nous de nos préjugés par la puissance de l’amour de Dieu que Jésus incarne et révèle. Il est l’amour en personne, le seul homme de pleine confiance. Vous le savez a contrario : qu’il est périlleux de faire confiance à des personnes qui ne nous aiment pas. Ayez confiance en Dieu dont vous êtes aimés d’un amour pur, plein, libre de tout préjugé.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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