A deux jours de Noël, la liturgie nous donne dans la 1ère lecture une des phrases les plus drôles de la Bible, quand le prophète Isaïe, qui n’est pas connu pour sa drôlerie, s’énerve et s’exclame : « Écoutez, maison de David ! Il ne vous suffit donc pas de fatiguer les hommes : il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu ! ».
On ne rit pas beaucoup dans notre religion, ni dans aucune religion, pour cette raison simple qui s’appelle la crainte de Dieu.
C’est par crainte de Dieu que Joseph avait projeté de répudier Marie. Quand l’Ange lui dit : « ne crains pas de prendre Marie chez toi », cela ne signifie pas : « n’aie pas peur du qu’en-dira-t-on ». Les sentiments qui agitaient Joseph ne relevaient pas de l’amour-propre, et encore moins des convenances sociales.
Joseph est un homme juste : il a le sens du sacré, plus grand que sa propre vie, et de la dignité. Les ‘Justes’, qui ont protégé des Juifs de la folie des hommes, avaient le sens du sacré et de la dignité. Les deux vont ensemble.
Qu’est-ce qu’un homme juste ? On a pris l’habitude de répondre que c’est l’équivalent dans l’Ancien Testament du Saint dans le Nouveau Testament : le Juste aurait la crainte de Dieu, le Saint l’amour du Christ.
Le cantique de Zacharie, au début de l’évangile de saint Luc apporte une réponse plus précise, en parlant de la promesse de Dieu de « nous rendre sans crainte, afin que, délivrés de la main des ennemis, nous le servions, dans la justice et la sainteté, tout au long de nos jours ».
Justice et sainteté sont associées dans le même service de Dieu : il suffit de servir Dieu pour être sans crainte, apaisés, épanouis, dés-angoissés. Il suffit de servir Dieu pour retrouver joie de vivre et goût de rire.
Pour vous en convaincre, et ne pas vous charger à deux jours de Noël, je voudrais vous dire quelques mots de la saveur du rire, et de son absence dans l’Evangile, de la part de Jésus : Dieu en Jésus ne rit pas.
Vous connaissez sa phrase à sainte Angèle : ce n’est pas pour rire que je t’ai aimé. Le rire peut être une offense à l’amour aussi bien qu’il peut en être le signe, dans le fait de pouvoir rire ensemble, avec ceux qu’on aime.
Dans l’évangile, on ne voit pas Jésus rire, à aucun moment, parce que le rire est une réaction de surprise, et Dieu n’est jamais surpris. Il sait tout. On pourrait dire aussi que le rire suppose une tension qu’il vient libérer. Contentons-nous de voir la réaction de surprise.
Elle explique notre facilité à passer de l’étonnement à l’incrédulité, et de l’incrédulité à la moquerie. Et il est bon de revenir, et c’est de circonstance, au rire le plus célèbre de la Bible, le rire de Sarah, la femme d’Abraham, qui a donné son nom à son enfant, Isaac, Yçhq-El, Dieu a ri, en fait a souri : il s’est montré favorable.
Réparons une injustice : ce rire incrédule est celui d’Abraham. Quand le Seigneur lui dit qu’il va bénir sa femme, « « et même je te donnerai d’elle un fils ; je la bénirai, elle deviendra des nations, et des rois de peuples viendront d’elle », Abraham tomba la face contre terre, et il se mit à rire car il se disait en lui-même : « Un fils naîtra-t-il à un homme de 100 ans, et Sarah qui a 90 ans va-t-elle enfanter ? » » (cf. Gn 17, 17).
Le chapitre suivant raconte la venue mystérieuse des trois hommes au plus chaud du jour, au chêne de Mambré : Abraham les accueille de façon impeccable. Sarah écoute de loin, cachée, à l’entrée de la tente, et quand l’hôte annonce la naissance à venir, Sarah rit en elle-même, se disant : « Maintenant que je suis usée, je connaîtrais le plaisir ! Et mon mari qui est un vieillard ! ».
Le Seigneur dit à Abraham : « Pourquoi Sarah a-t-elle ri, se disant : Vraiment, vais-je enfanter, alors que je suis devenue vieille ? Y a-t-il rien de trop merveilleux pour Dieu ? L’année prochaine, je reviendrai chez toi et Sarah aura un fils. »
Sarah démentit : « Je n’ai pas ri », dit-elle, car elle avait peur, mais il répliqua : « Si, tu as ri. »
Et quand le Seigneur visita Sarah comme il avait dit, qu’il fit pour elle comme il avait promis, Sarah dit : « Dieu m’a donné de quoi rire, tous ceux qui l’apprendront me diront bienheureuse », littéralement, ils me souriront. C’est le cantique de Marie, son Magnificat : toutes les générations me diront bienheureuse.
Il n’y a en Jésus-Christ ni rire, ni surprise, ni hésitation. Sa volonté, la volonté de Dieu est que nous soyons heureux. C’est nous qui hésitons. Voyez saint Joseph, cet homme juste, sans ombre ni trouble au visage, qui avait décidé, non pas de la répudier en secret, projet irréaliste tant le mariage est une affaire publique, mais qui « voulait secrètement la répudier ». La place de l’adverbe est importante : il hésitait. L’Ange du Seigneur, l’Esprit-Saint lui souffle la bonne décision. Ne crains pas, de la part de Dieu, signifie : je t’aiderai. Je suis avec toi.
Pour rester fidèle à ma réflexion, proposée pour ce temps de l’Avent, sur la paix des familles, revenons sur ce que disait Isaïe sur la fatigue des hommes : il ne vous suffit donc pas de fatiguer les hommes : il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu !
Avez-vous remarqué la façon dont nous excusons nos dérapages, nos manques d’amabilité, nos fautes, par la fatigue : excuse-moi mais j’étais ou je suis fatigué.
Mais la fatigue n’est pas une excuse ! Elle est un défi. C’est ce que Joseph a compris de son indignité : elle n’est pas une excuse. Elle est le défi, qu’il peut relever à l’aide de Dieu.
Vous vous souvenez de ce que le Christ dit de l’amour du prochain : que si nous n’aimons que ceux qui nous aiment, si nous ne faisons du bien qu’à ceux qui nous en font, quel mérite avons-nous ? Même les pécheurs en font autant.
Eh bien, si nous ne sommes aimables et souriants que lorsque nous sommes bien disposés, quel mérite avons-nous ? Même les pécheurs en font autant.
Voilà un bon mot d’ordre pour les fêtes : la fatigue n’est pas une excuse, elle est un défi.
Avec le secours, Seigneur, de ta sainte grâce. Amen.
Père Christian Lancrey-Javal,
curé
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