Comment empêche-t-on quelqu’un de faire une bêtise ? :

23e dimanche du Temps Ordinaire - 10 septembre 2017

Mt 18, 15-20

Comment empêche-t-on quelqu’un de faire une bêtise ? Le mot habituel, le plus courant n’est pas celui-là, vous l’aurez deviné. Comment empêche-t-on quelqu’un de faire une … folie ? Ce n’est pas directement le sujet de l’évangile qui parle de péché, mais la question mérite d’être posée. Ne serait-ce que pour faire la différence entre une bêtise et un péché.
En effet, comment est-on sûr que c’est une bêtise ? Se lever la nuit pour prier quand on a besoin de dormir peut être une erreur, tandis que le péché a une réalité morale objective, que le Catéchisme de l’Eglise Catholique détaille à partir des Dix commandements. Comment distinguer entre le mal et l’erreur stupide que nous pouvons faire de bonne foi ?

J’aurais pu poser la question dimanche dernier car c’était la réaction de Pierre à l’annonce par Jésus de sa Passion : « Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas ». Pierre se trompait en croyant que Jésus se trompait. Au moins le prenait-il à part comme on vient de l’entendre dans l’évangile : « va lui faire des reproches seul à seul », qui indique : « si ton frère a commis un péché contre toi » qui peut se comprendre de façon restrictive : tu peux t’en mêler si tu es concerné.
Mais s’il s’agit d’une bêtise qui ne concerne que lui, qui n’est pas une faute en soi, mais un choix inapproprié ?
Je pense à ces bacheliers dont on a parlé avant l’été qui se sont inscrits à l’université dans des filières où ils n’ont aucune chance parce qu’ils n’ont pas les pré-requis, quand ils veulent faire médecine sans avoir fait de maths, ou ceux qui s’agglutinent dans des secteurs sans débouchés professionnels suffisants, en sport ou en psycho.
Je pense à ces amoureux qui se mettent ensemble et se marient sans se connaître, sans avoir pris le temps de se connaître autrement que bibliquement, emballés par leur passion ou leurs sentiments.
Je pense au nombre croissant de nos contemporains qui se font tatouer. Si encore c’était joli, si au moins ça avait du sens, si c’était le portrait d’un Saint ou de la Vierge Marie … Il faut comprendre pourquoi la Bible l’interdit : « Vous ne vous ferez pas d’incisions sur le corps. Vous ne vous ferez pas faire de tatouage » (Lv 19, 28) : ce n’est pas le corps qui est sacré, c’est l’évolution de la personne. Ne vous faites pas tatouer parce que vous ne pouvez pas présumer que telle image, symbole, inscription, message qui vous plaît ou vous parle aujourd’hui le fera demain. N’attentez pas à votre liberté d’évoluer. Protégez votre avenir. J’aime ce dicton que le Pape citait un jour : « il n’y a pas de saint sans passé et il n’y a pas de pécheur sans avenir » (catéchèse du 13 avril 2016).

Comment empêche-t-on quelqu’un de faire une connerie ?

Je pense à ces confrères prêtres qui acceptent des nominations à contre emploi, qui n’osent pas refuser ce qui n’est pas fait pour eux, par obéissance excessive, car l’erreur ne vient pas toujours de la personne : elle peut venir de l’autorité, des parents pour des choix d’études, des patrons pour un travail, et même des conjoints …
C’est le premier aspect à traiter : le lien à l’autorité, la part d’obéissance ou de désobéissance et c’est la raison pour laquelle l’évangile parle du frère qui a péché contre toi pour situer la démarche, le dialogue sur un plan d’égalité, en dehors d’une relation hiérarchique d’autorité.

Il y a des personnes qui font n’importe quoi pour se distraire, des folies parce qu’elles s’ennuient, mais le plus souvent c’est pour accéder à une liberté illusoire ou rêvée.

Reconnaître ce désir d’émancipation, ce besoin de liberté, évite de s’y opposer frontalement. L’autorité est en tout cas la plus mal placée pour le faire, pour empêcher un de ses sujets d’échapper à son emprise. Je pense à ces jeunes qui se marient, c’est encore vrai aujourd’hui, pour se soustraire à l’emprise de leurs parents. Ceux-ci sont les plus mal placés pour les raisonner ! Je vous signale que c’est le rôle des parrains et marraines, des amis, des prêtres, de pouvoir offrir à des jeunes une parole fraternelle, respectueuse de leur liberté intérieure. C’est la raison pour laquelle l’évangile parle de lier et de délier : rendre ou faire accéder à la liberté.

Comment empêche-t-on quelqu’un de faire une bêtise ? En parlant avec lui. A sa mère qui s’inquiétait pour lui, comme toutes les mères pour leur enfant, et qui lui avait sans doute fait la morale, Charles Baudelaire écrit (la lettre est datée du 6 mai 1861) qu’il préfèrerait en parler avec elle de vive voix comme de toutes « les erreurs ou idées fausses que la conversation pourrait rectifier et que des volumes d’écriture ne suffiraient pas à détruire ».
A tous ceux qui sont tentés d’écrire pour corriger, empêcher ou raisonner, il faut citer cette parole lumineuse : il y a des erreurs « que la conversation pourrait rectifier et que des volumes d’écriture ne suffiraient pas à détruire ». Si ton frère se fourvoie, va le trouver seul à seul : ne lui écris pas.

Et si tu veux qu’il écoute, prends le temps de l’écouter, car le but n’est pas de le faire changer d’avis mais réfléchir. Qu’il prenne le temps de réfléchir. Qu’il ne s’engage pas trop vite, ni totalement. Tout l’art de la négociation consiste à temporiser. Non pas pour noyer le poisson mais pour obtenir un répit, un délai, une période de réflexion. Le levier, c’est le temps, et son corollaire la proximité.
Comment empêche-t-on quelqu’un de faire une bêtise ? En prenant le temps et en restant avec lui. Parce que c’est l’attitude du Seigneur avec nous. Reste avec nous Seigneur. Quand il ne sert à rien de s’opposer, au risque de renforcer une détermination, l’erreur inverse est de jeter l’éponge. Pas question de se laver les mains, de prendre un air outragé, en disant : débrouille-toi, je ne veux plus rien savoir, – ce n’est pas comme ça qu’on arrive à quelque chose.
N’est-ce pas pourtant ce que dit l’Evangile : « s’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain » ? Non, la suite que nous entendrons dimanche prochain fait intervenir Pierre qui demande justement : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? ». Vous connaissez la réponse : autant de fois qu’il le faudra. En fait : autant de fois que je te le demanderai, dit le Seigneur. Si ton frère se fourvoie, il reste ton frère. Même excommunié. Les rares mesures d’exclusion prises par l’Eglise sont médicinales, à des fins de conversion.

Le Christ est Celui qui nous empêche de nous égarer.

Lorsque l’Eglise semble se résigner, le Christ, lui, nous garde tout son amour. Vous ne saviez pas que Jésus console des personnes qui ne font pas ou qui ne font plus partie de l’Eglise ? En réalité, l’Eglise se ‘re-constitue’ chaque fois que nous allons chercher ceux qui se sont égarés, passer du temps auprès d’eux avec Jésus ou passer du temps auprès de Jésus à prier pour eux : « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux ».

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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