Dans l’Évangile de ce dimanche, Jésus reprend le texte de Ben Sirac 11, 19 : « Pense au sort d’un homme qui s’est enrichi à force de calculs et d’économies ». Peut-être se dit-il : « J’ai bien gagné mon repos, je peux vivre maintenant sur ce que j’ai acquis ». (Ecclésiaste 2, 4 -11). Mais il ne sait pas le temps qui lui reste ; il mourra bien et laissera tout à d’autres. Mais ce n’est pas tout.
- «Rendez à César… ». (Mc 12, 13-17)
Tout commence au départ par un homme dans la foule qui demande à Jésus de régler un différend juridique, par son arbitrage, entre son frère et lui au sujet d’un héritage. Jésus fait très vite comprendre qu’il n’agit pas en matière civile comme le font les maîtres de la Loi, ses contemporains : « Mon ami, qui m’a établi pour être votre juge ou régler vos partages ? ». (Lc 12, 14). En effet, les autorités religieuses de Jérusalem et en Israël décidaient des affaires civiles et religieuses. Le Christ ne pratique pas de la sorte. Il dira clairement : « Eh bien ! Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. ». (Lc 20, 25). Il réserve son autorité pour l’essentiel, la vie de l’âme et la croissance vers le Père, dans la justice et la charité : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. ». (Mt 25, 40). Ici, il tente de dévoiler la cupidité qui souvent nous habite et nous « encabane » par moult soucis inutiles, à tel point que l’essentiel de la vie terrestre se nourrit de préoccupations matérialistes qui tourbillonnent en nous, en pure perte.
- «Gardez-vous du désir de posséder » (Lc 12, 15)
Jésus se refuse et se défend contre toute exploitation politique et temporelle de son prestige de thaumaturge, de prophète et de « Messie ». Ne perdons pas de vue que c’est un homme qui l’interpelle du milieu de la foule…, un de ses admirateurs qui vraisemblablement s’adresse à Jésus comme on s’adresse à un rabbin et parce que Jésus a aussi la réputation d’être juste. Le Christ saisit donc l’occasion pour élever l’esprit de ses interlocuteurs, les enseigner, et les mettre en garde radicalement contre l’excessive préoccupation des biens de ce monde, c’est-à-dire la cupidité.
L’univers que Jésus vient offrir transcende les problèmes économiques : la richesse matérielle ne saurait être source de la vraie vie. Il faut même aller jusqu’à comprendre que la cupidité nous ferme la porte du Royaume : « Il est plus facile pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille, que pour un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. » (Mc 10, 25)
- « Et ce que tu auras mis de côté, qui l’aura ? » (Lc 12, 21)
Jésus propose de réfléchir dans l’évangile et de faire la distinction entre l’être et l’avoir. L’être est la vie même et l’existence de toute personne humaine. L’avoir est la fortune plus ou moins grande qui permet de vivre. « L’avertissement est simple : l’homme ne doit pas faire du moyen le but, ni identifier la signification de son être avec l’augmentation de ses moyens ». (H.U. von Balthasar) – Lumière de la parole– commentaires des lectures dominicales année C.
Quand nous paraîtrons devant Dieu et que nous nous tiendrons en Sa Présence, ce qui importera, ce ne sera pas la quantité de l’avoir, mais la qualité de l’être. (Cf. 1 Cor. 3, 11-15)
- Et l’Eucharistie ?
Loin de toute vanité, l’Eucharistie nous invite à nous ouvrir à la seule vraie richesse.
S’il est une réalité pauvre, c’est bien l’Eucharistie. Réduite à l’essentiel, « Ceci est mon corps, ceci est mon sang », dépouillée de tout apparat sensible, la petite hostie, et la simple coupe du calice, pour celles et ceux qui ont la foi en Jésus ressuscité, nous offrent l’accès à la plénitude de la Vie, nous donnent de participer au mouvement d’amour de Jésus et d’y trouver une joie authentique. C’est une richesse dont aucun faste extérieur ne pourra jamais nous dévoiler la nature exceptionnelle et surnaturelle.
« Tu nous donnes, Seigneur, la vraie manne, ce pain venu du ciel qui comble tous les désirs. ». (Sg. 16, 20)
« Je suis le pain de la vie, dit le Seigneur, celui qui vient à Moi n’aura plus jamais faim, celui qui croit en Moi n’aura plus jamais soif ». (Jn 6, 35)
En nous offrant sa vie dans l’Eucharistie, Jésus nous invite à réorienter nos « puissances désirantes », celles de nos âmes, vers la seule vraie richesse. Jésus n’a-t-il pas dit encore : « Qui demeure en Moi, comme Moi en lui, porte beaucoup de fruits ; car hors de Moi vous ne pouvez rien faire ». (Jn 15, 5). Il y a donc de fausses richesses qui ne comblent pas. Il faut choisir car ces richesses, et surtout la cupidité qu’elles nourrissent, finissent par nous centrer sur nous-mêmes, à devenir durs et égoïstes, exigeants et tout simplement vaniteux et idolâtres (Col.5, 9). Dans un style un peu différent et contemporain un proverbe africain dit : « Plus le singe monte haut dans le cocotier, plus il montre son derrière ! ». Cette citation peu raffinée a cependant les mérites de la sagesse populaire : on comprend aisément !
Pour conclure nous partageons volontiers l’opinion de l’Apôtre Paul qui écrit dans l’Epître aux Romains que la cupidité, parmi d’autres maladies de l’âme, caractérise l’homme qui rejette Dieu. (Rom. 1, 29). Il devient idolâtre.
Père Jean-Pascal Duloisy, curé
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