1er dimanche de l'Avent - 2 décembre 2018

Lc 21, 25-28. 34-36

 

Détox : ça sonne mieux qu’ascèse, qui fait penser à une autoroute alors que l’ascèse est un petit chemin escarpé de montagne, pour monter vers l’air pur des sommets. Détox est le mot d’accueil, d’invitation de l’Avent, pour retrouver un peu de légèreté, d’envie et d’allant, sortir de la lourdeur des substances accumulées, l’évangile dit de la lourdeur des beuveries, de l’ivresse et des soucis de la vie, soucis pour ceux qui travaillent et beuveries pour ceux qui s’ennuient. Nous avons trois semaines, quatre dimanches pour nettoyer ça, trois semaines de détox, en espérant que ce ne soit pas pour remettre ça ensuite, avec les fêtes, les pots, les libations, comme un cycle infernal – qui n’est évidemment pas ce que je veux vous proposer.

Et si ce Noël, ce prochain Noël était le dernier ?

Je pense à toutes ces personnes, pas toutes très âgées, que j’ai enterrées cette année. J’ai égrené leurs noms il y a un mois pile le 2 novembre dernier. Si on leur avait dit, il y a un an, que ce Noël serait leur dernier : que l’enfant dans la crèche, ce petit Jésus, elles allaient le voir désormais dans la Gloire portant encore les marques de la Passion où chacun de nous reconnaîtra avec regret les souffrances que nous aurons infligées à nos frères.

Si elles avaient su, comment auraient-elles vécu Noël, comment s’y seraient-elles préparées ? Et vous, si vous aviez su qu’il n’y aurait pas d’autre Noël avec elles, qu’auriez-vous vécu de peut-être moins superficiel ?

J’ai exhumé cette année un chant des années soixante, dont les couplets disent : « Vous êtes le corps du Christ, vous êtes le sang du Christ, vous êtes l’amour du Christ. Alors ? … Qu’avez-vous fait de lui ? ». Il vaut surtout par son refrain qui reprend la parole d’un Psaume : « C’est ta face Seigneur que je cherche, ne me cache pas ta face » (Ps 26, 9). « Je cherche le visage, le visage du Seigneur. Je cherche son image, tout au fond de vos cœurs ». C’est la meilleure façon de préparer Noël, de chercher le visage de Dieu petit enfant au fond déjà de notre cœur.

C’est l’appel qui résonne en ce début d’Avent, un appel à retrouver des idées claires, un peu de fraîcheur. « Un jour nouveau commence, un jour reçu de toi, Père, nous l’avons remis d’avance, en tes mains tel qu’il sera ». Cette hymne des Laudes, de la louange du matin, pourrait nous accompagner en ce temps de l’Avent, pour renaître un peu plus chaque jour et faire renaître en nous le goût de l’innocence. « Émerveillés ensemble, émerveillés de toi, Père, nous n’avons pour seule offrande, que l’accueil de ton amour ».

Détox : le mot a fait florès, qui renvoie à tout ce qui peut être toxique pour nous, qu’il s’agisse de produits, d’attitudes ou de relations. Je ne suis pas sûr qu’ils ou elles aient beaucoup changé à travers les siècles. Une des scènes de la Bible les plus édifiantes en la matière se trouve dans l’Ancien Testament, au début du Livre de Daniel. Avec Ananias, Azarias et Misaël, exilés et captifs à la cour du roi Nabuchodonosor, Daniel obtient du chef des eunuques « de ne pas se souiller en prenant part aux mets du roi et au vin de sa table », et de se contenter de légumes à manger et d’eau à boire.
Au bout de dix jours, les quatre enfants avaient meilleure mine et allure que ceux qui mangeaient des mets du roi. Dieu leur donna savoir et instruction en matière de lettres et en sagesse. Daniel, lui, possédait le discernement des visions et des songes (Dn 1, 17). Il faudra qu’on se demande un jour pourquoi la consommation de viande et de vin apparaît après la Chute comme une concession de l’Alliance passée avec Noé mais, à l’origine, Dieu n’a pas donné à l’homme d’autre nourriture que les herbes portant semence, qui sont sur la surface de la terre, et les arbres qui ont des fruits portant semence (Gn 1, 29). « Marqués du goût de vivre, du goût de vivre en toi, Père, nous n’avons pas d’autres vivres, que la faim du pain rompu ».

J’ai reçu ce trimestre un couple qui n’arrivait pas à vivre ensemble. Ils envisageaient de se marier et se disputaient sans cesse. Ils avaient rompu plusieurs fois sans y parvenir. Je les ai reçus séparément, ensemble, pour écouter avec eux l’Esprit saint et non pas faire du conseil conjugal. La différence ? Le discernement moral, auquel la plupart des psys et des médecins se refusent. C’est l’avantage du prêtre d’avoir cette liberté, d’être sans complexe sur ce plan-là, de pouvoir dire comme je l’ai fait cette année à un homme alcoolique : est-ce que vous vous rendez compte du mal que vous faites à vos proches ? A ce couple chaotique, j’ai fini par expliquer : ‘Ce n’est pas parce que vous ne pouvez pas vivre sans lui ou sans elle que vous êtes amoureux. Vous êtes très attachés l’un à l’autre, votre lien est très fort mais ne vous rend pas heureux. Il n’est jamais trop tard pour arrêter une erreur’.

Ils auraient pu lire la 2ème lecture de ce dimanche qui donne les deux critères d’un amour véritable : intense et débordant, car nous devons toujours vérifier que ce qui nous remplit de joie profite aux autres. Intense et débordant. Détox n’est pas faire le vide, sous peine de voir s’appliquer la parabole de la maison vide, « quand l’esprit impur est sorti de l’homme, il parcourt des lieux arides en cherchant où se reposer, et il ne trouve pas. Alors il se dit : “Je vais retourner dans ma maison, d’où je suis sorti.” En arrivant, il la trouve inoccupée, balayée et bien rangée. Alors il s’en va, il prend avec lui sept autres esprits, encore plus mauvais que lui ; ils y entrent et s’y installent. Ainsi, l’état de cet homme-là est pire à la fin qu’au début » (Mt 12, 43-45).

Mes amis, aujourd’hui le corps de l’Eglise est malade par défaut de pratique sacramentelle et de prière, et le Pape François qui dans un discours retentissant à la Curie avait dressé une liste de maladies spirituelles n’imaginait pas connaître une telle crise d’abus, d’une telle ampleur et d’une telle horreur. Dans un article publié par la Corref, la Conférence monastique (des Religieux et Religieuses) de France sur ‘Vie religieuse et liberté’, le Ministre général des Chartreux, Dom Dysmas de Lassus, faisait la comparaison entre le corps humain et une communauté dans laquelle se trouvent « toutes sortes de germes de dérives sectaires, comme dans  notre corps se trouvent quantité d’agents ennemis, venant de tout ce qui nous entoure, à commencer par ce que nous mangeons et respirons.
Le plus souvent nous ne nous en rendons pas compte parce que le système immunitaire fonctionne. Lorsqu’il est dépassé par une attaque plus forte ou déficient pour quelque raison, la maladie s’installe ».

« Le plus important pour être à l’abri n’est donc pas d’être exempt de tout attaque ou de toute fragilité, chose impossible, mais de posséder un système immunitaire efficace, c’est-à-dire que l’organisme que constitue une communauté ou une congrégation dispose des moyens de réagir en cas de situation anormale ». Certains de ces moyens relèvent du droit, d’autres de la sagesse, en particulier d’une bonne connaissance des maladies et de leurs symptômes, afin de pouvoir appliquer à temps les correctifs ou les remèdes. Bien des dérives trouvent là leurs causes principales : l’ignorance des maladies et l’absence de réaction.

Détox : en ce début d’Avent, le mot doit résonner comme une alerte, comme un réveil !

Notre attention et notre vigilance doit se tourner autant vers notre vie intérieure. « Comment chanter ta grâce, comment chanter pour toi, Père, si nos cœurs ne veulent battre, de l’espoir du Corps entier ? ». Un dicton de la Tradition dit en effet : corruptio optimi pessima – plus une chose est bonne optimi, plus elle deviendra mauvaise pessima, si elle se corrompt : l’homme de grandes qualités, s’il se pervertit, mettra ses forces au service du mal et fera d’autant plus de ravages qu’il aura de talents. Nos plus grandes qualités que sont notre vie intérieure et notre désir de bonheur seront nos pires maladies si nous n’y prenons garde. « Le jour nouveau se lève, le jour connu de toi, Père, que ton Fils dans l’homme achève la victoire de la croix ».

Voici cette hymne pour ‘rester éveillés et prier en tout temps’ :

Un jour nouveau commence,
Un jour reçu de toi,
Père,
Nous l’avons remis d’avance
En tes mains tel qu’il sera.

Émerveillés ensemble,
Émerveillés de toi,
Père
Nous n’avons pour seule offrande
Que l’accueil de ton amour.

Marqués du goût de vivre,
Du goût de vivre en toi,
Père,
Nous n’avons pas d’autres vivres
Que la faim du pain rompu.

Comment chanter ta grâce,
Comment chanter pour toi,
Père,
Si nos cœurs ne veulent battre
De l’espoir du Corps entier ?

Le jour nouveau se lève
Le jour connu de toi,
Père,
Que ton Fils dans l’homme achève
La victoire de la croix.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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