Quelqu’un qui aurait écouté de façon nouvelle et attentive l’évangile dimanche dernier, pourrait penser, en revenant aujourd’hui à la messe, que Jean-Baptiste est en prison à cause des Pharisiens : il les a drôlement secoués (« engeance de vipères »), ils l’ont mal pris, et ils ont fait en sorte qu’il finisse au trou. Ce n’est pas bête : le raisonnement se tient.
Sauf que Jean-Baptiste est en prison à cause du roi Hérode. C’est Hérode qui avait fait arrêter, enchaîner et emprisonner Jean, à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe qu’il avait épousée. Car Jean disait à Hérode : « Il ne t’est pas permis d’avoir la femme de ton frère ».
Saint Matthieu ajoute qu’Hérode avait voulu le tuer mais qu’il avait eu peur de la foule qui le tenait pour un prophète. Saint Marc dit que c’est Hérodiade qui était acharnée contre Jean et voulait le tuer, mais elle ne le pouvait pas « parce qu’Hérode craignait Jean, sachant que c’était un homme juste et saint, et il le protégeait. Quand il l’avait entendu, il était fort perplexe, et c’était avec plaisir qu’il l’écoutait ».
Jean ne disait pas à Hérode : « je ne te parlerai plus tant que tu vivras avec la femme de ton frère ». Il continuait à lui parler, et assurément de bien d’autres choses que de sa vie privée, puisque « c’était avec plaisir » que Hérode l’écoutait.
Jean-Baptiste n’était pas un Pharisien. Jean accueillait et parlait à tout le monde. « Toute la Judée et toute la région du Jourdain venaient le voir », et même des Pharisiens. Populaire, il ne l’était pas par son origine puisque son père Zacharie était un prêtre du Temple (de la classe d’Abia) et Elisabeth une descendante d’Aaron. Il était populaire comme le Pape François, généreux et accueillant, tout en restant lui-même, sans se prendre pour celui qu’il n’est pas.
Il n’est pas le Christ : il est le Précurseur.
Le plus grand des enfants des hommes peut être le plus populaire, mais il reste plus petit que le plus petit du Royaume, où nous serons tous avec le Christ, d’un même cœur, sans avoir besoin de nous convertir, sans risquer le moindre doute, sans avoir à se garder de chuter.
Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi. Du fond de sa prison, alors même qu’il va mourir (son intimité avec Dieu est suffisamment forte pour que Dieu le lui ait fait savoir), Jean-Baptiste continue de chercher et de partager, autrement dit de se convertir.
Il continue de chercher alors que, d’une certaine façon, il a déjà fait sa profession sa foi. Il a désigné Jésus comme le Christ, « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Mais il ne s’arrête pas là parce que la connaissance de Dieu ne s’arrête pas à la Profession de Foi !
Comme si ce n’était plus la peine de s’intéresser à la personne qu’on a trouvée, de dire son amour à la personne qu’on a épousée. Comme si moi prêtre, mon rôle n’était pas, comme vous et avec vous, de chercher et de partager, autrement dit de me convertir.
Pourquoi Jean-Baptiste a-t-il passé autant de temps au désert ?
Par goût de la solitude ? Par goût de l’effort, de la difficulté, voire de la mortification ?
Jean a vécu au désert pour faire pénitence. Il ne supportait pas les divisions de son peuple, de sa famille au sens large : il ne s’est pas dit que ‘c’est leur problème’ parce que le prophète est responsable de son peuple. L’authenticité de l’appel de Dieu en lui se reconnaît par l’amour qu’il ressent pour toutes les personnes du monde. Face au refus de vivre en paix les uns avec les autres, le prophète ne se dit pas : chacun pour soi.
Il ne se laisse pas arrêter par les refus, parce que rien n’arrête l’amour. Il continue de parler avec le roi Hérode, quels que soient ses mauvais choix, et nous savons, historiquement, qu’ils n’étaient pas seulement conjugaux : c’était un tyran. Il continue de parler aux Pharisiens malgré leurs insultes à son égard. Jean savait tout le mal que les Pharisiens disaient de lui, que saint Matthieu rapporte quelques lignes plus loin : ils le traitaient de ‘possédé’, suprême injure entre croyants.
Les désaccords ne devraient empêcher le dialogue. Ce n’est pas parce qu’on le critiquait par derrière que Jésus n’accueillait pas ceux qui venaient à lui. Sa question aux foules : « Qu’êtes-vous allés voir ? », les renvoyait à ce qu’ils pensaient de lui. Que cherchez-vous ?
J’avais proposé pour ce temps de l’Avent d’examiner les obstacles à la paix des familles. Beaucoup m’ont dit qu’il y avait trop de problèmes, de blessures, de divisions, pour avoir envie de se retrouver à Noël « pour entendre des critiques odieuses sur mes enfants », « pour dîner avec des personnes qui m’ont insulté » … Et on pourrait ajouter : « pour voir des gens qui vivent dans le péché ».
Dans un avertissement sévère (Mt 23, 23), Jésus disait : « Attention à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui acquittez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, après avoir négligé les points les plus graves de la Loi, la justice, la miséricorde et la bonne foi ; c’est ceci qu’il fallait pratiquer, sans négliger cela. Guides aveugles, qui arrêtez au filtre le moustique et engloutissez le chameau ».
Ne disons pas : ‘Malheur à ceux qui s’occuperont des guirlandes et du foie gras, après avoir négligé les points les plus graves de la justice et de la miséricorde’. Disons : ‘Il est tellement plus beau de s’occuper des guirlandes et du foie gras, quand on s’est assuré des points les plus graves de la justice et de la miséricorde’.
Un récit très ancien de la Pentecôte met en scène un homme juste nommé Tobit, fidèle à Dieu, qui, au moment de passer à table, de faire la fête et un bon dîner, dit à son fils : « Va chercher, mon enfant, parmi nos frères, un pauvre qui soit sincère, et amène-le pour partager notre repas. J’attends que tu reviennes, mon enfant. »
La joie de Noël sera peut-être celle d’une personne seule que vous pourriez inviter. Il y a dans vos connaissances des oncles ou des tantes, cousins ou cousines éloignées, qui sont seules, et c’est le moment de les inviter. D’entendre l’appel du Christ de nous occuper des petits, des exclus, des malheureux. C’est de ceux-là qu’il faut s’occuper. C’est la source de la joie.
Père Christian Lancrey-Javal,
curé
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