Solennité de la Toussaint - 1er novembre 2020

Mt 5, 1-12

 

Le bonheur est une ligne de crête, un équilibre à trouver entre le confort et la liberté.

La mémoire biblique est celle du peuple hébreu au désert, tout juste libéré de l’esclavage et qui en venait aussi sec à le regretter, « quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! » (Ex 16, 3). « Nous nous rappelons encore le poisson que nous mangions pour rien en Égypte, et les concombres, les melons, les poireaux, les oignons et l’ail ! » (Nb 11, 5). C’était mieux avant.

Il n’était même pas question de confort mais d’un minimum de sécurité et tous ceux qui ont connu la faim, la maladie, l’angoisse, ont fait l’expérience de ces besoins fondamentaux qui constituent la trame des Béatitudes. Ils savent aussi que cela ne suffit pas, que bien-être et confort ne remplissent pas une vie.
Nous avons besoin de découvertes, de rencontres, d’imprévu, de fantaisie. Heureux ceux qui ont faim et soif de nouveautés, qui veulent découvrir l’immensité du monde, qui ont la possibilité et la curiosité d’en éprouver l’incroyable diversité. Heureux qui sont capables de s’émerveiller, qui gardent une âme d’enfant, le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent.

Si le bonheur est une ligne de crête entre la sécurité et la liberté, je comprends que la Sainteté ne fasse pas envie puisque les Saints ont renoncé aux deux : au confort et la sécurité jusqu’au martyre, et à la liberté telle que la conçoit l’esprit du monde, puisqu’ils se sont soumis à Dieu et à l’Eglise, ils se sont mis au service de leurs frères, en disciples du Christ.
« Bien-aimés, dit saint Pierre, puisque vous êtes comme des étrangers résidents ou de passage, je vous exhorte à vous abstenir des convoitises nées de la chair. Soyez soumis à toute institution humaine à cause du Seigneur. Soyez des hommes libres, sans utiliser la liberté pour voiler votre méchanceté. Soyez plutôt les esclaves de Dieu » (1 P 2, 11 … 16).

En méditant ces Béatitudes, m’est revenu l’autre grand texte de saint Matthieu que l’Eglise propose à notre espérance, la parabole du Jugement dernier (Mt 25), où Jésus béatifie ceux qui ont aimé et servi leur prochain – car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !’ Alors les uns et les autres répondront : ‘Quand donc Seigneur ?’
C’est la question que suscitent ces Béatitudes : ‘Quand donc Seigneur ?’ Ils seront consolés, ils seront rassasiés … : Quand donc Seigneur ?

Il y a deux réponses.

La 1ère est : « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères ». Rendons grâce pour l’inventivité des Saints et des Saintes, pour les formes si variées qu’ont prises dans leur vie l’amour de Dieu et le service du prochain. Leurs vies sont est autant de preuves de l’Esprit-Saint.

Et puis il y a une 2ème réponse, à la question de savoir quand tout cela se réalisera, qui revient à plusieurs reprises dans l’évangile, puisque c’est la question de notre salut : quand serons-nous vraiment consolés, apaisés, en sécurité, quand est-ce que Justice sera créée ? Quand donc Seigneur ?

Quand nous serons en sa présence, face au Christ, juge des vivants et des morts.

J’ai célébré les obsèques d’une femme dans sa centième année, qui ne voulait pas atteindre les cents ans alors qu’elle avait très peur de la mort, jusqu’à ce qu’elle fît, deux mois avant, une expérience de mort imminente, Near Death Experience, qui l’avait pleinement rassurée : ‘J’ai vu une lumière, les gens que j’aimais, ils m’attendaient !’. Bienheureuse Lucie, puisque c’était son prénom.

‘Quand donc Seigneur ?’ Quand nous verrons le Ressuscité et que nous serons libérés des contraintes de l’espace et du temps. Le Christ ressuscité se rend présent auprès de ses disciples alors qu’ils sont barricadés, toutes portes fermées, libre à l’égard des contraintes de l’espace, libre à l’égard des contraintes du temps, au jardin du tombeau, sur la route de ce village nommé Emmaüs, le soir au Cénacle. Libre à l’égard des contraintes de l’espace et du temps, c’est le sentiment que donne l’argent, l’illusion aussi car la liberté ne vaut que par les relations qu’elle permet, de générosité et de fidélité.

Il faut que je vous dise comment se passe cette libération des contraintes de l’espace et du temps, notre entrée dans la vie éternelle. Ce n’est pas une ‘sortie’ du temps : être libéré n’est pas être débarrassé. C’est être réconcilié, une relation nouvelle, pacifiée. Voici maintenant le jour favorable, le jour de notre salut, l’entrée dans la plénitude de Dieu, la rencontre du Christ en qui sont récapitulés, accomplis tous les gestes, les paroles, les histoires d’amour de notre vie, et par qui sont purifiées, transfigurées les ombres et faiblesses, et que disparaissent nos regrets dans sa lumière.

« Seigneur, dis seulement une parole » … Vous savez quelle est cette Parole : Je t’aime.

Se laisser aimer est la clé d’entrée dans la vie divine, et notre plus grande difficulté : se laisser aimer. Nous avons tant de mal à y consentir, à l’accepter, par manque de confiance, par peur de perdre notre autonomie, alors que la grâce est la vraie liberté.

Laissez-vous réconcilier. Sans tout maîtriser. Laissez-vous aimer.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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