Solennité de la Pentecôte - 20 mai 2018

Jn 15, 26-27 ; 16, 12-15

 

Il n’y a pas qu’en Chine qu’il y ait une église officielle et une église clandestine, une église proche du pouvoir et une église proche de l’évangile. Il en va de la nature même de l’Eglise et de son histoire. Au moment de la Révolution française, il y avait une église du pouvoir, à la cour du Roi, et une église du peuple, proche des petites gens. Dans l’histoire de France, cette tension est permanente, dont l’illustration la plus forte est symbolisée par Jeanne d’Arc contre l’évêque Cauchon.
Attention, à l’église du pouvoir, on ne peut pas lui en vouloir : elle est la condition d’existence de l’église de l’évangile. Au Vendredi saint, dans le récit de la Passion selon saint Jean, nous voyons saint Pierre, ainsi qu’un autre disciple, suivre Jésus qui venait d’être arrêté. Comme ce disciple était connu du grand prêtre, il entra avec Jésus dans le palais du grand prêtre. Pierre se tenait près de la porte, dehors. Alors l’autre disciple – celui qui était connu du grand prêtre – sortit, dit un mot à la servante qui gardait la porte, et fit entrer Pierre (Jn 18, 15-16). Qui était cet autre disciple connu du grand prêtre, qui frayait avec les autorités ? Le disciple que Jésus aimait ! Les choses sont plus compliquées qu’elles n’y paraissent. L’église du pouvoir est aussi celle de l’évangile.

L’habitude a été prise de reprocher à l’Eglise de n’avoir pas appelé à la rébellion au moment de l’Occupation. De n’avoir pas dénoncé suffisamment l’antisémitisme et l’horreur nazie. Pas plus ou plutôt pas moins que les deux libérateurs, les Etats-Unis et l’Union soviétique. Personne n’a rien dit, parce qu’une parole publique n’engage pas seulement celui qui la porte mais tous ceux qui en dépendent.
Lisez le discours de Pierre au jour de la Pentecôte : vous n’y trouverez aucune mise en cause des autorités dans la mort de Jésus. S’adressant à la foule, il déclare : « Hommes d’Israël, écoutez les paroles que voici. Il s’agit de Jésus le Nazaréen, homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous. Cet homme, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies » (Ac 2, 23). Dans un autre discours, il dira : « Cependant, frères, je sais que c’est par ignorance que vous avez agi, ainsi d’ailleurs que vos chefs » (Ac 3, 21).

Aucune parole publique ne peut faire l’économie d’une certaine réserve à l’égard des autorités en place. Lors des frappes françaises en Syrie le mois dernier, alors que l’évêque chaldéen d’Alep, Mgr Antoine Audo SJ, avait exprimé au micro de Radio Vatican ses doutes sur l’emploi d’armes chimiques par le régime, on n’a rien entendu de la part de l’Eglise de France ni de l’Oeuvre d’Orient. Nous mobilisons les paroisses sur la situation des Chrétiens d’Orient, et lorsque se produit un tel événement, nous ne disons rien ?

Nous confondons ‘personne n’a rien dit’ et ‘personne n’a rien fait’. Ce n’est pas en élevant la voix, en disant ‘Seigneur, Seigneur !’ que nous faisons la volonté de Dieu. Dans les moments importants de notre vie, il y a ceux qui se sont manifestés et les autres. Parmi ceux qui se sont manifestés, il y a ceux qui ont écrit, envoyé un message, et ceux qui sont venus, qui étaient là. A la Pentecôte, avant d’être une parole, L’Esprit saint est une présence. « Il se posa sur chacun d’eux » (Ac 2, 3).

Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, dit Pierre qui est pourtant le premier, forcément, à défendre les institutions : « Soyez soumis à toute institution humaine à cause du Seigneur, soit à l’empereur, qui est le souverain, soit aux gouverneurs, qui sont ses délégués pour punir les malfaiteurs et reconnaître les mérites des gens de bien » (1 P 2, 13-14). Car la volonté de Dieu, c’est qu’en faisant le bien, vous fermiez la bouche aux insensés qui parlent sans savoir. Soyez des hommes libres, sans toutefois utiliser la liberté pour voiler votre méchanceté : mais soyez plutôt les esclaves de Dieu. Honorez tout le monde, aimez la communauté des frères, craignez Dieu, honorez l’empereur.

Le Pape François, dans une préface à un recueil de textes de Benoît XVI au titre parlant « Libérer la liberté. Foi et politique », donne la clé : il faut « inscrire l’obéissance de l’homme à Dieu comme limite de l’obéissance à l’État ». Comme limite, pas comme alternative !
Il cite cette phrase du cardinal Ratzinger des années soixante-dix : « nous devrions réapprendre qu’en plus de la présence réelle de Jésus dans le temple, dans le sacrement, il existe cette autre présence réelle de Jésus dans les plus petits, dans les laissés pour compte de ce monde, dans les derniers : en eux tous il veut que nous le rencontrions ». D’où la ‘sortie’ des Apôtres au jour de la Pentecôte !
C’est pour les petits, n’en déplaise aux esprits forts, qu’existent les institutions. Un des grands mensonges du Diable est de faire croire que les Institutions briment la liberté alors qu’elles la protègent : l’école, la police, la justice, l’armée, l’Eglise, et au premier chef la famille : « Jean-Paul II avait bien compris la portée décisive de la question ; appelé avec raison le ‘pape de la famille’, il ne soulignait pas par hasard que ‘le futur de l’humanité passe par la famille’ (Familiaris consortio, 86). Dans le même ordre d’idées, j’ai moi aussi insisté sur le fait que ‘le bien de la famille est déterminant pour l’avenir du monde et de l’Église’ (Amoris Laetitia, 31) ».

En entendant Pierre au Jour de la Pentecôte, ceux qui étaient là « furent touchés au cœur ; ils dirent : « Frères, que devons-nous faire ? » Pierre répond : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit ». Et il les exhortait : « Détournez-vous de cette génération tortueuse, et vous serez sauvés » (Ac 2, 40).
Détournez-vous de cette génération tortueuse. La facilité, l’irresponsabilité est de s’en prendre à l’autorité, d’incriminer les pouvoirs en place. La responsabilité du Chrétien, avant de savoir quelles sont les lois qui l’obligent, est de savoir quel exemple il veut suivre. Ne nous trompons pas de priorité : pour l’Eglise en France, elle est de rétablir le sacrement de la Confirmation, le don de Dieu. Inutile de chercher à mobiliser contre les lois de bioéthique quand la majorité des baptisés ne font plus la différence entre le bien et le mal : ils estiment qu’il suffit qu’il y ait dans un acte une part de bien pour que cet acte ne soit pas mauvais, voire bon. Alors que c’est le contraire : il suffit qu’il y ait une part conséquente de mal pour que l’acte soit mauvais.

Une paroissienne avait été troublée par les propos d’un de ses proches, psychiatre et athée, qui considérait la prière comme une manipulation psychologique. Demandez-lui, lui ai-je dit, comment il explique les progrès incontestables et magnifiques que vous faites en douceur et en patience ? Je voyais depuis des mois cette femme se sanctifier à vue d’œil. L’Esprit saint est une force transformante. Qui ne transforme pas le monde mais les personnes, qui ne les transforme pas malgré elles, ni de l’extérieur, ni artificiellement comme des sportifs se dopent au mépris des règles et de leur santé. Il est, dit Jésus par deux fois, l’Esprit de vérité, qui conduit dans la vérité tout entière.
La vérité de l’Eglise est dans la vie des Saints et des Saintes de Dieu. Ne soyez pas troublés par tout ce que vous pouvez voir ou qu’on peut vous rapporter des infidélités de ses membres. Leurs égarements ne disent rien d’autre que ce que nous savons, du mauvais usage que nous pouvons faire de notre liberté. Ce n’est pas l’Eglise qui est en cause, mais notre docilité à l’Esprit-Saint. Ce n’est pas en attaquant les Institutions qu’on libère l’esprit humain, qui y serait enfermé. Idée absurde de libérer l’Esprit : c’est lui qui libère. C’est du Mauvais et du mensonge que l’homme doit être délivré, par l’Esprit de vérité.

La Pentecôte est l’acte de naissance de l’Eglise institutionnelle. Elle est le Corps du Christ qui est le Chemin, la vérité et la vie. C’est en elle que se trouve l’accès le plus direct à la grâce. C’est en elle que subsiste la plénitude de l’Esprit Saint. Nous, les petits, nous avons besoin des institutions.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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