Imaginez que vous êtes (très) riche, et que vous avez une (très) grande propriété à la campagne, où vous avez fait réaliser une (très) belle pièce d’eau, un petit étang alimenté par une source, où vivent de magnifiques espèces de poissons. Pensez à ces jardins japonais avec de somptueuses espèces de carpes. Et vous avez confié cet endroit magnifique à vos enfants. Et que font-ils ? Ils vident le bassin de la moitié des espèces de poissons, y jettent leurs papiers gras, y déversent l’huile de leurs scooters … Vous avez deviné ? Ce bassin est à l’image de la mer aujourd’hui, des océans de plus en plus pollués par la bêtise de l’homme.
Quelle serait votre réaction ?
Pour certains, ce serait une réaction de rage, à la mesure de notre attachement à nos biens. Nous préférons ne pas prêter ce qui nous appartient, des lieux ou des objets que nous n’utilisons pas, plutôt que de les voir abîmés par des personnes qui en auraient besoin.
Dieu n’est pas comme ça.
La parabole de l’intendant malhonnête montre un propriétaire très détaché de ses biens. Nous avions déjà dans la parabole précédente, du fils prodigue, un père plus que généreux, d’une « sainte indifférence », suivant l’expression de saint Ignace, à l’égard de sa richesse.
Saint Ignace, dans ce texte intitulé « Principe et Fondement », texte que tout bon chrétien devrait connaître par cœur (rassurez-vous, ce n’est pas non plus mon cas), dit que « l’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur, et par là sauver son âme ».
Et il délivre un mode d’emploi de la Création, de toutes les choses créées dont nous devons user dit-il dans la mesure où elles sont une aide pour cette fin (et nous en dégager dans la mesure où elles sont un obstacle). D’où la notion de sainte indifférence qui fait que nous ne devrions pas vouloir « santé plus que maladie, richesse plus que pauvreté, honneur plus que déshonneur, vie longue plus que vie courte, et ainsi de tout le reste ; mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés » : la louange et le service de Dieu.
Louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur, et par là sauver son âme.
Voyez cet homme riche qui apprend que son gérant ‘gaspille’ : il se contente de le révoquer (ce qui, soit dit en passant, n’est pas contradictoire avec la parole de saint Paul sur les dons et l’appel de Dieu qui sont irrévocables : les dons sont irrévocables, pas les missions, ni les responsabilités : elles sont révocables).
Et voilà que cet intendant commet cette deuxième ‘indélicatesse’ avec la complicité des débiteurs de son maître, signe de la faible crainte que ces débiteurs ont de leur créancier.
Et ce deuxième gaspillage ne suscite pas plus de mécontentement de la part du maître : au contraire, et de façon choquante, il en fait l’éloge alors qu’il en est victime. C’est une fable, dont il ne s’agit pas d’apprécier la crédibilité mais de relever les traits les plus instructifs. Lorsque La Fontaine met face à face le corbeau et le renard, nous reconnaissons dans le discours de ce dernier la ruse dont il est le symbole : rusé comme un renard.
Eh bien, reconnaissez de la même façon chez cet homme riche une sainte indifférence à l’égard des biens matériels, comme pour le père du fils prodigue, comme pour toutes les images de Dieu dans les paraboles, jusqu’à celle des vignerons homicides, qui refusent de remettre le produit de la vigne.
Dieu, pur Esprit, est ‘indifférent’ aux choses matérielles.
A la 1ère page de la Bible, le 1er récit de la Création parle d’un grouillement d’êtres vivants, laissant entendre que Dieu est impassible devant la nature morte : il est le Dieu des vivants, le Dieu de la vie. Et Il nous a créés vivants parmi les vivants, avec cette gradation remarquable dans ce récit de la Création, du végétal, quand la terre commence par produire de la verdure, des herbes portant semence selon leur espèce, des arbres donnant selon leur espèce des fruits contenant leur semence, ce fut le troisième jour. Puis, après la Création du temps au quatrième jour, c’est l’apparition du règne animal, des poissons et des oiseaux au cinquième jour, avant tous les autres bestiaux, bestioles, bêtes sauvages selon leur espèce, au même jour que la création de l’homme.
Comment se fait-il que nous ayons oublié cette gradation ? Comment se fait-il que nous ayons oublié que Dieu nous voit d’abord dans nos relations avec les autres êtres humains, et qu’Il ne comprend pas que nous nourrissions mieux nos animaux de compagnie que nos frères en humanité, de passage chez nous, ou à l’autre bout du monde ?
L’intendant malhonnête dont le maître de la parabole fait l’éloge accorde plus d’attention à ses relations aux autres qu’à l’argent en soi : il trouve une habile combinaison entre ses propres intérêts et ceux des débiteurs de son maître. Pouvons-nous en dire autant ?
Nous ne cessons, moi le premier, de nous désoler du matérialisme de nos contemporains sans le corréler à leurs relations mutuelle et sociales, et en ignorant ce qu’il y a de juste et parfois d’exemplaire dans la façon dont ils se soutiennent les uns les autres : il y a souvent plus de solidarité dans les lobbies que nous honnissons que dans nos propres communautés.
La bonté de Dieu est pour tout ce qui est vivant : n’allons pas croire que tout ce qui nous semble spirituel soit vivant ! Il y a un gaspillage plus grand que celui des biens matériels dont nous usons, de l’argent que nous pouvons avoir, c’est le gaspillage de charité entre nous.
Nous entendrons dimanche prochain la parabole d’un homme riche qui portait des vêtements de luxe et faisait chaque jour des festins somptueux : le pauvre à sa porte symbolise autant la misère du monde que la solitude de ce riche, dont rien n’est dit des participants à ses banquets. Le Christ Jésus exaspérait les Pharisiens qui étaient des amis de l’argent, dit l’évangile, mais qui avaient ce mérite de se réunir entre eux, de partager entre eux richesses et savoir, et le Christ voulait qu’ils ouvrent ce partage. Leur défaut était de ne pas être généreux avec les non-pharisiens.
Il est possible que le Seigneur préfère les gens larges, voire dispendieux, – il préfère la largesse que l’étroitesse à tous égards.
Celui qui est capable d’affection, de solidarité et de générosité « avec l’Argent trompeur » ne sera-t-il pas capable de bien plus grand par l’action de l’Esprit Saint ?
Père Christian Lancrey-Javal,
curé
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