3ème dimanche du Carême - 24 mars 2019

Lc 13, 1-9

 

La seule demande que je fasse aux parents d’un nouveau-né pour son baptême est qu’ils le nourrissent une heure avant. Je leur explique : l’enfant pressent qu’il se passe quelque chose ; il absorbe tout, le stress, les émotions. Son ‘raisonnement’ est simple : mon repas est menacé. Un enfant qui crie au baptême n’a pas faim : il a peur d’avoir faim. Ses cris sont préventifs. Enfant nourri, baptême réussi. Et moi, j’utilise un thermos d’eau chaude. Brûlante et fumante quand elle sort pour la bénédiction de l’eau. Descendue à parfaite température le temps de la renonciation au mal et la profession de foi. J’explique aux parents : il y a deux théologies du baptême, de la plongée dans la mort et la résurrection du Christ. La théologie ‘orthodoxe’ fait crier l’enfant d’un cri de vie semblable à celui de sa naissance, comme le Christ sur la croix a fait entrer notre humanité avec un grand cri et dans des larmes dans la vie éternelle. Et puis il y a la théologie mariale qui dit que la Vierge Marie, dont nous fêtons demain à l’Annonciation la libre et pleine participation au dessein de Dieu, est entrée paisiblement dans la gloire du Ciel. L’Eglise n’a jamais voulu affirmer qu’elle était morte : nous croyons à sa dormition, son entrée paisible dans la vie éternelle.
C’est en ce sens que la foi catholique affirme que nos premiers parents Adam et Eve ne devaient pas mourir : ils ne devaient pas mourir du péché. Ils ne devaient pas connaître la violence de la mort ; ils devaient en être préservés comme Marie, comme à leur façon Moïse et Elie : Moïse avait « cent vingt ans quand il mourut mais sa vue n’avait pas baissé, sa vitalité n’avait pas diminué » (Dt 34, 7) et la tradition en déduisait qu’il n’était pas mort. Elie fut enlevé au ciel sur un char de feu.

L’humanité créée par Dieu ne devait pas mourir (CEC 376). La mort est une conséquence du péché originel : « Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car, le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort » (Gn 2, 17). Si vous relisez le texte de la Genèse, vous verrez que cet arbre de la connaissance est étroitement associé à l’arbre de vie, confusion logique des deux, du bien et de la vie : « le Seigneur Dieu planta un jardin en Eden, à l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait modelé. Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toute espèce d’arbres séduisants à voir et bons à manger, et l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2, 9). C’est celui-ci qui est frappé d’interdit, puisque c’est le propre du bien et du mal de fixer l’interdit. Pourtant il n’est question après que de « l’arbre qui est au milieu du jardin ».

Le serpent dit à la femme : « Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? ». La femme répondit : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sous peine de mort ». Le serpent répliqua : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal ».

Pourquoi cette confusion ? De quel arbre ont-ils mangé ?

La réponse est donnée à la fin quand Dieu dit : « Voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous, pour connaître le bien et le mal ! Qu’il n’étende pas maintenant la main, ne cueille aussi de l’arbre de vie, n’en mange et ne vive pour toujours ! » (Gn 3, 22). Cette formulation est curieuse s’il ne devait pas mourir, qui ne peut se comprendre que s’il aurait alors vécu ‘pour toujours’ sans Dieu, c’est-à-dire en enfer : Dieu n’a pas voulu qu’il soit damné. Il lui a donné un répit. Un sursis : ‘Maître, laisse-le encore. Peut-être donnera-t-il du fruit. Sinon, tu le supprimeras.’

Qui est ce vigneron qui demande grâce pour ce figuier ?

Abraham qui intercède pour Sodome. Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le pécheur ? (Gn 18, 23). Moïse qui veut apaiser la colère du Seigneur (Ex 32, 14). Le Christ qui pleure devant Jérusalem. L’Eglise qui prie pour le monde, dès lors qu’elle ne néglige pas sa propre conversion. Le Christ a bien prophétisé de nous quand il disait : guides aveugles qui filtrez le moucheron et avalez le chameau, qui vois la paille dans l’œil de ton prochain et ne vois pas la poutre qui est dans le tien !

Entrer paisiblement dans la Gloire du Ciel ne signifie pas y entrer aveuglément, au risque de très mauvaise surprise, comme le mauvais riche de la parabole du pauvre Lazare. Quand donc t’avons-nous vu avoir faim, soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ? Comment entre-t-on paisiblement dans la Gloire ? Comme la Vierge Marie : sans péché ni regret. Le péché peut être pardonné, mais le regret ? Le regret de ne pas avoir assez aimé.
Marie est entrée dans la joie, la paix et la lumière, fille bien-aimée du Père, mère bien-aimée du Fils, épouse de l’Esprit. Je connais des personnes qui ont hâte de quitter cette vie mais qui n’espèrent pas Dieu. Elles espèrent ne plus souffrir, retrouver ceux qu’elles ont aimés, qui leur manquent. Ignorent-elles qu’il leur faudra passer par le Christ ? Quand je suis à la porte de l’Eglise passent fréquemment devant moi des personnes comme si je n’existais pas, qui font de moi le mendiant qu’on ne voit pas. Un aveugle à qui Jésus avait imposé les mains disait : je vois les gens, ils sont comme des arbres. Baptisé, non confirmé. Jésus avait dû s’y reprendre à deux fois. Vous imaginez pareille entrée dans l’au-delà ? L’âme de la personne défunte entre où l’attend le Christ. Elle regarde tout autour déçue de ne pas retrouver sa famille, ses amis, et elle a la phrase qui tue : ‘il n’y a personne ?’. Vous, vous savez bien que chaque fois que vous entrez dans une église, il y a Quelqu’un.
Le temps de cette vie nous est donné pour connaître Dieu, avant de le voir de nos yeux. Pour suivre l’exemple de la Vierge Marie : sans péché ni regret. Le temps de cette vie nous est donné pour aimer Dieu et aimer nos frères, donner ces fruits agréables et savoureux qu’on attend du figuier.

Dans l’Eglise, nous avons deux modèles de sanctification : les communautés religieuses où on supporte des personnes qu’on n’a pas choisies ; les communautés paroissiales où on accueille des personnes qu’on n’a pas choisies. En envoyant Moïse auprès de Pharaon, du Buisson ardent, Dieu lui adjoint qui ? Son frère Aaron. Pas un inconnu : son frère. Comme Jésus appelle Pierre et André son frère, Jacques et Jean son frère, parce que la mission suppose une fraternité préalable. Pourquoi tant de paroisses marchent mal ? Parce que nous vivons de l’hypothèse que la fraternité serait facile. Cette variété-là, la fraternité dans le Christ ne peut venir que par la prière. Le temps du Carême est un temps de conversion. Se convertir à quoi ? A plus d’amour pour nos frères.
Ô Marie conçue sans péché, apprends-nous à aimer davantage, pour ne pas le regretter. C’est le seul regret que nous aurons, de ne pas avoir davantage – pas avoir assez – aimé.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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