Nativité de saint Jean-Baptiste - 24 juin 2018

Lc 1, 57-66.80

 

Quand les voisins et la famille d’Elisabeth se réjouirent à la naissance de l’enfant, est-ce parce qu’elle avait enfin un enfant, elle qu’on appelait la stérile, ou est-ce parce que c’était un fils, un garçon ? J’ai connu un militaire qui avait eu huit filles. A la sixième, cet homme bien élevé avait poussé un juron ! Et puis il avait continué, et eu deux autres filles : huit filles.

L’évangile de ce dimanche raconte moins la naissance de Jean que son ‘baptême’ au sens fort, de donner un nom, le nom par lequel Dieu nous appelle : notre vocation est divine. Je t’ai appelé par ton nom, dit le Seigneur dans le Livre d’Isaïe (Is 43, 1), qui le redit dans le passage que nous avons en 1ère lecture : « J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur a prononcé mon nom ». Il parla et ce qu’il dit exista (Ps 32). Ainsi devait s’accomplir la parole que l’Ange Gabriel avait dite à Zacharie : « ta femme Élisabeth mettra au monde pour toi un fils, et tu lui donneras le nom de Jean » (Lc 1, 13). Sauf que c’est Elisabeth qui lui donne ce nom en prenant la parole contre l’avis de tous : « Non, il s’appellera Jean ». « Personne dans ta famille ne porte ce nom-là ! ». Zacharie confirme alors ce choix qui vient de Dieu.

Dans des catéchèses données en mars 1996, Jean-Paul II avait répertorié les femmes qui dans l’Ancien Testament préfigurent la Vierge Marie. Il avait dressé une liste symbolique de douze femmes comme les douze apôtres. Il les avait réparties en deux séries, une série de mères, des figures maternelles de l’enfantement, et une série de figures prophétiques, « protagonistes authentiques de l’histoire du Salut ». Les six figures maternelles sont Eve, Sarah (femme d’Abraham, mère d’Isaac), Rachel (femme de Jacob, mère de Joseph), la mère de Samson (au Livre des Juges), Anne la mère de Samuel, et Rebecca (femme d’Isaac, mère de Jacob Gn 27). Les six figures du courage sont Miryam la sœur de Moïse, la prophétesse Deborah à laquelle s’associe Yaël, Judith, Esther et Abigaïl qui sauva David d’un grand péché. Ces femmes sont des figures du salut, puisque Myriam sauva Moïse de la mort, et les autres, Deborah, Yaël, Judith, Esther, le peuple de ses ennemis.

Des figures maternelles et des figures prophétiques. Elisabeth est les deux : elle est mère, femme stérile exaucée par Dieu comme Sarah, Rachel, comme la mère de Samson, comme la mère de Samuel. Et elle est prophète comme nombre de femmes du Nouveau Testament, à commencer par la vieille Anne qui assiste avec Syméon à la venue du Messie. Prophète : elle porte une parole qui vient de Dieu.

On parle beaucoup de libérer la parole des femmes, mais on fait par erreur de la Vierge Marie une femme qui se tait, une femme silencieuse. C’est méconnaître les Ecritures ! C’est oublier la Visitation où on n’entend que ces deux femmes Marie et Elisabeth, qui offrent les deux plus grandes voix de l’Histoire, Jésus et Jean, Jean la voix qui crie dans le désert, et Jésus Christ Parole éternelle du Père.

Si les deux fonctions maternelles et prophétiques se rejoignent en Elisabeth comme en Marie, au seuil de la Nouvelle Alliance, c’est parce que nous sommes tous, dans notre humanité éclairée par le Christ, des êtres et de chair et de parole. Voilà ce qui est célébré au baptême, quand est donné devant Dieu un nom à un être de chair. Quand est célébrée notre vocation divine. Quand l’enfant est consacré être de parole.

Une des femmes les plus intelligentes de notre époque, l’historienne et journaliste italienne Lucetta Scaraffia, dont je vous ai déjà parlé (pour son livre ‘Du dernier rang, les femmes et l’Eglise’ paru en 2016 à la suite du Synode sur la famille), vient de publier un ouvrage assez combatif contre le droit à l’enfant (sous le titre ‘La fin de la mère’). Elle y regrette que le pouvoir féminin et maternel d’engendrer soit devenu un droit d’avorter. Elle constate en historienne que l’introduction de l’avortement dans la sphère de la légalité réintroduit une distinction qui existait du temps de l’esclavage entre ‘des êtres humains engendrés par la chair’ et ‘des êtres humains confirmés par la parole’ auxquels seulement il est permis de vivre. Et c’est à la femme que la loi donne le pouvoir de dire si ce qui est en elle est un amas de cellules ou un être humain : de confirmer par la parole ce qui est engendré par la chair.

Le pouvoir des femmes n’est pas nouveau quand il s’agit de détruire : il suffit de se souvenir du rôle d’Hérodiade dans l’exécution et la mort de Jean-Baptiste. Le problème est l’aptitude des hommes à écouter leurs paroles de vie, ne pas faire comme Pilate que sa femme met en garde à propos de Jésus : Ne te mêle pas de l’affaire de ce juste, car aujourd’hui j’ai beaucoup souffert en songe à cause de lui (Mt 27, 19). Voyez ici comment Zacharie est guéri en suivant Elisabeth. L’accord entre eux le guérit.

On parle beaucoup de la place des femmes dans l’Eglise, et on confond la plupart du temps la place des femmes et la place des laïcs. Je vous signale que si la fonction des prêtres était si enviable, nous aurions davantage de vocations. L’intérêt d’Elisabeth est que son mari, Zacharie, était prêtre. De l’Ancienne Alliance certes, mais prêtre. Et incrédule. Elle aussi était descendante d’Aaron mais surtout « ils étaient l’un et l’autre des justes devant Dieu : ils suivaient tous les commandements et les préceptes du Seigneur de façon irréprochable ». Ils les suivaient ensemble, unis par Dieu et pour Dieu. Nous connaissons tous des couples où l’un des deux seulement suit les commandements du Seigneur. Prions pour eux, pour la partie croyante comme pour la partie incroyante : ils sont le symbole de l’Eglise et du monde. Ils sont la preuve d’un amour différent de la part de Dieu.

Croyez-vous, parce qu’il a choisi Marie pour donner naissance à son Fils, que Dieu a plus de confiance dans la femme que dans l’homme ? Croyez-vous, parce qu’il a choisi des hommes comme Apôtres et pour le représenter dans les sacrements, que le Christ a plus de respect pour l’homme que pour la femme ? Croyez-vous, parce qu’il n’y avait plus, au pied de la Croix, que des femmes, qui furent les premières au matin de Pâques, que l’Esprit Saint a plus d’admiration et de gratitude pour la femme que pour l’homme ?

La grande leçon de l’Histoire est qu’hommes et femmes sont à égalité dans l’ordre de la Sainteté et de l’Amour. Le même pouvoir est donné aux hommes et aux femmes : un pouvoir de prière. De confirmer par la parole ce qui est suscité par l’Esprit. Il ne suffit pas de confirmer publiquement par la parole ce qui est engendré par la chair : il nous faut également confirmer personnellement dans la prière ce qui est suscité par l’Esprit. A quoi sert-il d’avoir un nom si nous ne répondons pas quand Dieu nous appelle ?

Je t’ai appelé par ton nom, dit le Seigneur. Notre vocation est divine.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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