La 1ère lecture de ce dimanche, du Livre de la Sagesse, indique les deux façons de connaître la ou les volontés de Dieu (ses ‘intentions’). Ces deux moyens sont la Sagesse et l’Esprit-Saint, la Sagesse étant un des noms du Christ (puissance et sagesse de Dieu). « Qui aurait connu ta volonté si tu n’avais pas donné la sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ? ».
Nous prions chaque jour pour que la volonté de Dieu soit faite. Et cette prière est déjà en soi une volonté, un commandement de Dieu. Nous pouvons assimiler ses volontés (au pluriel) et sa volonté (au singulier) : elles sont dans le même rapport que les anges à la splendeur divine. Les volontés du Seigneur sont comme ses anges, à la fois des messagers et des reflets de sa splendeur.
Nous cherchons à faire la volonté de Dieu parce que nous croyons que c’est ainsi seulement que nous ressusciterons. Nous serons jugés sur l’amour, c’est-à-dire sur la façon dont nous aurons fait la volonté de Dieu, sur l’amour que nous aurons eu les uns pour les autres. Une vie droite est, à cet égard, une vie respectueuse du prochain, sans mensonge ni fourberie.
La volonté de Dieu, telle qu’elle se déploie dans l’histoire, qu’elle est révélée dans la Bible, et interprétée dans l’Eglise à la lumière de l’Esprit-Saint, s’appelle son ‘plan’, le plan de Dieu, son projet pour l’humanité, son dessein de salut, ou mieux encore « le dessein de son amour » comme le dit la 4ème prière eucharistique qui en est une remarquable synthèse.
Cette 4ème prière eucharistique a une préface (la prière entre l’offertoire et le Sanctus) qui lui est propre, qui dit que Dieu, « Dieu de bonté, source de la vie, a fait le monde pour que toute créature soit comblée de (ses) bénédictions, et que beaucoup se réjouissent de (sa) lumière ». Traduisons : que beaucoup entrent dans la vie et le bonheur éternel. Beaucoup : les paroles du Christ, que nous reprenons à la consécration, parlent d’une multitude (son ‘sang versé pour vous et pour la multitude’).
Dieu, source de la vie, veut que toute créature soit comblée de ses bénédictions, et Lui seul peut ‘combler’ puisque Dieu seul est plénitude. Pourtant, beaucoup n’est pas tout le monde. Voyez le décalage entre ce que Dieu veut pour tous, et que certains seulement auront. C’est ce décalage qui fait que nous avons du mal à comprendre ou à accepter le plan de Dieu : Toi qui es bon et tout-puissant, comment peux-tu perdre des créatures en route ?
La 4ème prière eucharistique explique cet écart entre ce que Dieu veut pour tous et que certains n’auront pas, en disant que c’est un écart de l’homme. C’est même l’écart de l’homme qui s’est détourné de Dieu : « comme il avait perdu ton amitié en se détournant de toi, tu ne l’as pas abandonné au pouvoir de la mort ».
Nous croyons que la mort, la souffrance et la mort viennent d’une action de l’homme. Nous oublions toujours que nos actes portent à conséquence. Par la faute d’un seul, la souffrance et la mort sont entrées dans le monde, elles sont venues entacher la Création que Dieu avait faite dans une harmonie conforme à son image.
Imaginez, l’espace d’un instant, la Terre sans l’être humain, la planète inhabitée par l’homme. C’est ce que beaucoup cherchent pendant leurs vacances : la mer, la campagne, voire des sommets, vierges d’humanité, et donc d’inhumanité. Depuis les horreurs jusqu’aux papiers gras ou mégots de cigarettes. Diriez-vous que, sur cette terre sans êtres humains que je vous propose d’imaginer, le mal aurait existé ?
« Mon père, m’a demandé une maman, mon fils veut savoir pourquoi l’antilope est mangée par le lion ? – Mais, Madame, parce que c’est bon (quand on a faim) ! ». L’ami du lion se réjouit pour lui de ce bon repas. Pour voir et s’émouvoir de la fragilité de la gazelle, et du drame de son sort, il faut un œil chrétien, attentif aux plus faibles.
Même les catastrophes naturelles nous apparaissent comme un mal moral, une injustice, parce que, créés à l’image de Dieu, nous sommes l’unique créature à avoir conscience du mal, dans une Création qui, à l’origine, en était exempte. A l’origine, les fauves n’avaient pas idée de manger les enfants : ils s’inclinaient devant les êtres humains qui rayonnaient de la grâce divine. La création, le paradis originel rayonnait de la grâce qui habitait saint François d’Assise lorsqu’il s’est approché de l’énorme loup qui terrifiait le village de Gubbio. L’animal s’est soumis à la grâce de Dieu qui vivait dans le Petit Pauvre (Poverello).
La volonté de Dieu est que nous combattions le mal en commençant par celui qui vient de notre cœur. C’est la différence entre l’homme et l’animal : l’animal fuit le mal. Pour nous le mal est à combattre et pas seulement à fuir. Nous avons parfois à le fuir comme Horace devant les Curiaces, mais c’est pour mieux le combattre. La légende faisait partie de notre culture par les versions de Tite-Live ou la pièce de Corneille, qui montre le seul des trois Horaces survivants au duel fuir les trois Curiaces qui se lancent à sa suite, mais qui, blessés, se distancient peu à peu : Horace peut les affronter successivement et en triompher.
Lorsque nous nous mettons à la suite du Christ, tous les attachements excessifs qui nous poursuivent de leurs assiduités se distancient et se séparent les uns des autres, nous permettant de les affronter.
Lorsque nous sommes emprisonnés dans un système familial, car le cocon peut devenir un carcan, lorsque nous sommes prisonniers d’un projet inconsidéré (pour nous élever au-dessus des autres, c’est ici le symbole, comme à Babel, de la tour à bâtir), lorsque nous sommes menacés au-delà de nos forces (comme ce roi qui veut se défendre contre celui « qui vient l’attaquer avec vingt mille hommes »), la seule question qui se pose est : quelle est la volonté de Dieu ?
Un théologien saxon du Moyen-Âge, Hugues de Saint-Victor proposait de distinguer la volonté absolue de Dieu, indépendante de l’obéissance humaine, de sa volonté ‘signifiée’ (par des signes, par des événements), qui est proposée à l’homme et peut ne pas être réalisée. Si la volonté absolue de Dieu se confond avec ce qu’il est, sa volonté signifiée appelle notre participation, dépend de notre volonté d’être son disciple, dit Jésus dans l’évangile.
Quelques siècles plus tard, le Cardinal de Bérulle, l’apôtre du Verbe incarné, invitait à « adorer la volonté de Dieu voulant l’incarnation ». C’est ce regard que je vous invite à porter sur le Christ. Adorer la volonté de Dieu voulant l’incarnation : la formule dit bien que l’amour de Dieu révélé par le Christ ne vient pas se substituer à nous, ni restreindre notre volonté : le Christ nous demande de faire la volonté du Père, comme lui-même l’a fait, en quelque action que ce soit. Faire ce que le Christ aurait fait, c’est la volonté de Dieu.
Père Christian Lancrey-Javal,
curé
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