10ème dimanche du Temps Ordinaire - 10 juin 2018

Mc 3, 20-35

 

Je vous rappelle cette règle concernant l’évangile du dimanche : quand on ne sait pas comment le comprendre, on part de la 1ère lecture que l’Eglise donne en vis-à-vis. L’évangile de ce dimanche mêle en effet des sujets très différents : du Diable, du pardon, de la famille, sans qu’on sache exactement comment ils s’articulent. La 1ère lecture en donne un éclairage très utile : la famille n’était pas encore constituée, Adam et Eve n’avaient pas encore d’enfants. Le pardon est absent : pris en faute, l’homme ne demande pas pardon, ne s’excuse pas, mais accuse sa femme, alors que c’est lui qui avait reçu l’ordre ou plutôt l’interdit. Et c’est pourquoi cette faute s’appelle le péché d’Adam. Enfin, le discours divin se limite ici à la condamnation du serpent, sa damnation, définitive car le Diable ne demande jamais pardon : c’est cela, le péché contre l’Esprit, le refus du pardon.
Une maman à qui j’avais conseillé de faire elle-même le catéchisme de ses enfants, de quatre et six ans, trop petits pour aller au Catéchisme de la Paroisse, – et je lui disais pour son bien à elle : il n’y a pas de meilleure façon de progresser dans la foi que de chercher à la transmettre – avait pris cet exemple pour me convaincre de son incapacité : Ma fille m’a demandé si le diable peut être pardonné ? Vous répondez quoi ?
En théorie, oui, de la part de Dieu. En réalité, non, car le Diable refuse le pardon comme il refuse tout ce qui vient de Dieu et conduit à Dieu. Il est réellement méchant. Dans un petit livre délicieux, un classique désormais de la littérature spirituelle, « Croire à l’amour », le Père Claude d’Elbée dit qu’il y a dans la vie beaucoup d’ignorants et très peu de méchants. Mais il y en a. Et ils seront damnés. « Ils sont comme la paille balayée par le vent : au jugement, les méchants ne se lèveront pas, ni les pécheurs au rassemblement des justes. Le Seigneur connaît le chemin des justes, mais le chemin des méchants se perdra » (Ps 1, 4-6).

La dernière partie de la Lettre du pape François sur la Sainteté comporte une affirmation sans appel de l’existence du Diable, qui n’est pas « un mythe, une représentation, un symbole, une figure ou une idée ». C’est un être personnel qui nous harcèle. Le chapitre s’intitule ‘Combat, vigilance, discernement’ car chaque fois « que nous baissons la garde, il en profite pour détruire notre vie, nos familles et nos communautés ». C’est de cela dont il est question dans l’évangile de ce dimanche : Satan en famille.
« Quand Jésus nous a enseigné le Notre Père, il a demandé que nous terminions en demandant au Père de nous délivrer du Mal. Le terme utilisé ici ne se réfère pas au mal abstrait et sa traduction plus précise est “le Malin”. Jésus nous a enseigné à demander tous les jours cette délivrance pour que son pouvoir ne nous domine pas ».

Une jeune femme est venue me voir, qui était possédée. Elle est venue en voisine alors qu’elle était musulmane, ayant pris des distances avec sa famille, dans une quête à la fois spirituelle et sociale, de recherche de la vérité et d’ascension sociale. Elle était allée jusqu’à faire, des années plus tôt, un pacte de sang avec le Prince de ce monde. Elle en ressentait de façon atrocement douloureuse les effets. Je ne savais pas si elle venait pour en être délivrée, si elle avait besoin d’en parler avec quelqu’un qui pouvait comprendre, ou si elle était un piège autant qu’une victime car elle était ravissante. Et d’une impudicité sidérante dans le détail de ses récits teintés d’autant de lubricité que d’innocence.

Mon Ange gardien m’a secoué quand elle m’a dit ingénument : ‘je suis peut-être une menace pour vous ?’. J’ai répondu que l’Eglise et les sacrements du Christ sont une protection salutaire. Elle a rétorqué que dans les films on voit que les démons entrent dans les églises. Et elle a raison. Je l’ai adressée au Service de l’Exorcisme, je n’ai plus eu de nouvelles, et je n’ai pas cherché à en avoir. Il n’y a pas que dans les films qu’on voit des démons dans les églises : c’est la première manifestation du diable dans l’évangile quand Jésus se rend à la synagogue, et que se manifeste un homme possédé par un esprit impur. Les sacrements de l’Eglise sont une protection nécessaire mais pas suffisante. Sinon il n’y aurait pas de prêtres pédophiles.
Il faut prendre au sérieux la parole que le Christ a adressée à Pierre qui était tenté et qui tentait de s’opposer à la Passion : « Passe derrière moi, Satan ! » (Mt 16, 23). Pour Benoît XVI « ce contraste se répète aujourd’hui encore : quand la réalisation de la vie n’est orientée que vers le succès social, le bien-être physique et économique, on ne raisonne plus selon Dieu, mais selon les hommes » (28 août 2011).

Les armes que le Seigneur nous donne pour « résister aux manœuvres du diable » (Ep 6, 11) forment un tout : « la foi qui s’exprime dans la prière, la méditation de la parole de Dieu, la célébration de la Messe, l’adoration eucharistique, la réconciliation sacramentelle, les œuvres de charité, la vie communautaire et l’engagement missionnaire » (Lettre du Pape François sur la Sainteté, n. 162). Les quatre premières : la prière, la Messe, l’adoration et la confession ont besoin des trois suivantes : « les œuvres de charité, la vie communautaire et l’engagement missionnaire ». Inversement, celles-ci, et au premier chef la vie communautaire et d’abord familiale est le lieu de tous les dangers sans le combat permanent et la protection du Christ. « Celui qui ne veut pas le reconnaître, dit le Pape, se trouvera exposé à l’échec ou à la médiocrité ».

Le mot (médiocrité) revient à plusieurs reprises dans sa Lettre sur la Sainteté car elle en est l’exact contraire. La médiocrité est le plaisir du Diable, son domaine préféré, où il prolifère à foison, où il n’a rien à craindre, quand l’homme se considère comme une créature un peu plus évoluée que les autres. Les écueils dans la vie vont par deux : la mise en garde contre l’orgueil court le risque de tomber dans l’excès inverse du défaitisme, qui consiste à croire que la sainteté ne serait pas pour vous.

La fête du Saint-Sacrement que nous célébrions dimanche dernier est celle du grand désir qui doit nous animer. « Le progrès du bien, la maturation spirituelle et la croissance de l’amour sont les meilleurs contrepoids au mal. Personne ne résiste s’il reste au point mort, s’il se contente de peu, s’il cesse de rêver de faire au Seigneur un don de soi plus généreux » (n. 163). Puissions-nous venir à la messe avec ce sentiment qui nous fait dire au Christ : J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec toi Seigneur ! (cf. Lc 22, 15).

« Les saints qui sont montés très haut dans le ciel y sont montés sur les ailes des grands désirs. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi eut un jour la vision de la gloire de saint Louis de Gonzague. Elle s’étonnait : ‘Comment ce petit jeune homme a-t-il pu monter si haut parmi les Séraphins ?’. Il lui fut révélé qu’il avait atteint cette gloire parce que, durant sa courte vie, il s’était consumé de désirs d’aimer Dieu et d’être un saint » (Père Claude d’Elbée, Croire à l’amour, p. 158). « D’ailleurs désirer aimer, c’est déjà aimer, un grand désir d’aimer est déjà un grand amour ».

Dans l’Eglise comme en famille, voir Dieu, c’est voir grand.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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