24ème dimanche du temps ordinaire - 16 septembre 2018

Mc 8, 27-35

 

On m’a posé cet été deux questions. On m’a demandé pourquoi il y a eu une telle horreur pédophile dans l’Eglise. Ce crime contre l’humanité est plus répandu qu’on ne peut le croire, au sein de familles de toutes conditions sociales, mais pourquoi l’Eglise a-t-elle ainsi été si abominablement trahie ? Nos pensées, nos prières vont aux victimes, tandis que nous sommes écœurés par l’ampleur de l’abomination.
La deuxième question a trait à l’enseignement de l’Eglise sur l’enfer, le purgatoire et le paradis : est-il toujours en vigueur ? Oui, nous croyons à l’enfer, à la géhenne éternelle, et ce sera possiblement le lot des prêtres pédophiles et des évêques qui auront laissé faire : ils encourent la damnation. La mort éternelle. C’est à la mesure du crime. Il y a dans l’Eglise un contre-pouvoir radical qui s’appelle l’enfer. Jésus dit à Pierre : Satan. Le Diable est celui qui veut notre damnation avec lui. La conscience que nous avions de l’enfer, qui fait qu’à la messe nous demandions à Dieu de nous ‘arracher à la damnation’, nous préservait des dérives les plus graves. Elle nous préservait solidairement car de même que nous serons sauvés ensemble, seront damnés ensemble les bourreaux et ceux qui avaient pouvoir de les empêcher et ne l’ont pas fait. Dans le cas des horreurs innommables, la négligence de l’autorité n’est pas venue s’ajouter à la forfaiture des prêtres pédophiles : elle en est une des causes. L’absence de contrôle a permis que ces crimes prennent une telle ampleur.

L’évangile rapporte que les foules, voyant Jésus faire un miracle, « furent saisies de crainte, et rendirent gloire à Dieu qui a donné un tel pouvoir aux hommes » (Mt 9, 8). Un pouvoir considérable est donné au prêtre de parler et agir au nom de Dieu, de le rendre présent dans l’eucharistie, de pardonner les péchés, avec le danger pour lui d’oublier qui il est : un avorton, dit saint Paul. Ce n’est pas parce que nous touchons les choses saintes que nous sommes saints. Je vous en prie, frères et sœurs, n’imaginez pas que les prêtres soient plus proches de la sainteté que la personne assise à côté de vous à la messe, que les personnes les plus discrètes et les plus humbles de notre assemblée. Tout pouvoir nécessite un égal contre-pouvoir, en réalité de multiples contre-pouvoirs au pluriel. Si nous voulons empêcher les dérives qui peuvent se produire dans tous les domaines.
Le plus répandu est celui de la science, des connaissances intelligibles : il y a dans l’histoire de l’Eglise un trésor de vérités et une constellation d’erreurs, de contre-vérités et d’approximations qui exigent tri et discernement. Saint Augustin a écrit au soir de sa vie un livre de ‘Rétractations’ où il fait amende honorable de ses erreurs. La repentance engagée par Jean-Paul II au tournant du millénaire a suivi ce même processus. La différence essentielle entre le Christ et l’Eglise tient à la divinité du Christ qui fait qu’il ne peut « ni se tromper ni nous tromper », alors que l’Eglise a défini les conditions très restreintes dans lesquelles elle peut engager une ‘infaillibilité’. Nous croyons un certain nombre de dogmes pour assurer la sécurité de notre foi et de notre marche, nous pourrions dire de notre ascension comme des pitons dans la paroi pour un alpiniste. Pour garder cette image, l’alpiniste ne progresse pas seul : il fait partie d’une cordée où les autres veillent sur lui autant que lui sur eux. C’est dans le domaine de la vie affective que cette protection mutuelle est la plus délicate.
Autant dans l’enseignement il est possible de se corriger mutuellement, à la façon dont Paul a recadré Pierre (« quand je vis qu’ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l’Evangile, je lui dis devant tout le monde »), autant c’est délicat pour tout ce qui relève de la vie personnelle, et c’est le rôle dans l’Eglise de l’autorité hiérarchique.
Qui va dire à un prêtre qu’il ne se tient pas bien, qu’il n’est pas aimable, pas poli, qu’il ne se lave pas assez, qu’il boit trop, etc. ? Ses paroissiens ? Encore faut-il qu’il accepte ces reproches quand tant d’hommes mariés ne le supportent pas de leur femme.
Le problème n’est pas la solitude des prêtres mais la façon dont ils sont livrés à eux-mêmes. Tous les péchés commencent petit. Les passages à l’acte sont précédés de signaux d’alarme : qui va veiller ? En quinze ans de prêtrise je n’ai jamais eu une visite impromptue de mon évêque ou de son représentant. Que penseriez-vous de parents qui n’entreraient jamais dans la chambre de leur enfant ? Ils sont les premiers ensuite à s’étonner : Quoi, vous prétendez que mon enfant fume … ?

Beaucoup invoquent, à propos du drame pédophile, le célibat des prêtres. Nous réagissons mal quand nous l’entendons comme une conséquence inévitable de nos frustrations qui finiraient par exploser, comme si la chasteté était en soi préjudiciable, comme si la sexualité était une question animale. La grande majorité de ces crimes sont le fait de pères de familles, capables d’avoir une pratique sexuelle régulière. Tout prêtre, si apparemment généreux soit-il, peut cultiver un noyau d’égoïsme dans sa vie personnelle : c’est ce noyau qui peut devenir cancéreux. Et, comme pour tous les cancers, il y a des terrains favorables et des facteurs aggravants. Mais la comparaison s’arrête là et la poursuivre serait choquant parce que la pédophilie est une perversion. Ce n’est pas une maladie, ni du pouvoir ni de l’Eglise, mais une perversion inguérissable et c’est pour cela qu’il ne fallait pas et qu’il ne faut pas les laisser dans la nature. Leur retirer à jamais toute responsabilité sans les renvoyer dans la nature.

Comment se fait le dépistage ? L’évangile y répond avec la deuxième annonce de la Passion, dimanche prochain, quand tous les disciples s’égarent et ne comprennent pas. Arrivé à la maison, Jésus leur demande : « De quoi discutiez-vous en chemin ? ». Telle est la question à reprendre sans cesse : qu’avez-vous dans la tête ? Ils avaient discuté entre eux de savoir qui était le plus grand. Alors, Jésus, prenant un petit enfant : « Quiconque accueille un des petits enfants tels que lui à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille. Et ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé » (Mc 9, 33-37). Oui vraiment tout ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait.

Le célibat des prêtres entend les configurer au Christ pauvre, chaste et obéissant : le célibat dans la pauvreté et l’obéissance. Les Pasteurs protestants ont l’avantage d’être nommés et rémunérés par leur Communauté alors que la dépendance du clergé catholique à l’égard des fidèles est obscure. Curés et Evêques doivent être préservés de ce pouvoir financier : il est contraire à la pauvreté comme à l’obéissance. Il n’est pas non plus normal que les paroisses ne soient pas consultées lors des nominations, ni informées du passé de leurs prêtres. Le Pape a raison de dire que ce sujet concerne toute l’Eglise : il concerne des attitudes et des relations qui font le jeu du Diable.
Le problème n’est pas le célibat des prêtres mais le plaisir des hommes à exercer un pouvoir, leur propension à en abuser, quand tant d’hommes mariés se comportent en célibataires dans leurs décisions et leurs choix de vie. Souvenez-vous de la femme de Pilate, qui lui fit dire tandis qu’il siégeait au tribunal : « Ne te mêle pas de l’affaire de ce juste, car aujourd’hui j’ai beaucoup souffert en songe à cause de lui » (Mt 27, 19).
Pilate se serait finalement suicidé, tandis qu’une autre tradition dit qu’il se serait converti. Et vous, qu’en pensez-vous : a-t-il pris le chemin du Salut et du Christ, comme Pierre, ou celui de la perdition, comme Judas ? « Il aurait mieux valu pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là ! » (Mt 26, 24). Il y a dans l’Eglise un contre-pouvoir radical qui s’appelle l’enfer. Iront ceux qui auront commis sciemment le mal et ceux qui auraient pu l’empêcher.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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