26e dimanche du Temps Ordinaire - 1er octobre 2017

Mt 21, 28-32

Nous connaissons tous des parents très catholiques, pratiquants, fervents, exemplaires sur le plan de la foi, dont les enfants sont loin de tout ça, ne vont plus à la messe, n’ont pas fait baptiser leurs enfants. Comment cela peut-il se faire ? Qu’est-ce qu’ils ont fait au Bon Dieu – pour qu’on aille au cinéma pour se moquer d’eux ? Voilà une question : pourquoi des parents catholiques ont-ils des enfants qui ne le sont pas ? L’inverse existe aussi, plus rarement. Le phénomène existait par le passé, mais pas de cette ampleur : comment expliquer la rupture que nous vivons en France et en Europe dans la transmission de la foi ? Qui en porte la responsabilité : les familles, l’Eglise, ou la société ?

Est-ce que ce sont les parents qui n’ont pas donné le bon exemple, qui se sont comportés comme les Pharisiens, ils disent et ne font pas, avec cet écart qui décrédibilise le prescripteur : faites ce que je dis, pas ce que je fais ? Mes amis, n’aimons pas en paroles et en discours mais par des actes et en vérité : c’est le titre du message du Pape pour la 1ère journée mondiale des pauvres le 19 novembre prochain.
Est-ce que c’est l’Eglise la responsable de cette rupture dans la transmission de la foi, à force d’être aussi bienveillante à l’égard des autres religions et aussi figée dans ses traditions à elle ? Combien de parents disent que ce serait plus facile d’emmener les enfants à la messe si ces messes étaient moins sinistres …
Et puis, prêtres et parents, nous finissons par tomber dans les bras les un des autres en nous lamentant ensemble sur l’état de l’époque et de la société …

La parabole des deux fils montre que l’éducation des enfants n’a jamais été facile.

Le modèle de foi que nous citons à chaque messe, le centurion romain dont nous redisons la parole avant de communier : « je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit » … – sa foi, il ne la tenait pas de ses parents ! En se reconnaissant indigne, il était un modèle d’humilité ; en se soumettant à Jésus, il était un modèle d’obéissance ; en faisant appel à lui, il était un modèle d’ouverture d’esprit et d’intelligence. Ces qualités, l’humilité, l’obéissance, l’intelligence, sont des qualités humaines : vous me direz comment on fait pour les transmettre à ses enfants. Comment est-ce qu’on fait pour que ses enfants soient humbles, obéissants et intelligents, ouverts d’esprit ?

Cette parabole des deux fils est propre à l’évangile de saint Matthieu. Elle est similaire à la parabole du fils prodigue de l’évangile de saint Luc : dans les deux cas, nous avons deux fils, deux frères que tout oppose, et que tout oppose à leur père, deux paraboles qui montrent que ce n’est pas tant la foi qu’il faut transmettre que le désir de conversion.
Au lycée, j’avais un ami, Jérôme, dont le frère aîné, Alexandre faisait le désespoir de sa mère. Le père, psychanalyste, vivait plongé dans les livres et les angoisses de ses patients. La mère, d’origine grecque, répétait avec un accent merveilleux : « Alexandrrrre, il fôt chainger ta vie ». Elle souffrait, comme tant de mères, de ne pouvoir changer ses enfants.

Puisque nous sommes le 1er octobre, en la fête de la petite Thérèse, qui par obéissance a écrit ‘l’histoire d’une âme’, permettez-moi, à titre très exceptionnel, de raconter une clé de ma foi. J’avais à peine dix ans et nous nous étions retrouvés en famille dans un club de vacances qui n’avait pas l’image qu’il a depuis. C’étaient les vacances de Noël, nous étions au Maroc – ‘Agadir, c’est du champagne !’ – avec un décalage énorme entre la profusion des victuailles et des loisirs et la pauvreté de la population. Le soir de Noël, mes parents avaient décidé qu’on irait à la messe, à mon grand dam vu les festivités qui s’annonçaient sur place. Nous avons erré longtemps avant de trouver un lieu perdu, improbable, un petit rez-de-chaussée d’immeuble obscur réaffecté en salle discrète de prière catholique. S’est gravé dans mon cœur d’enfant l’impossibilité de fêter Noël comme si le monde, comme si les autres n’existaient pas. Cette ouverture, je l’ai vécue dans la contrainte et l’obligation : jamais je n’aurais choisi tout seul d’y aller, à la messe, et je n’y serais pas allé si on m’en avait laissé le choix. Il fallait être fou pour ne pas faire comme tout le monde et profiter des bonnes choses ! Je n’ai pas entendu de la part de mes parents, le moindre commentaire ou jugement sur les autres familles tout aussi catholiques qui ne faisaient pas le même choix. Ni jugement sur les riches, ni commisération sur les pauvres.

Où ont-ils trouvé la force de faire cela ?

Il faut comprendre pourquoi le deuxième fils, celui qui dit oui, finalement n’y va pas. Pour le premier, on comprend bien : il est pris de remords. Comme le fils prodigue, il pense à son père, et il regrette. Mais le deuxième ? On peut prétendre que son oui n’était pas un vrai oui, qu’il avait répondu sans y penser, pour faire plaisir ou pour ne pas avoir d’ennuis. Comme tant de fiancés m’avaient promis qu’ils feraient baptiser leurs enfants, pour me faire plaisir ou être sûrs que je les marierais ? Comme tant de parents s’engagent au moment du baptême à inscrire l’enfant au Catéchisme, pour me faire plaisir ou être sûrs qu’on le baptise ?

Non, ils disent oui sincèrement. S’applique ensuite la parabole du semeur, ce qui empêche la semence de porter du fruit : le piétinement des passants, la venue du diable, le poids du jour, la chaleur qui dessèche, les soucis, la richesse et les plaisirs qui étouffent comme des ronces. Cela se résume en un mot : ils n’y pensent plus. A l’inverse du premier fils qui pense à son père, le second n’y pense plus.

Voilà qui éclaire dans l’évangile l’opposition pharisiens publicains. Les premiers ne pensent pas au Père du Ciel : ils pensent à sa place. Ils jugent à sa place. Quant aux seconds, et c’est pourquoi ils passeront avant, ils savent que ce qu’ils font n’est pas juste. Qu’ils ne sont pas « sur le chemin de la justice ». Ils le regrettent quoi qu’ils puissent en dire. Mais, c’est la différence par rapport à notre époque, ils n’imaginent pas qu’en supprimant les Pharisiens, ils seront plus heureux. S’ils ne sont pas pleinement heureux, ce n’est pas à cause de la Loi. Ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on a moins froid. Ce n’est pas du regard des Pharisiens qu’ils souffrent mais de leurs actes, en conscience.

Nous fêtons ces jours-ci les saints Anges. L’Ange, lui, n’a pas d’écart entre sa vie intérieure et sa vie extérieure : il fait ce qu’il dit, Oui au Seigneur. Jusqu’à la fin des temps. Par différence avec le démon, qui ne sait que dire Non. Non serviam, non serviable. L’Ange dit oui, au point qu’à celui qui rend service, sans même qu’on lui demande, nous disons : tu es un ange ! Le démon dit non.

Qu’est-ce alors qu’un Saint ?

Un être libre. Voyez les signataires des lectures de ce dimanche : saint Paul était pharisien, fils de pharisien ; il est devenu chrétien. Saint Matthieu était publicain, fils de publicain ; il est devenu chrétien. Nul n’est prisonnier de sa filiation ni de ses traditions.

Cette liberté vient du Christ : nous sommes aujourd’hui entre les fêtes de deux grands Saints, saint Vincent de Paul, mercredi dernier, et saint François d’Assise, mercredi prochain, deux modèles de conversion, de prière et de charité. Deux enfants de Dieu qui ont cru au Christ, Celui en qui toutes les promesses de Dieu trouvent leur Oui (2 Co 1, 20). Oui au Christ, oui à la vie, oui à la joie, non au péché.

Oui au Christ, non au péché !

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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