19e dimanche du Temps Ordinaire - 13 aout 2017

Mt 14, 22-33

Une semaine après la Transfiguration, nous retrouvons le prophète Elie en 1ère lecture dans sa rencontre à l’Horeb, la montagne de Dieu : le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ; le Seigneur n’était pas dans le feu. Il fallut qu’Elie fût capable d’entendre le murmure d’une brise légère.

Curieux choix de 1ère lecture en vis-à-vis de l’évangile où Jésus se manifeste comme le Maître de la mer et des vents, le vainqueur des tempêtes.
Ces deux textes ont un point commun : le récit eucharistique qui les précède. Pour l’évangile c’était la multiplication des pains (que nous n’avons pas lu à cause de la Transfiguration) : « Après avoir nourri les foules ».
Pour Elie, ce fut un coup de mou qu’il eut après avoir triomphé des faux prophètes, et en avoir fait massacrer plusieurs centaines. Après une journée de marche dans le désert, il s’arrête à l’ombre d’un buisson et demande la mort en disant : « Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères ». Puis il s’étendit et s’endormit. Mais voici qu’un ange le réveille et lui donne de quoi refaire ses forces : Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu.

Etonnant décalage entre l’audace d’Elie face à la foule au chapitre précédent et son désarroi soudain. Pourtant Elie, le grand prophète dont le Livre du Siracide (l’Ecclésiastique) fait un éloge vibrant dans sa dernière partie sur les hommes célèbres (les chapitres 44 à 50, à lire), est le type même de l’homme qui n’avait peur de rien : « Comme tu étais redoutable, Élie, dans tes prodiges ! Qui pourrait se glorifier d’être ton égal ? » (Si 48, 4). Aurait-il perdu courage, comme d’autres perdent la foi ?

Est-il possible, au contraire de perdre courage, de le gagner : de prendre courage ? Est-il possible de devenir courageux ?

Le courage est-il une qualité innée, naturelle, inégalement répartie, qui permet à certains de briller aux combats, de s’imposer face aux autres et à l’adversité, de traverser les épreuves, ou simplement de se comporter dignement, de ne pas avoir besoin de mentir, et d’être capable d’assumer ses responsabilités ?
Ou bien est-il une vertu, qui s’acquiert et se développe, à laquelle chacun peut prétendre, que nous devons tous rechercher ? Est-ce qu’il possible de devenir courageux quand on ne l’est pas tellement ?

Avec cette deuxième question, subsidiaire : s’agit-il d’un don de l’Esprit-saint, la force, le 4ème des sept dons de l’Esprit ?

Le récit de l’évangile de la marche sur les eaux montre que le courage ne se manifeste pas seulement face au danger, mais touche quelque chose de plus profond, c’est le cas de le dire ici où Pierre n’a pas pied et s’enfonce, qui est le propre de la souffrance morale, le sentiment de s’enfoncer, parfois de chuter, de disparaître à l’intérieur de soi-même.

Cela peut arriver dans des cas de grande fatigue et d’épuisement physique ou nerveux : l’impression que l’on tombe, d’une chute sans fin, vertigineuse, à l’intérieur de soi. Si vous l’avez déjà éprouvée, vous savez pourquoi la mort est si effrayante.

Le courage auquel le Seigneur nous appelle est de prendre des risques, de sortir de nos sécurités et de notre confort, de nous risquer hors de la barque pour le rejoindre dans l’inconnu. C’est le courage de la foi. Elle n’est pas un tranquillisant, un opiacé, car elle implique une conversion permanente, de se remettre régulièrement en question : est-ce là ce que le Seigneur attend de moi ?
Telle fut la crise que connut Elie au désert, après sa sanglante purification des faux prophètes : ce fut moins la menace de la reine Jézabel que l’embarras de sa conscience qui lui fit prier le Seigneur d’arrêter sa mission. Reprends ma vie. Je ne vaux pas mieux que mes pères.

Dans le cas de Pierre, la leçon est différente. Pierre est de ceux qui suivent les ordres sans trop se poser de questions : Suis-moi. Avance au large. Jetez les filets. Et puis, comme ici, comme Elie, à un moment donné, il prend conscience et cela lui est insupportable qu’il est comme tout le monde, qu’il ne vaut pas mieux que les autres. Pire, qu’il est un homme faible. Si tous t’abandonnent, moi je ne t’abandonnerai jamais.

Le courage chrétien est d’accepter de sortir de soi-même, de souffrir comme les autres et pour les autres : souffrir quand on n’y est pas obligé, par solidarité avec ceux qui n’ont pas le choix.
C’est ce que Dieu en Jésus a fait avec nos péchés au jour de son baptême par Jean dans le Jourdain : lui qui n’a jamais péché, qui a tout connu de notre condition excepté le péché, s’est fait péché pour nous, il a pris sur lui nos péchés : descendant dans le Jourdain avec sa pureté immaculée, il en est ressort couvert de nos regrets et de nos faiblesses. Pour quelle raison Jésus a-t-il demandé à Jean de le baptiser, d’un baptême de purification et de conversion, qui n’est pas notre baptême ? Pour la même raison qu’il a enduré la Passion : il a pris sur lui nos souffrances comme il a pris nos péchés.

Le courage dont le Christ est le modèle absolu, est le courage de souffrir quand on n’y est pas obligé, et qu’on pourrait même éviter, et de l’accepter par solidarité avec ceux qui n’ont pas le choix. Supporter librement l’injustice par miséricorde pour ceux qui en sont écrasés : pour ne pas les laisser seuls.

Dans cette scène de l’évangile, Pierre découvre que pour rejoindre Dieu il faut se faire proche de ceux qui souffrent, qui sont perdus, qui se noient et qui crient, pour être avec eux, comme Jésus l’a fait de tous les petits et de tous les pauvres.
Alors, est-il possible de devenir courageux ? Autant que d’être un Saint ou une Sainte. En considérant qu’il vaut mieux se faire proche des petits que de combattre les puissants. C’est la grande fête de l’Espérance que nous fêterons le 15 Août avec la Vierge Marie. Dieu renverse les puissants ; il élève les humbles.

Oui, il est possible de devenir courageux, de souffrir comme les autres et pour eux : pour ne pas les laisser seuls, et s’apercevoir qu’ils nous soutiennent autant que nous les soutenons. C’est comme ça qu’on marche sur l’eau, qu’on ne s’enfonce pas à l’intérieur de soi-même, en gardant les yeux fixés sur le Seigneur : « Il est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? ». C’est le don de l’espérance : « Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ; espère le Seigneur » (Ps 26, 14).

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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