Jeudi Saint - La Sainte Cène - 9 avril 2020

Jn 13, 1-15

 

Pourquoi le Seigneur Jésus a-t-il attendu le dernier moment de sa vie terrestre avec ses disciples, pourquoi a-t-il attendu ce dernier repas pour faire ce geste du lavement des pieds ?

Pourquoi Jésus a-t-il attendu ce dernier repas ? Avant de vous parler de la prêtrise et de la messe qu’il a institués ce soir-là, je vais vous donner une réponse qui vaut pour tout le monde, que nous soyons catholiques ou non : face à la mort, il ne restera plus pour chacun de nous que ce que nous aurons fait pour les autres.

Face à la mort, il ne reste plus que ce que nous avons fait pour les autres : le service que nous avons rendu à nos proches, à notre pays, à l’humanité. Et cela va pour des parents de l’éducation des enfants, l’exemple donné, les sacrifices consentis, les valeurs et les biens transmis, aux œuvres d’art des artistes, en passant par tous les talents développés et épanouis par chaque personne, quelle qu’elle soit, au service d’autrui. Pour les infirmiers comme pour les routiers.

Face à la mort, il ne restera plus que ce que nous aurons fait pour les autres, et ce soir-là Jésus et ses apôtres se retrouvent ensemble face à la mort. Ensemble ! Ce contexte est aussi important que le geste. Le contexte fait partie du geste, contexte dramatique : Jésus va mourir sur la Croix, être arrêté dans la nuit, trahi par l’un des Douze, Judas qui mourra d’ailleurs avant lui. Pris de remords, Judas voudra rendre l’argent, regrettera d’avoir livré à la mort un innocent. « Que nous importe ? Cela te regarde ! » Jetant les pièces d’argent dans le Temple, il alla se pendre.

C’est parce que Jésus et ses apôtres se retrouvent ensemble face à la mort que les paroles de Jésus se sont gravées dans leur cœur : pas seulement parce que Jésus a joint le geste à la parole en leur lavant les pieds, mais parce que ce soir-là ils étaient terrifiés. La mort était là. Les disciples étaient terrifiés, Jésus lui-même « bouleversé » (Jn 13, 21), si uni à ses disciples qu’il dira : « Ne soyez pas bouleversés ; vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi » (Jn 14, 1).

Ils sont d’autant plus terrifiés qu’ils savent le sens symbolique de ce lavement des pieds. Ce geste, les disciples l’ont vu, sur Jésus : c’est l’onction à Béthanie, l’évangile du Lundi saint. Marie, la sœur de Lazare, verse un parfum sur les pieds de Jésus, et les embrasse. Satan ricane par la voix de Judas : c’est du gâchis. Jésus révèle alors que ce geste est le signe de sa mort : elle l’a fait « en vue de mon ensevelissement » (cf. Jn 12, 1-11).

Pourquoi Jésus a-t-il attendu ce repas, pour instituer ces deux sacrements que nous honorons ce soir de la messe et de la prêtrise ? Il fallait que les disciples comprennent que ces gestes ne sont pas des symboles mais des sacrements. Qui donnent la vie : des sacrements du Salut.

Il y a quelques jours, célébrant la messe seul dans l’église close, devant votre assemblée invisible, j’ai ressenti pour la première fois avec autant d’intensité qu’en communiant Dieu descend dans notre cœur.
Ce fut une sensation limpide et puissante que l’hostie, le Pain de Vie va certes matériellement dans mon estomac ou mes entrailles, mais il est, en esprit et en vérité, le médicament de mon âme, le remède aux manques d’amour de mon cœur.
Voilà pourquoi vous pouvez le recevoir sans communier sacramentellement, vous pouvez recevoir Jésus chaque jour. Il faut pour cela que nous fassions de même de la Parole de Dieu, des lectures de la messe : que le message d’amour de l’évangile aille dans notre cœur en esprit et en vérité.
C’est ce qu’il s’est passé ce soir-là pour les disciples : les paroles de Jésus se sont gravées dans leur cœur, pas seulement parce que Jésus a joint le geste à la parole mais parce que ce soir-là ils étaient face à la mort, en réalité à l’entrée dans la Vie.

Tant de fois dans l’évangile, les disciples se sont disputés pour savoir lequel d’entre eux était le plus grand, qui aurait la plus belle récompense. Et voilà que l’imminence de la mort de Jésus les met devant leur propre finitude. Ils sont comme les membres d’une famille qui vit la mort de l’un des leurs. Qui sera le prochain ?
Serait-ce moi ? est la question que nous avons entendue dans la Passion selon saint Matthieu lorsque Jésus annonce que l’un des Douze va le livrer. Profondément attristés, ils se mirent à lui demander, chacun son tour : « Serait-ce moi, Seigneur ? ». Ici, dans l’évangile de saint Jean, il ne s’agit pas de trahison, encore que. Encore que la question du sacerdoce, puisque la prêtrise est le sujet ce soir, est celle du sacrifice de notre vie.
Frères Prêtres, le sommes-nous devenus pour les honneurs liés à cette charge, en cette vie ou en espérant comme Jacques et Jean siéger auprès du Christ dans la Gloire ? Sommes-nous devenus prêtres pour une récompense ? Ou le sommes-nous devenus pour donner notre vie comme Jésus ? Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Encore faut-il que nous les aimions, plus que nous-mêmes.

Hans Urs von Balthasar, un des grands théologiens du siècle dernier, a raconté dans un petit texte posthume intitulé ‘Pourquoi je suis devenu prêtre’, que le point déclenchant avait été pour lui cette parole intérieure : « Tu n’as besoin de rien, on a besoin de toi ».

Pour suivre le Christ, nous devons, nous prêtres, remettre à chaque messe notre vie entre les mains de Dieu. Chaque jour. Est déterminante pour la vie d’un prêtre son rapport à la mort. Les prêtres ont pour mission, reçue des apôtres, de donner à la suite et à l’image du Christ l’exemple d’une vie prête à être sacrifiée. Ne croyez pas qu’on le fasse une fois pour toutes au jour de notre ordination ! N’imaginez pas que ce soit une grâce d’état, habituelle. Ne pensez pas non plus, à l’inverse, que ce soit une agonie de chaque instant, un Gethsémani permanent, où il nous faudrait sans cesse supplier Dieu de mettre notre volonté personnelle de côté.

Si cette messe du Jeudi saint est aussi importante pour les prêtres, c’est parce que nous apprenons à le vivre par le lavement des pieds : c’est notre orgueil qu’il faut offrir et sacrifier à chaque messe.

Des horreurs ont rappelé, à notre plus grande honte, qu’il est possible de ‘faire le prêtre’, d’en avoir l’apparence ou le statut, de célébrer la messe tout en faisant les œuvres du Diable. Ce n’est donc pas la célébration de la messe qui suffit pour nous sanctifier, pour faire de nous ‘des pasteurs selon le cœur de Dieu’. Pareil pour vous ! Quel est le nombre de Judas parmi les Chrétiens ? 1 sur 12 ? Chacun fera sa propre estimation en fonction de son expérience et de son optimisme.

Que faut-il pour être digne de Dieu ? Pour être ensemble les Prêtres de la Nouvelle Alliance, nous pour le peuple, vous dans le peuple ? Je peux reprendre la formule de saint Augustin : pour vous je suis prêtre, avec vous je suis chrétien.

C’est une femme dont nous ne connaissons pas le nom qui a répondu, en faisant le même geste que l’onction à Béthanie, sauf que ce n’était pas avec du parfum mais avec ses larmes qu’elle a embrassé les pieds de Jésus (Lc 7, 38). On l’appelle la pécheresse pardonnée parce que c’est le nom de l’Eglise.

Pleurez avec ceux qui pleurent, dit saint Paul. Il n’y a que la compassion qui puisse venir à bout de notre orgueil. En pensant aux prêtres qui ont défiguré l’Eglise et trahi le Christ, je me suis demandé combien d’entre eux passaient du temps auprès des mourants, combien d’entre eux avaient accepté comme priorité de s’occuper des familles en deuil, de soutenir les proches des défunts. D’avoir passé du temps à prier et à pleurer. Prier pour ceux qui pleurent. Pleurer avec les malheureux, être pris aux tripes par leur angoisse, leur immense douleur.

A moi aussi face à la mort il m’est arrivé de tricher, et comme prêtre de sortir du jus pieux, des paroles vides, d’oublier que le Seigneur fait de nous, de nous tous, moi comme vous, des prophètes de l’Espérance.
Oui cela m’est arrivé parce que je ne vaux pas mieux que mes pairs. Et c’est pourquoi en ce Jeudi saint, je demande pour moi et mes frères prêtres de nous laisser saisir à chaque messe par l’amour de Dieu. Je prends à nouveau la ferme résolution de ne pas fermer mon cœur à la souffrance de ceux qui pleurent : de me mettre à leurs pieds et les laver de mes larmes.

Le lavement des pieds fait de nous des Vivants à la mesure de notre humilité face à la mort.

Notre-Dame de Compassion, priez pour nous les prêtres : que face à la mort nous soyons le visage de l’amour, celui du Christ.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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