4ème dimanche du Carême - 14 mars 2021

Jn 3, 14-21

 

Dieu a tant aimé le monde. Joie de la déclaration d’amour de Dieu ! Il est beau d’entendre cette déclaration d’amour de Dieu pour le monde, quand notre tentation à nous est plutôt de le conspuer, de le juger. ‘Comment faites-vous pour ne pas juger ?’ me demandait un journaliste intrigué par la confession. Je lui ai répondu avec la parole du prophète Elie, avant d’aller sur la montagne de Dieu : « Je ne vaux pas mieux que mes pères ». Je ne vaux pas mieux qu’eux ! Bien que la vraie réponse soit dans l’évangile de ce dimanche : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé ».

J’ai été très gêné par le premier chapitre de l’encyclique Fratelli Tutti : un tableau si sombre du monde qu’il ne peut pas être juste. L’une d’entre vous m’a dit la même chose de la première Conférence de Carême de Notre-Dame de Paris, agacée par ses critiques sur la santé, l’environnement, le progrès – l’hygiénisme, l’écologisme, le transhumanisme. Elle disait cela parce qu’elle avait préféré la deuxième ; heureusement qu’elle ne s’était pas arrêtée à la première – impression … Quand on commence par critiquer, beaucoup arrêtent d’écouter. On se ferme, pour se protéger.

A qui Jésus, dans l’évangile, adresse-t-il des reproches ?

Principalement à ses disciples. Et encore, le mot reproche est quasiment absent des évangiles : il n’apparaît qu’une seule fois, dans l’évangile de saint Marc, comme le mot colère n’apparaît qu’une seule fois pour Jésus (Mc 3, 5). Apparaissant aux Onze pendant qu’ils étaient à table, « il leur reprocha leur manque de foi et la dureté de leurs cœurs parce qu’ils n’avaient pas cru ceux qui l’avaient vu ressuscité » (Mc 16, 14).

Dieu nous encourage bien plus qu’il ne nous fait des reproches, même si nous entendons ses encouragements comme des reproches. Il fait la différence entre nos défauts et nos péchés. Les défauts sont des points de conversion. Parfois en confession, on me dit : je suis paresseux. Dites plutôt : je ne prie pas assez.

Le plus difficile est de savoir quels sont les reproches que nous pouvons exprimer.

J’ai perdu deux amis pour la même raison : je n’ai pas réussi à dire les griefs que je portais contre eux. Et eux non plus. Pour le premier, je me souviens très bien : je lui ai proposé de venir déjeuner et j’ai attendu tout le repas qu’il aborde le sujet, notre dispute. Il ne l’a pas fait et moi non plus. Manque de courage ? Paresse ? Orgueil ? C’est comme pour le deuxième : j’ai attendu le bon moment, qui n’est jamais venu. Sans doute attendions-nous chacun trop de l’autre. Dans un cas comme dans l’autre, je ne suis pas sûr non plus qu’ils étaient en mesure de pouvoir entendre ce que je voulais leur dire, ni moi non plus : étais-je prêt à entendre ce qu’ils allaient me dire ?
Il en va tout différemment avec Dieu. Nous imaginons à tort que si nous revenons à Lui, il va nous reprocher nos absences, nos infidélités’ … Nooon ! « Celui qui croit en lui échappe au Jugement ». Pas de prière sans déclaration d’amour de Dieu

L’histoire du serpent de bronze que Jésus rappelle à Nicodème est à cet égard exemplaire : c’est en regardant la cause de leur souffrance, le serpent brûlant, que les enfants d’Israël ont été sauvés. Si vous acceptez de regarder vos péchés, vous serez sauvés.
Confiance ! Il faut de la confiance pour exprimer et entendre des reproches. Faire confiance et avoir la confiance de l’autre. Ce qui n’est pas le cas pour nous dans l’Eglise avec le monde.

Plus exactement, il faut un climat d’amour suffisant. Le Cardinal Journet, dans des ‘Entretiens sur les fins dernières’ il y a soixante ans, disait : «Toutes les révélations divines nous ont été données comme baignant dans l’Amour, comme une perle se forme dans la mer … Et si on en parle sans amour, qu’il s’agisse de la Trinité, de l’Incarnation, du baptême, de la Présence réelle, du ciel ou de l’enfer, si on en parle sans amour, on trahit. Même si nous disons des choses absolument exactes, s’il manque l’ambiance d’amour nous trahissons.
Ceux qui se rendent comptent qu’ils trahissent en transmettant le message, qu’ils soient bénis parce qu’ils savent au moins qu’ils disent des choses plus grandes qu’eux. S’ils n’en avaient pas conscience ce serait terrible, car cela pourrait créer une atmosphère d’indifférence ou d’incrédulité».

Pourquoi n’ai-je rien dit à ces deux amis ? Je ne les aimais pas assez. Ou plutôt ils n’étaient plus suffisamment proches : nous ne passions plus assez de temps ensemble pour entourer notre relation de suffisamment d’attention et de tendresse, pour que chacun puisse supporter de l’autre des propos moins positifs. Il faut montrer et continuer à montrer beaucoup d’amour pour suggérer quelques corrections. Il faut un climat d’amour suffisamment étoffé. Une profondeur suffisante pour plonger.
Voilà pourquoi nous disons aux amoureux de ritualiser leur relation, un peu comme Dieu veut que nous fassions avec lui, avec des rendez-vous réguliers, au minimum un temps d’arrêt quotidien.

Voilà ce que nous devons vivre avec Jésus et apprendre de lui : à créer un climat d’amour suffisant. Sinon taisons-nous comme Jésus au moment de sa Passion, ou faisons comme il l’a ordonné : s’il n’y a pas là un ami de la paix, partez. Apprenons à garder le silence, à prendre patience, ou allons-nous-en. Revenons d’abord à la joie de la déclaration d’amour de Dieu pour entretenir entre nous un climat d’amour suffisant.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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