5ème dimanche de Pâques - 19 mai 2019

Jn 13, 31-33a.34-35

 

J’ai demandé aux enfants du Catéchisme ce que signifie la Gloire. Un enfant de CM1 a levé le doigt : la célébrité. C’est la gloire qui vient des hommes, que la Tradition appelait la vaine gloire. Telle n’est pas la gloire de Dieu, faite de splendeur, qui nous émerveillera et nous serons extasiés de louange devant sa grandeur. Comme nous en sommes loin en cet instant du dernier repas que Jésus prend avec ses disciples quand il annonce : l’un de vous va me livrer. Profondément attristés, ils se mirent à lui demander, chacun son tour : Serait-ce moi, Seigneur ? (Mt 26, 22). Imaginez que votre chef dise : l’un de vous va me trahir. Est-ce que vous auriez l’idée de répondre : Serait-ce moi ? Oui, si la pensée s’est déjà présentée. Si vous avez participé, même involontairement, à une discussion perfide et que vous n’avez pas la conscience tranquille. Il est probable que Judas avait entrepris un par un les autres apôtres cherchant qui il pourrait rallier à sa vision des choses. La trahison comme tous les péchés commence petit. Par des murmures, des critiques par en-dessous, des insinuations malignes. Arrive le jour où elles deviennent incompatibles avec le drame de la Croix.

« Quand Judas fut sorti du cénacle », Jésus livre son dernier enseignement, quatre chapitres de l’évangile de saint Jean, qui se terminent par sa grande prière pour l’unité et l’union à Dieu. Qu’ils soient un comme nous sommes un. Ce discours d’Adieu nécessitait la sortie de Judas. Il suffit qu’une personne toxique soit présente pour que tout le groupe en soit obscurci, pollué, empêché. Lorsqu’à diverses reprises dans l’évangile, Jésus chasse, expulse un esprit impur, la foule est en joie, joie de la délivrance du possédé, joie du bienfait que le corps social en ressent tout entier. Dans les classes d’école, ou de lycée, cela peut être spectaculaire : une expulsion est un soulagement. Je me souviens d’un couple dont un enfant détruisait la famille. Débauché et invivable. Ses frères et sœurs n’en pouvaient plus. J’ai dit aux parents de le mettre dehors, il était majeur. Ils ont eu du mal ; vous imaginez la douleur. La famille a été sauvée, le garçon aussi.

Sainte Thérèse d’Avila, la Madre, disait qu’il y a des personnes qu’il ne faut pas accepter dans la communauté. Le discernement est très difficile pour savoir si c’est à cause de la personne ou de la communauté : si la personne n’est pas adaptée à cette communauté ou si elle est inapte à la vie communautaire. Les déclarations de nullité de mariage peuvent être assorties d’une interdiction de se re-marier : il y a des personnes pour qui ça n’a pas marché dans leur couple et d’autres qu’il faut empêcher de se re-marier. On peut être inapte à la vie en couple comme à la vie en communauté. Pareil au travail, il y a des personnes hyper-compétentes qui peuvent être nuisibles à l’équipe. Je me souviens d’une collègue que nous avions licenciée puis réembauchée puis à nouveau licenciée, deux ou trois fois ! On la sortait parce qu’elle sabotait le groupe et on la reprenait parce que c’était la meilleure : on ne pouvait ni la garder ni s’en passer. Depuis, elle bosse toute seule, à son compte, avec succès, épanouie et généreuse.

Pendant des siècles on a appliqué dans l’Eglise la discipline de l’arcane (qui veut dire secret) qui faisait sortir les catéchumènes, candidats au baptême, après la liturgie de la Parole : ils n’assistaient pas à la suite de la messe. Ce n’était pas pour protéger un secret, sinon il n’y aurait jamais eu de messe télévisée, mais un principe de précaution, au cas où, pour éviter, avant l’exorcisme du baptême, une présence potentiellement négative, susceptible d’entraver la prière de l’assemblée. On a compris depuis qu’une personne nuisible à un groupe peut se révéler bénéfique à une autre communauté. Nous en avons tant d’exemples dans le sport. On a beau jeu d’estimer ensuite qu’on n’avait pas su utiliser des compétences : n’est-ce pas plutôt l’exclusion qui a permis à la personne de changer ? Pareil pour le remariage : est-ce le deuxième conjoint qui permet à une personne divorcée de se révéler, ou est-ce l’échec du premier mariage qui a servi d’électrochoc, qui l’a forcée à se remettre en question ?

La clé est le désir de conversion. Il n’y a pas d’amour possible sans conversion, pas d’amour des autres, de l’autre, sans conversion de soi. Jésus a appelé Judas parmi les Douze, de la même façon et avec la même obligation : pour qu’il se convertisse. A l’amour. Le Christ nous appelle à la conversion. Saint Marc en fait son premier commandement : « convertissez-vous et croyez à l’évangile », à la Bonne Nouvelle du Salut.

Saint Philippe Néri disait au Seigneur : méfie-toi de moi, ce qui signifiait : aide-moi à te rester fidèle ; que ta force se déploie dans ma faiblesse. Nous avons souvent peur de prier comme Jésus priait son Père : non pas ma volonté mais la tienne. Nous imaginons que cette volonté de Dieu nous est extérieure voire contraire. Alors qu’elle est à l’œuvre en nous ! La volonté de Dieu est notre entrée dans sa Gloire.

Nous avons fêté cette semaine saint Matthias choisi pour prendre la place de Judas, compléter le Collège des Douze, être témoin de la Résurrection, suivant trois critères exposés par saint Pierre : il devait faire partie de « ces hommes qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, depuis le baptême de Jean jusqu’au jour où il a été enlevé au Ciel ».
Ce sont trois critères essentiels d’intégration communautaire :
Le premier critère est un temps passé suffisant, « tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous », trois ans temps plein. Ce temps consistant d’apprentissage et d’épreuves est un bon point de repère, un minimum de prudence y compris dans la construction d’une amitié. C’est le problème de nos communautés : comment voulez-vous construire quoi que ce soit avec des absents, ces nouveaux urbains qui bougent ou voyagent tout le temps ?
Le deuxième critère symbolisé par le baptême de Jean est le désir de conversion. Le baptême de Jean était un baptême de conversion. Pour intégrer une communauté, il faut de la docilité, et de l’humilité. Vous ne pouvez rien faire avec quelqu’un qui ne veut pas s’adapter.
Le troisième critère symbolisé par l’Ascension est l’attention aux réalités d’en haut. Méfiez-vous de ceux qui n’ont pas d’espérance, dont les objectifs sont matériels : il leur manque le sens du bien commun pour pouvoir vivre en communauté.

Ces critères étaient défaillants chez Judas : présence fidèle (personne ne s’étonne au dernier repas quand il sort une nouvelle fois), désir de conversion et aspiration spirituelle. Or ce sont les conditions pour aimer : quelle est ma disponibilité ? Ma capacité à changer, à me remettre en question, m’adapter ? Et quelle est la profondeur de mon engagement ?

Jésus nous demande de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés, c’est-à-dire au point de venir lui le Fils de Dieu partager notre vie, renoncer à son rang, tout nous donner.

Se voir souvent, accepter le changement, croire à plus grand : et si nous vérifions pour nous-mêmes ces trois critères d’intégration communautaire ?

Venir souvent, accepter le changement, croire à plus grand.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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