Solennité de l'Epiphanie - 6 janvier 2019

Mt 2, 1-12

 

La visite des mages, et leur « très grande joie », est suivie dans l’évangile de saint Matthieu de deux épisodes sombres et tragiques : la fuite en Egypte et le massacre des saints innocents. L’ensemble forme un triptyque comparable au Christ en croix entouré des deux larrons.
Au centre, le Christ qui s’offre à l’adoration des uns, ici des mages, à la jalousie et la haine des autres, notamment des puissants, et à l’indifférence du plus grand nombre.
Le mauvais larron est l’équivalent du massacre des saints innocents : nous en faisons mémoire juste après Noël, le 28 décembre, avant la fête de la sainte Famille, comme pour rappeler aux familles que leur mission est de protéger les enfants.
De l’autre côté, le bon larron est la fuite en Egypte dont l’Eglise ne fait pas de mémoire particulière : tout au plus est-elle indirectement présente au baptême du Seigneur que nous fêterons dimanche prochain, car le baptême de Jean avait lieu à l’endroit où le peuple était rentré en Terre promise après le retour d’Egypte, – « d’Egypte j’ai appelé mon fils », le peuple conduit par Josué, autrement dit Jésus.

La joie de notre lien à Dieu est assombrie par ces deux menaces : d’une part l’exil en terre étrangère implique l’abandon d’une grande partie de nos biens, pour entrer dans la Gloire. L’appel dans l’évangile du jeune homme riche retentit comme un avertissement : le plus grand obstacle à notre sanctification tient à nos attachements affectifs et matériels. Pourquoi est-ce que tant de Catholiques ne vont pas à la messe le dimanche ? Question de confort. Ils ne peuvent pas prétexter la qualité des célébrations vu ce qu’ils consomment par ailleurs. Pour connaître Dieu, il faut sortir de soi. De nos habitudes, de nos convictions, de notre territoire animal. « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où reposer la tête. » (Lc 9, 58). L’effort que vous faites chaque dimanche pour venir à la messe est bien plus fructueux que vous ne l’imaginez : il est une sortie du confort individuel pour rejoindre une marche commune vers Dieu.
Dans les vœux de bonne santé que je nous adresse en ce début d’année, je souhaite que nous ayons assez de force pour sortir de notre confort pour nous unir aux autres et à Dieu.

Le détachement de nos biens et de nos sécurités se fait progressivement. Un exercice simple consiste à laisser de côté son téléphone portable une heure par jour. Il est un signe fort de notre dépendance au monde et cela nous amène à la deuxième menace, d’exclusion pour non-soumission au groupe dominant ou pouvoir en place représenté par Hérode. Le deuxième obstacle à notre sanctification, après notre confort, tient en effet à la peur de représailles de la part du monde.
Vous avez lu ou entendu parler des best-sellers de Yuval Noah Harari (‘Sapiens, une brève histoire de l’humanité’), des millions d’ouvrages vendus dans le monde. Il a l’efficacité de Dan Brown et du Da Vinci Code. Dans son 3ème livre, ‘21 leçons pour le 21ème siècle’, il pose cette question : « Quelle est la plus grosse erreur que votre religion, votre idéologie ou votre vision du monde ait commise ? Qu’est-ce qui a mal tourné ? » (p. 233).
Dans l’Eglise, nous avons l’embarras du choix, même si nous savons qu’on reconnaît un arbre à ses fruits. La réponse que je ferais n’est pas les crimes que Harari impute à l’Eglise mais le fait d’avoir au siècle dernier renoncé à s’opposer au nazisme par crainte des représailles. Eu peur du massacre d’innocents. Qui a eu lieu. Bien sûr que c’est humain. Comme c’est humain de la part de l’apôtre Pierre d’avoir renié Jésus dans la cour du grand prêtre (la seule question est : qu’est-ce qu’il faisait là ?).
Le deuxième vœu de bonne santé spirituelle que je forme en ce début d’année est que nous ayons assez de confiance en Dieu pour remettre notre vie et celle de ceux que nous aimons entre ses mains. L’histoire de l’Eglise est faite du courage de ses Saints, à l’exemple de Jean-Baptiste qui ne craignait pas Hérode. Que cette année soit une année de vérité.

L’évangile de saint Matthieu dit que le roi Hérode entra dans une violente fureur et envoya tuer les enfants en « voyant que les mages s’étaient moqués de lui ». Comment Hérode peut-il penser que les mages se sont moqués de lui ? N’est-ce pas lui Hérode qui se moquait d’eux quand il disait : allez-y et « quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui » ? Cela me fait penser, toutes proportions gardées, aux personnes qui nous disent : ‘si tous les prêtres étaient comme vous, on irait plus souvent à la messe’. Vœu pieu ?

Il ne faudrait pas que ces deux ombres, ces deux drames de la fuite en Egypte et du massacre des innocents occultent l’essentiel, l’adoration des mages. Ils ont suivi l’étoile, cherché la lumière. Les drames qui ont suivi montrent d’où vient le danger : des plus proches, des rois cruels bien plus que des étrangers. En réalité, le danger vient de soi. De nos peurs, de nos compromissions. La seule façon de les combattre est de faire comme les mages, suivre la lumière, jusqu’à la rencontre du Christ.

L’ensemble, adoration-fuite-massacre, forme un triptyque comparable au Christ en croix entre deux brigands. La différence entre les deux, le bon et le mauvais, n’est pas d’innocence mais de leur conscience et de leur conscience religieuse : « Tu n’as aucune crainte de Dieu ! ». De cette conscience religieuse vient la conscience morale, le sens de la justice : « Pour nous, c’est juste ». Ce sont deux absentes croissantes de notre monde, la conscience morale et la conscience religieuse, car la première vient de la seconde.
Le troisième vœu que je forme pour cette année est que nous puissions harmoniser les deux : former, éclairer et nourrir notre conscience morale à partir de notre conscience religieuse. Les mages constituent un magnifique exemple de l’intelligence au service de la foi : ils ont eu la sagesse d’aller à la cour du roi Hérode, y entendre les grands prêtres et les scribes, et la sagesse d’écouter l’Esprit-Saint pour retourner dans le monde par un autre chemin.

Le Christ le dit dans sa prière à son Père, à propos de ses disciples « tirés du monde pour me les donner » : « Je ne te prie pas de les enlever du monde, mais de les garder du Mauvais » (Jn 17, 15). « Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde ». Voilà mon quatrième et dernier vœu pour nous cette année.

Le premier est que nous ayons assez de force et de santé pour sortir de notre confort pour aller ensemble vers Dieu.
Le deuxième vœu que nous ayons assez de foi et de confiance en Lui pour remettre notre vie et celle de ceux que nous aimons entre ses mains.
Le troisième est l’harmonie de notre conscience religieuse et morale.
Enfin, le quatrième est que nous soyons dans le monde envoyés par le Christ pour y annoncer cette très grande joie : un Sauveur nous est né.

Gloire à Dieu et paix sur terre aux hommes qu’il aime.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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