Dimanche de l'Epiphanie - 2 janvier 2022

Mt 2, 1-12

 

Je vais vous faire une confidence : j’étais avec les Rois Mages quand ils sont allés voir Jésus. Oh, nous étions nombreux, une grande et longue caravane. Non seulement pour des questions de sécurité, il n’était pas question, pour des ‘autorités’ comme ces Mages de prendre la route sans une escorte consistante, mais également pour des raisons d’autonomie, de nourriture et de campement. C’est comme ça que je me suis trouvé embarqué : je connaissais un des cuisiniers qui savait que ces Mages cherchaient un scribe tout-terrain : la plupart de mes confrères sont casaniers. Les Mages avaient emmené avec eux des peintres, des portraitistes qui nous ont régalé à chaque étape : ils nous émerveillaient avec leurs coups de pinceaux, leurs croquis géniaux des paysages ou des incidents. Il y avait aussi des conteurs et des musiciens le soir, autour des feux, pour finir la journée. Mon rôle était plus discret : je devais noter les paroles mémorables que les Mages échangeaient au fur et à mesure de la route et des arrêts.

Il régnait dans cette caravane une ambiance extraordinaire, une étonnante fraternité, malgré la variété des langues et des dialectes, alors que chacun avait ses codes et ses divinités, et que le rythme était intense : on avançait à marche forcée. J’ai retrouvé plus tard l’expression exacte du sentiment qui nous animait, dans une Lettre de saint Paul je crois qui dit : L’Esprit-Saint nous pousse. C’est ainsi que nous avancions, poussés par l’Esprit.

Le récit de saint Matthieu, avec cette étoile qu’on suivait n’aurait peut-être pas recueilli l’unanimité mais tous ou presque, nous savions que cette lumière était présente dans notre cœur. Je mets à part la bande de profiteurs qui s’étaient incrustés, attirés par l’argent ou la renommée, mais ils étaient très largement minoritaires. C’est toute la différence avec ce que j’ai connu des siècles après, lors de la deuxième croisade, où la proportion était inversée : là, ceux de l’étoile étaient minoritaires, débordés par une masse de vauriens.

Cela m’a tellement refroidi que je suis allé plus tard poser la question au plus grand théologien de l’Université – je voulais voir saint Thomas d’Aquin mais il venait de partir, et j’ai pu passer un moment avec saint Bonaventure : la discussion a porté sur l’Eglise et sur la variété incompréhensible et si fluctuante de gens bien et de vauriens. Je lui avais donné ces deux exemples : je lui avais raconté la grâce fraternelle et divine de la caravane des Mages, cette merveille d’humanité ; et à l’opposé, à l’autre extrême, lors de la deuxième croisade, le nombre effarant de malandrins ! Pourquoi, Maître ? Est-ce à cause du nombre, est-ce qu’à partir d’une certaine ampleur, la foule devient ingérable ? Ou bien est-ce à cause des astres, puisqu’avec les Mages nous allions de l’Orient vers le Soleil qui se couche, tandis qu’aux croisades, nous cherchions à l’inverse à remonter le temps ?
Non, m’a-t-il dit. La différence est qu’avec les Mages, vous ne cherchiez pas des souvenirs, vous ne cherchiez pas un lieu sacré, vous cherchiez Dieu.

Je me souviens évidemment de notre arrivée à Jérusalem. Les scribes du roi Hérode m’ont traité comme l’un des leurs. Que leur vie pourtant était dure ! Je confirme tout ce qui a été écrit sur la méchanceté de Hérode. Il faisait vraiment peur. J’ai proposé en partant aux scribes les plus malheureux de venir avec nous.

Et nous sommes arrivés à Bethléem. Je n’étais pas au premier rang, on était trop nombreux, serrés, entassés comme quand dans l’évangile Jésus parlait et la foule se pressait à la porte.

Je n’oublierai jamais l’impression que nous avons ressentie. Comme si nous étions au Paradis. Disparues, oubliées les fatigues, les disputes, les incertitudes. On n’avait plus ni peur, ni angoisse, ni doute. Comme si notre âme régnait en maître en notre corps. J’aurais juré entendre le chant des anges. J’ai à peine vu les parents de l’Enfant, mais en moi quelle plénitude ! Comme dit le Psaume (15, 11) : devant toi débordement de joie, à ta droite éternité de délices.

Nous sommes restés en silence. Le temps s’était arrêté. Nous n’avions plus besoin de rien. Nous nous comprenions et nous partagions sans avoir à dire quoi que ce soit.
C’est bien après, sur le trajet du retour, que j’ai demandé aux Mages pourquoi nous n’étions pas restés ? Ils m’ont répondu que nous étions venus voir le Roi des Juifs. Et ils ont ajouté quelque chose que j’ai soigneusement noté sur ce titre qui serait placardé à sa mort sur la croix avant que l’Esprit-Saint, l’Esprit-Saint ! m’a-t-il dit en me regardant dans les yeux et me serrant le bras, l’Esprit-Saint qui nous a amenés, poussés, guidés, nous sera donné à chacun ! J’ai noté le mot Pentecôte, que je connaissais pas.

Maintenant je sais. Maintenant je suis Chrétien. Il faut dire qu’après être rentré, je ne dirai pas que j’ai repris ma vie, ce n’était plus pareil. La Providence a voulu que trente ans plus tard je retourne à Jérusalem, et j’ai vu, de mes yeux, ce que vous savez. Je suis Chrétien et je crois au Fils de Dieu !

Oui Christ est vivant, il est Ressuscité !

Chrétien, un des Apôtres m’a appelé comme ça quand je lui ai raconté mon périple avec les Mages. Tu étais avec eux ? Tu étais déjà chrétien. Est chrétien celui qui va avec ceux qui cherchent Dieu.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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