5ème dimanche du Carême - 7 avril 2019

Jn 8, 1-11

 

Ne pèche plus. Comment Jésus peut-il dire à cette femme : « Va, et désormais ne pèche plus » ? Ecartons une lecture restrictive, étroite, qui signifierait : ne fais plus ce péché-là. Fini l’adultère, pour toi : tu l’as échappé belle, passe à autre chose. Jésus ne parle pas en sous-entendu. Dieu ne décide pas pour nous. Et surtout Jésus avait déjà donné cet ordre, dans des circonstances où n’apparaissait aucune faute, lors de la guérison du paralytique de la piscine de Bethesda : « Te voilà guéri ; ne pèche plus, de peur qu’il ne t’arrive pire encore » (Jn 5, 14). Que peut-il y avoir de commun entre un paralytique et une femme adultère ? « Ne pèche plus » ! Quel pouvait être le péché du paralytique ? Et comment est-il possible de ne plus pécher ? L’Ecriture ne dit-elle pas que « le juste pèche sept fois par jour » ?

Le Livre des Proverbes dit que « le juste tombe sept fois et se relève, mais les méchants trébuchent dans l’adversité » (Pr 24, 16). Il tombe et se relève, il pèche et obtient le pardon, qui n’est pas automatique.
Le pardon n’est pas automatique : il doit être demandé, donné, reçu et transformé comme on transforme une pénalité. Marquer un changement. Jésus a-t-il pardonné sa faute à cette femme adultère ? Préférons adultère à infidèle, peut-être qu’elle n’était pas mariée, que c’était son partenaire qui l’était. Jésus ne la condamne pas : « Moi non plus, je ne te condamne pas ». Est-ce une litote qui consiste à dire moins pour faire comprendre plus, comme dans le célèbre : ‘va, je ne te hais point’ ? Jésus ne s’exprime pas ainsi. Il ne la condamne pas est un sursis.

Sept fois par jour, pourquoi l’Ecriture dit-elle que le juste tombe sept fois par jour ? Pourquoi sept fois ? C’est un chiffre de totalité, mais c’est tout autant un repère pour notre vie de prière. Nos journées de prière sont structurées autour de sept rendez-vous formellement définis pour les personnes consacrées, cinq temps qu’on appelle de la liturgie des heures : les laudes le matin, l’office du milieu du jour, les vêpres en fin d’après-midi, les complies au moment du coucher, auxquels s’ajoute l’office des lectures d’un texte de la Bible et d’un de la Tradition. A ces cinq rendez-vous, s’adjoignent la messe quotidienne et un temps personnel d’oraison.
Ce sont de bons points de repère pour tous les fidèles : un temps de prière à chaque étape de la journée, matin, midi, fin de journée et coucher, quatre, plus un temps de lecture de la Parole de Dieu, le plus simple étant la lecture des textes de la messe du jour, cinq, une dizaine ou plus d’Ave du chapelet, six, et une prière d’intercession pour les proches et le monde, sept.

Nous ne prions pas assez. La question n’est pas de durée, de temps passé, mais en nombre de fois où nous nous tournons vers le Seigneur. Si au cours de nos journées, nous ne pensons pas à ceux que nous aimons, interrogeons-nous sur cet amour.

Plutôt que de dire qu’il tombe sept fois, le juste prie sept fois. C’est un chiffre minimal de pensée et de rendez-vous. Il tombe possiblement sept fois car toutes sortes d’obstacles s’opposent à ces rendez-vous. Evidemment cela demande un effort et heureusement, sinon ce serait machinal, pure routine.

Avant de vous récrier, de considérer que ces sept rendez-vous sont impossibles dans la ‘vraie vie’, essayez. Un bénédicité avant chaque repas, silencieux, intérieur, ça fait trois, la lecture de l’évangile du jour, dans le bus ou le train en allant ou en revenant du travail, quatre, une dizaine du chapelet en marchant, cinq, l’examen de conscience au moment de se coucher, six, et pour le septième, la récitation du Credo à 15h, vous mettez une alarme, à l’heure où Jésus est mort sur la croix.
Le saint prie sept fois par jour. Il peut tomber. Chuter, oublier. Il se relève, demande pardon. Est-ce que plus nous demandons pardon à Dieu, moins nous faisons de péchés ? Oui. Et inversement : moins nous demandons pardon, plus nous nous habituons au péché.

Quel était le péché du paralytique à qui Jésus a dit : « ne pèche plus, de peur qu’il ne t’arrive pire encore » – et qu’aurait-il pu lui arriver de pire que d’être resté 38 ans à attendre ? C’était l’évangile de la messe de mardi dernier. Jésus était à Jérusalem au lieu-dit Bethesda où gisaient une multitude d’infirmes, aveugles, boiteux, impotents. Une sorte de Lourdes en Judée, de Lourdes avant l’heure : il fallait se baigner dans une piscine quand l’eau se mettait à bouillonner « car l’ange du Seigneur descendait par moments dans la piscine et agitait l’eau : le premier à y entrer se trouvait guéri, quel que fût son mal. Il y avait là un homme qui était infirme depuis 38 ans. Jésus, apprenant qu’il était dans cet état depuis longtemps déjà, lui dit : « Veux-tu guérir ? ». L’infirme lui répondit : « Seigneur, je n’ai personne pour me jeter dans la piscine, quand l’eau vient à être agitée ; et, le temps que j’y aille, un autre descend avant moi ». Il n’avait personne. Il n’y croyait plus. Il n’espérait plus.

Parmi les personnes dont j’ai célébré les obsèques l’année dernière, avec qui j’ai été en union profonde de pensée entre le moment où leur famille m’a parlé d’elle et celui de la célébration, trois jours en moyenne, où mon âme est par le Christ en intense communion de prière avec elles, il y a eu une vieille fille acariâtre, une Tatie Danielle semblable au personnage du film. Passés 80 ans, plus difficile que jamais, sa famille la met dans une maison de retraite, et là, le coup de foudre : elle rencontre un vieux monsieur charmant, c’est la passion. Elle prévient : ‘à nos âges pas question de bagatelles’. L’histoire dure deux ans, le monsieur avait 98 ans. Leur vie est transformée. Ils s’aiment pour l’éternité. Elle n’aura pas attendu 38 ans, mais 80. Sauf qu’elle n’y croyait plus, elle n’espérait plus, elle n’aurait pas été si désagréable. Les gens désagréables sont des gens qui n’y croient plus. Il y en a autant chez les croyants, à l’image de ces scribes et ces pharisiens venus piéger Jésus. N’attendaient-ils pas le Messie, le Christ ? Si, mais, comme ils le disent juste avant : « le Christ, à sa venue, personne ne saura d’où il est, tandis que lui, ce Jésus, nous savons d’où il est » (Jn 7, 27).
Alors Jésus, debout dans le Temple, s’écria : « Vous me connaissez et vous savez d’où je suis ; et pourtant ce n’est pas de moi-même que je suis venu, mais il m’envoie vraiment, celui qui m’a envoyé. Vous, vous ne le connaissez pas. Moi, je le connais, parce que je viens d’auprès de lui et c’est lui qui m’a envoyé » (Jn 7, 29).

Que signifie : « ne pèche plus » ? Cela signifie : attends. Espère, espère le Seigneur. Lui seul peut répondre au désir profond de ton cœur. Ne te décourage pas. Ne désespère jamais. Ce n’est pas tant de foi que nous manquons que de prière. La foi est un don de Dieu : nous la recevons au baptême. Elle vit et grandit en proportion de notre prière, qui elle-même se vérifie par la charité, notre amour du prochain. La charité est la vérité de la prière. C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on saura que vous êtes mes disciples. C’est de la prière dont nous vivons chaque jour, sept fois par jour, que vient cet amour. Espère, espère le Seigneur. Sois fort et prends courage. Ne désespère jamais.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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