6ème Dimanche de Pâques - 21 mai 2017

Jn 14, 15-21

Qu’est-ce qui nous a échappé ?

C’est la réflexion que je me suis faite en lisant le livre qu’une de nos Catéchistes vient d’écrire pour sa famille sur un de leurs ancêtres qui fut un des grands artisans de l’abolition de l’esclavage au XIXème siècle : 27 avril 1848, signature du deuxième décret d’abolition.

Qu’est-ce qui nous a échappé pour qu’on ait mis tant de temps ? Tant de siècles !

Je veux rassurer ceux qui redouteraient une nouvelle repentance, qui y sont allergiques ou en sont saturés. D’autant que l’esclavage n’a pas disparu, il s’est déplacé, et il existera toujours, ainsi que le Christ nous a prévenus : « des pauvres, vous en aurez toujours » (Jn 12, 8) et saint Marc précise : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous, et, quand vous le voulez, vous pouvez leur faire du bien » (Mc 14, 7). « Mais moi, vous ne m’aurez pas toujours ». Vous aurez l’Esprit Saint.

Je suis convaincu que les générations qui nous ont précédés ne sont ni plus bêtes ni plus mauvaises que nous, ni moins intelligentes ni moins bonnes. Je constate le progrès technique mais je ne vois guère de progrès moral, et je craindrais même que ce que nous gagnions d’un côté, nous le perdions de l’autre.

Je ne crois pas que nos premiers parents, Adam et Eve, étaient plus bêtes que nous.

La question que nous devons nous poser n’est pas : pourquoi les générations passées n’étaient-elles pas choquées par l’esclavage ? Avec le risque de relativiser l’intolérable.

La question est plutôt : qu’est-ce qu’il y a, aujourd’hui, dans nos modes de vie, qui devrait nous sauter aux yeux et que nous ne voyons pas ? Qu’est-ce qu’il y a de contraire à la dignité humaine qui devrait mobiliser nos forces et que nous tolérons sans état d’âme ?

Quelle est la banalité du mal, quelles sont les choses indignes que nous laissons passer ?

J’ai quelques idées sur le sujet, comme le chômage de masse, sur le plan social, l’abandon des personnes âgées, sur le plan familial, l’exposition des mineurs à des spectacles abrutissants ou dégradants, l’avortement utilisé comme contraception. Sur ces questions, de morale sociale et privée, nous sommes victimes ou nous participons d’un aveuglement général, dont on peut espérer que les générations prochaines seront délivrées, et qu’elles seront plus indulgentes pour nous que nous ne le sommes pour celles qui nous ont précédés.

Dans bien des cas, le levier est financier : c’est l’argent qui est en cause.

Un des grands mensonges colportés aujourd’hui consiste à faire de la religion une cause de violence quand la première cause, toutes catégories confondues, est l’argent.
Pourquoi y a-t-il autant de chômage en France ? Les uns disent que c’est à cause de la logique de profit des grandes entreprises (on ne dit plus du grand capital), les autres à cause du coût de l’emploi et de la main d’œuvre : ils sont d’accord que c’est un problème d’argent.

Mais dans le domaine personnel, est-ce l’argent ou l’égoïsme ? Pourquoi tant de familles ne s’occupent-elles plus de leurs anciens, grands-parents, arrières grands-parents ou oncles et tantes très âgées ? Pourquoi y a-t-il autant d’avortements en France ? Est-ce en raison du coût, parce que c’est trop cher, d’élever des enfants, quand on vit dans les grandes villes, et quand ils ont un handicap ? Ou est-ce parce qu’il y a des choses plus agréables à faire ?

L’argent ou l’égoïsme ?

Nous nous sommes fabriqué un droit au malheur : un droit au chômage, un droit à l’avortement, un droit au blasphème, un droit à l’ingratitude, à l’oubli indifférencié de ce qui nous a construit. La foi chrétienne est un droit au bonheur. Heureux ceux qui croient au Christ, heureux ceux qui croient au bonheur, ils rendront à chacun sa dignité.

Nous devons pour cela sortir de la confusion entre ce qui est difficile et ce qui est compliqué. Sortir de la confusion entre ce qui est difficile : qui demande du temps et des efforts, et ce qui est compliqué : qui nécessite des connaissances spécifiques, une formation adaptée et renouvelée.
Je pense à cet homme qui avait quitté le domicile conjugal pour suivre une belle poule, et qui répétait à sa femme qu’il l’aimait toujours mais que c’était ‘compliqué’ (sic). « Vous lui direz, ai-je conseillé à la malheureuse, que non, ce n’est pas très compliqué : c’est difficile, mais pas compliqué ».

Garder les commandements du Seigneur, c’est parfois difficile mais jamais compliqué.

Cette simplicité ‘biblique’ est la raison pour laquelle Jésus nous demande de redevenir comme des enfants pour entrer dans le Royaume : faire simple. Vouloir aimer et être aimé, choisir la vérité, ne pas tout dire mais ne pas mentir. L’Esprit saint est l’esprit d’amour, l’Esprit de Dieu d’amour, et de vérité, qui nous donne de suivre le Christ dans l’amour de son Père. Sous l’action de l’Esprit Saint Jésus exulta de joie et dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Lc 10, 21). Un des critères pour entrer dans la vie de Dieu est la simplicité.

Lorsque quelque chose vous paraît ‘compliqué’, voudriez-vous vérifier que ce n’est pas ‘simplement’ difficile et une question de temps et de volonté ? Ensuite, voyez à qui vous pouvez faire confiance. L’esprit de vérité repose sur la confiance que nous faisons à ceux que nous aimons. « Il y a tant de temps que je suis avec vous, Philippe, et tu ne me connais pas ? », entendions-nous dimanche dernier dans l’évangile.

Il y a tant de gens qui aiment sans faire confiance. Qui aiment des personnes à qui ils ne peuvent pas faire confiance, qui se retrouvent pris dans un attachement affectif que conteste leur intelligence, écartelés entre leur cœur et leur pensée. Voilà ce que le Christ est venu réconcilier. Voilà ce que l’Esprit saint vient harmoniser, fluidifier : le lien entre ce que nous croyons et ce que nous faisons. Nos valeurs, d’humanité, de dignité, et nos actes, de générosité. C’est vraiment la question : Qu’est-ce qui nous a échappé ?

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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